Imaginez le comique de la situation : un disque vous fait un croche-patte et vous vous retrouvez là, les quatre fers en l’air, avec l'allure idiote que prend tout être vivant attaqué par du mécanique. Vous voilà donc à terre — on pouffe discrètement autour de vous — vos genoux, vos coudes sont écorchés, vos mains sont pleines de gravier. Tout cela n’est pas très grave, car au moment même où vous vous relevez une pointe de satisfaction vous remonte dans la poitrine ; cette pointe de satisfaction c’est la pointe la satisfaction du type qui c’est fait avoir par le bon mauvais tour d’un disque qui semble toujours lui dire : « Tombe et écoute-moi. Écoute moi vraiment et tombe, je suis bon, je suis insolite, je suis un peu ailleurs, alors tombe, idiot… »
Résumons :
C’est le second disque des Future Islands de Baltimore (Edgar Allan Poe y est mort) qui sont trois : J. Gerrit Welmers joue du synthétiseur (vaporeux avec un doigt), William Cashion de la basse (un peu beaucoup comme Peter Hook) et Samuel T. Herring chante… Pour simplifier les choses on dira qu’ils font un genre d’espèce de « synth rock » que leur musique est « ludique, mais imprégnée de détails subtils » qu’elle a quelque chose de théâtral et qu’elle a aussi une belle dette envers pas mal de choses : certains garçons coiffeurs d’outre-Manche, d’autres plus livides, la tradition synthétique américaine : The Units, les Screamers… Une fois que l’on aura dit tout ça, on n’aura pour ainsi dire rien dit, car si les influences flottent l’essentiel est ailleurs ; l’essentiel est certainement un peu dans cette basse mercuriale, assez dans ces synthétiseurs rouillés, mais surtout et avant tout dans la voix de Samuel T. Herring, dans l’incongruité absolue qu’il y a entre cette voix et la musique qui monte derrière ! Un baryton concassé posé au milieu d’un champ d’endives blafardes, Tom Waits chez Orchestral Manœuvre In the Dark (mais en mieux) Don Van Vliet chez les Anglais, le Bob Mould historique crachant ses tripes, mais sans sa guitare en V, Ian Curtis aussi un peu… La voix de Samuel T. Herring on pourrait en parler des heures : une sorte de chanter-parler débordé par la tragédie avec comme du sable dans le gosier, des lamentations, de l’énervement, très peu d’apaisement… En écoutant cette voix, on a envie de se dire que l’on est prêt à aimer le broyé, l’écrasé, l’abrasif, le corrodant… prêt à aimer le caustique, l'abîmant, le brûlant, le mordant… et on se chuchote après, et en sourdine, que si dans le futur Samuel T. Herring oublie un instant l’euphuisme de ses oripeaux synthétiques, il fera un vrai grand disque, car sa voix, voyez-vous, c’est de l’or !
Ah ! oui juste une chose, les chansons des Future Islands sont toutes un peu blafardes elles parlent d’amours qui tournent au tragique ou de types qui meurent d’une crise cardiaque, elles sont donc parfaitement concordantes avec la saison…