Tribune publiée le 22/09 sur Les Echos
Nous le constatons tous les jours : la question de la e-réputation monte en puissance. Pas seulement sur le web, où tout le monde en parle, mais aussi et surtout dans les comités de directions. Pour beaucoup, c’est un réflexe de protection face aux attaques potentielles sur Internet. Dans un monde connecté et en conversation, c’est une préoccupation légitime. Toutefois, entre gestion de crise sur le web et gestion de la réputation, il y a un océan. Tentons de décrire les contours de la e-réputation en 10 points :
1 – La e-réputation n’existe pas en soi. On n’a pas une réputation et une e-réputation : les discours web participent à (et reflètent) la réputation d’une marque, entreprise, organisation. Comme d’autres facteurs offline tels que l’expérience client, le bouche à oreille ou le discours médiatique, la e-réputation qualifie la réputation d’une entreprise à travers le prisme du web. Et comme le web fonctionne comme un accélérateur de particules avec beaucoup de particules (comme vous et moi) et que tout va plus vite, il naît ce sentiment d’accélération du temps et de propagation des crises. La e-réputation devient l’urgence.
2 – Travailler sur la e-réputation, c’est comprendre les ressorts de la réputation. Mais justement, qu’est-ce que la réputation ? Voici la définition qu’on vous propose (pour faire simple) : la réputation, c’est la somme des opinions formées sur une entreprise à un instant T. Ces opinions se consolident dans le temps par des perceptions et des expériences. La réputation qualifie la nature du lien entre l’entreprise et ses publics : clients, actionnaires, collaborateurs, élus, etc. Si l’entreprise répond aux attentes de ses publics, sa réputation est bonne. Si elle n’est pas au rendez-vous des attentes du marché ou de la société, il y a alors destruction de réputation.
3- La réputation, avec son sous ensemble de e-réputation, se gère comme un actif stratégique. La réputation agit comme un sésame. « A licence to operate », disent les anglo-saxons, ce qui situe parfaitement l’enjeu. Ce « droit à exercer » (cela sonne mieux en anglais, il faut le dire) facilite l’accès de l’entreprise à ses marchés. Celui des hommes, des biens, des capitaux, des territoires, etc. Toyota s’est installé en France (et à moindre frais) sur le tapis rouge de sa bonne réputation. A contrario, BP exerce son métier au quotidien englué dans la marée noire. La réputation produit ou détruit de la valeur, dans le compte de résultats comme dans le bilan.
4 – Le diagnostic de e-réputation est un moment fondateur. C’est une photo, à un instant T, des opinions disponibles sur l’entreprise sur Internet. Elle peut évoluer à tout instant. Néanmoins, elle permet de dresser un diagnostic des discours et des principaux émetteurs associés à l’entreprise. A partir de l’analyse de ses forces et faiblesses, des risques et opportunités, Il est possible de brancher le système de veille adéquat et d’initier les actions correctives.
5 – La e-réputation se conçoit comme une démarche de progrès, au service de la stratégie d’entreprise. Quelle est ma réputation d’employeur sur le web ? Quels sont les discours associés à mes actions citoyennes ? Quelle est l’image de mes dirigeants ? Le Reputation Institute (N.Y) propose une grille de lecture de la réputation structurée en 7 « drivers » (à relire ici) : de la performance financière, à la gouvernance, en passant par la citoyenneté. Cette lecture stratégique rend plus évidents les points de forces et les manques de l’entreprise. On sait ce que l’on cherche et pourquoi, ce qui évite de se noyer dans un flux d’informations sans fin.
6 –La e-réputation présente deux versants : risques/opportunités. Se protéger des risques est une évidence. Chaque entreprise connaît ses points faibles, son agenda politique et réglementaire, etc. Des dispositifs de veille ad-hoc sont faciles à mettre en place. En revanche, saisir les opportunités relève d’une autre logique. Vouloir garder l’initiative par rapport aux évolutions de contexte : renforcer sa présence sur un thème stratégique, rencontrer une sensibilité dans l’opinion, entrer en contact avec une communauté, etc. L’entreprise se met en mode « écoute », elle s’ouvre et s’enrichit dans l’interaction. Cet équilibre entre la protection et l’ouverture est essentiel.
7 – Les collaborateurs, comme les dirigeants, sont vecteurs de réputation sur le web. Le cas de Domino’s Pizza est exemplaire d’un dérapage en interne. Les collaborateurs ont des droits et devoirs vis-à-vis de leur entreprise. La multiplication des chartes dites « Social Media Policy » témoigne du besoin de cadrer les pratiques tout en encourageant la présence de collaborateurs dans des réseaux sociaux professionnels. Le dirigeant a également son rôle à jouer sur le web, entre le trop et le trop peu.
8 – La technologie n’est pas le facteur déterminant du marché de la e-réputation. Des solutions performantes sont désormais accessibles pour les agences comme pour les annonceurs. La solution AMI Software en est le parfait exemple. Le rôle de la technologie est de faciliter le travail du consultant. C’est ce que produit le consultant qui apporte de la valeur. C’est lui qui va trier, analyser et restituer l’information qui sera la matière première du conseil. Les agences les plus affutées sur la question de la réputation et sur les stratégies 2.0 auront incontestablement un avantage compétitif.
9 – La e-réputation n’a pas de frontières, et pourtant. Est-ce utile de lancer un observatoire de sa réputation sur le marché français quand on est une marque mondiale ? Oui, car la réputation traduit des opinions locales qui sont formatées dans une culture locale et une expérience locale. Elle permet de prendre conscience des enjeux culturels liés aux différents marchés. Ainsi, le système se duplique facilement sur chacun des marchés stratégiques de l’entreprise. Autre solution plus économique, mettre des capteurs sur des sites référents sur le secteur.
10 – Derrière la e-réputation se cache un sujet trop négligé : celui de l’organisation de la fonction web dans l’entreprise. La mise en place d’une stratégie 2.0 pose la question des passerelles entre la communication, le marketing, les RH, la finance, etc. Qui est responsable de quoi ? Est-ce que tout le monde travaille sur tout ? Comment optimiser et aligner les contenus ? Comment la culture de l’entreprise se confronte-t-elle aux valeurs du web social ? C’est un chantier qui nécessite de casser quelques silos et pré-carrés dans l’entreprise.
Ces 10 points ne prétendent pas faire le tour complet de ce vaste et passionnant sujet. Ils réaffirment le rôle stratégique de la réputation et réfutent l’idée de cantonner la e-réputation à une simple gestion des risques sur le web. La réputation, d’une manière générale, est une formidable opportunité de repenser la relation aux autres. Et le web, sur cette question de la relation, est un terrain de jeu idéal.