Un débat de fond et d'actualité.
Un débat de raison et d'émotion.
Un débat nécessaire.
Celui de la vocation du journaliste.
Aujourd'hui, il revient avec vigueur, crée de l'inquiétude, bouleverse l'échiquier, excite les populations.
WikiLeaks lance sa nouvelle bombe et savoure son effet.
Après avoir publié des documents américains confidentiels sur la guerre en Afghanistan, WikiLeaks met maintenant en ligne 400.000 documents secrets sur la guerre en Irak. A charge.
Notre débat s'élargit et une nouvelle question se pose : la vocation du scoop.
Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, a toujours balayé les nombreuses et sérieuses critiques d'un revers de la main en s'appuyant sur ce qu'il appelle la "vérité". Les documents publiés sont authentiques; le peuple a le droit de connaitre la "vérité"; WikiLeaks fournit la "vérité".
Dans le raisonnement de WikiLeaks, nous voyons déjà un premier biais. La "vérité" que publie WikiLeaks est à chaque fois une fuite d'information sur un sujet polémique. WikiLeaks ne publie pas la "vérité" sur l'origine de la betterave ou la "vérité" sur la fécondation des tortues mais bien la "vérité" sur la guerre en Irak, la corruption en Afrique ou l'affaire Dutroux.
Il y a donc chez WikiLeaks une différence fondamentale avec le journalisme qui a pour vocation d'informer et d'aider à discerner (cf la vocation du journaliste). Nous comprenons déjà que WikiLeaks se rapproche du "justicier". Il révèle une "vérité" cachée.
Cette fonction de justicier est une fonction dangereuse qui peut devenir subversive si elle n'est pas discernée par le lecteur.
Sans rentrer dans le débat sur les guerres en Irak et en Afghanistan, il apparait que le choix des documents révélés est un choix subjectif. Julian Assange part du postulat de base que ces guerres sont illégitimes et démontre ensuite par des documents secrets et réels leurs dérives. Si Julian Assange considérait que ces guerres étaient légitimes, nécessaires, utiles, il ne publierait sans doute pas des documents susceptibles de choquer la population. Il y a donc ici un sous-débat qui s'ouvre. La "vérité" du scoop est en fait une multitude de vérités. Nous en acceptons facilement certaines mais d'autres nous bousculent. En prenant un exemple extrêmement schématique (et là encore sans rentrer dans le débat de la légitimité de la guerre), la "vérité" sur la torture américaine ou les morts de milliers de civils satisfait les opposants à la guerre alors que les "vérités" sur les massacres de kurdes par Sadam Hussein ou le danger d'Al Quaïda satisfont les militants en faveur de la guerre.
Ainsi, le débat sur WikiLeaks et la vocation du scoop rejoint celui sur la vocation du journaliste, voire celui que BeniNews avait également lancé sur l'étrange prédominance de l'émotion sur la raison dans notre société.
La "vérité" du scoop dépend des convictions de celui qui lance le scoop. Par son scoop, il guide le lecteur vers une opinion plus large. Il part d'une réalité pour créer une opinion qui, elle, n'est pas une "vérité" objective mais juste une conviction subjective.
C'est pour prévenir cela que BeniNews milite en faveur du discernement. La vocation du journaliste est bien d'aider à discerner. A donner des clefs. Le scoop a bien-sûr un rôle, car il permet de donner des éléments concrets sur lesquels s'appuyer; mais il est impossible de discerner en s'appuyant sur un scoop qui n'est qu'une petite partie de l'iceberg d'une immense équation.
Par ses publications actuelles, WikiLeaks ne dit pas la "vérité" sur les guerres en Irak ou en Afghanistan. Il milite en faveur de leur illégitimité en s'appuyant sur des documents réels et choisis. C'est très différent.
Une action de vérité soucieuse de la complexité du problème, de la vie de soldats, de la réaction épidermique et parfois irréfléchie des lecteurs aurait pu prendre des biais différents comme présenter ces documents secrets à une source influente de confiance (le Vatican a toujours milité en défaveur de ces guerres et jouit d'une influence diplomatique reconnue; mais également certains sénateurs américains ou l'ONU). Julian Assange a choisi le buzz, le peuple et la provocation en conscience. Il devra l'assumer.
Les archives de guerre ne sont généralement disponibles que des décennies après la guerre. Cela ne se décide pas sans raison mais par la nécessité historique de prendre du recul et se délier d'émotions subjectives pour discerner et analyser. Pour prendre un exemple extrême, nous savons que la Normandie ou certaines villes allemandes (comme Dresde) ont payé un lourd tribu de la libération de l'Europe par les Forces Alliées. Comment l'analyser a posteriori? Un totalitarisme unique (avec son cousin soviétique) dans l'histoire de l'humanité, une libération, un dérapage. L'histoire est complexe.
La "vérité" est chose bien étrange. Il n'y a qu'une vérité, celle de Dieu. Quand Benoit XVI nous demande de la chercher, il a mille fois raison. Quand il nous demande de discerner, il a mille fois raison. Quand il nous demande de prier et d'agir avec humilité, il a mille fois raison.
Aussi espérons et prions pour qu'à chacune de nos actions, nous ayons bien à l'esprit que la vérité, celle de Dieu, se trouve dans l'amour. Et l'amour, ça se discerne.