La grève est un droit fondamental dans une démocratie. Ces dernières années la droite a réussi à faire reculer ce droit à travers deux mesures : elle a élargi en 2003 (par l'intermédiaire du ministre de l'intérieur N. Sarkozy) la possibilité de procéder à une réquisition. Officiellement il s'agissait de pouvoir faire face à des catastrophes écologiques ou industrielles, ou à des urgences sociales. Recourir à ce texte (Loi pour la sécurité intérieure de 2003) pour briser la grève d'aujourd'hui outrepasse largement les raisons invoquées à l'époque du vote de la loi, mais le texte est flou... Cette technique est devenue un classique de la régression des droits (cf. fichier FNAEG par exemple).
Ensuite le gouvernement actuel a commencé son mandat par une loi sur le service minimum qui oblige certains salariés du public, comme les cheminots, à se déclarer grévistes 48h à l'avance, sous peine de n'avoir pas le droit de faire grève. Cette mesure qui stigmatise nommément les individus, brise la dynamique collective et permet aux directions de s'organiser dans l'intervalle. En ce moment par exemple, les trains de voyageurs sont très peu perturbés, car le personnel du FRET est utilisé pour faire rouler les trains avec passagers. Le contre-pouvoir syndical et le droit de grève ont ainsi été fortement entravés. Or c'est le seul pouvoir légal dont dispose la population pour s'opposer directement à l'Etat.
Cette politique confine peu à peu les contestataires à l'illégalité et les met face à des risques répressifs forts, certains relevant du droit pénal (les lois répressives se durcissent plusieurs fois chaque année depuis 2001. On compte au minimum 19 lois sécuritaires depuis 2001, Le Monde en dénombrait 18 il y a deux ans).
D'un autre côté la pression économique organisée à l'échelle mondiale s'accroit sans discontinuer. Les crises à répétition (tous les deux ans en moyenne) maintiennent les finances publiques dans le déficit et la population dans la précarité, notamment par le jeu de crédits aux remboursements interminables. Pendant ce temps, le nombre de millionnaires et de milliardaires explose, les plafonds des grosses fortunes sont sans cesse repoussés plus haut. Le chômage est volontairement maintenu dans une fourchette allant de 4 à 10%, ce qui assure un rapport de force favorable sur le marché du travail. Pris entre cette enclume et le marteau répressif les citoyens ont de plus en plus de difficultés à manifester leur désaccord avec l'Etat.
D'un côté cette politique muselle une majeure partie de la population, d'un autre elle pousse les dissidents à la radicalisation. Dans un premier temps cela permet de stigmatiser ceux qui agissent et d'en faire des exemples. Mais rien ne garantit qu'un sursaut citoyen ne finisse par déborder le gouvernement. C'est assurément sur la solidarité qu'il faut compter pour cela. La solidarité s'exprime naturellement là où la peur disparaît.
Le pouvoir qui sait, consciemment ou non, qu'il a tout à craindre de la fraternité entre citoyens ne cesse de diviser la population en dressant avec l'aide souvent inconsciente des médias des catégories de personnes contre d'autres catégories de personnes. Salariés contre entrepreneurs, public contre privé, chômeurs contre travailleurs, pauvres contre riches, jeunes contre adultes ou vieux, habitants du centre-ville contre habitants des banlieues etc.
La technique est utile et s'affiche bien souvent à la une du Point ou de l'Express.
Parmi les nouvelles armes de cette lutte centenaire entre le pouvoir et le peuple, la plus puissante est certainement la télévision. Lentement cet outil dissout le lien social. Avant l'irruption de cette petite boite dans chaque foyer, puis dans chaque pièce, il fallait que les individus se rencontrent et communiquent pour se divertir. Hormis la lecture, dont les vertus surpassent les vices, chaque animal humain était poussé vers l'autre, et cela créait du lien, de gré ou de force, pour le meilleur et pour le pire. La télévision a imperceptiblement changé la nature de ce mariage en rendant facultatif ce qui était incontournable.
Les hommes politiques n'hésiteront pas, dans leurs discours, à vanter les mérites du courage, à reconnaitre la nécessité du dépassement de soi, et à glorifier l'action sur la passivité. Mais aucun n'osera dire que la télévision offre à la procrastination et au repli sur soi le meilleur allié qu'ils n'aient jamais eus. Par l'écran il est proposé à chacun les sensations superficielles de la rencontre humaine et de l'expérience sans le risque de s'exposer personnellement, sans la profondeur du réel, sans l'essentiel, sans ce qui reste mystérieux et précieux. C'est une vie d'enuque qui ouvre un boulevard à l'avachissement et à la couardise. Sans l'aiguillon du face à face animal et quotidien dont l'homme a besoin chaque jour, il se rétracte, se retranche, se protège. C'est la peur qui remplace le lien social. Ce lien social que nous devons chercher à reconstruire chez nous aujourd'hui existe naturellement dans toutes les sociétés humaines. Notre maladie est spécifique.
Et ce qui est pour nous une maladie est pour le pouvoir une arme. Non seulement la télévision nous a fragmenté au point de nous paralyser, mais mieux encore, elle est un canal d'influence à disposition du pouvoir. Les oligarchies d'autrefois n'ont jamais disposé d'un outil aussi puissant. Elles peuvent dessiner, à partir de tout petits fragments de réalité, le tableau qui leur convient. Et la magie de l'outil, c'est que ce tableau apparaît comme la réalité incontestable.
Ne soyons pas dupes, c'est une guerre que mène la classe dirigeante contre le peuple. Le vent de révolte timide qui souffle actuellement sur la France ne demande qu'à être alimenté de façon créative. A chacun d'inventer sa participation selon sa situation. Il y a toujours quelque chose à faire. Rester passif et commenter les événements c'est exactement ce que le pouvoir attend de vous. Il se moque que votre avis s'oppose à lui avec virulence, il se fiche du contenu de vos paroles, il veut seulement que vous ne fassiez rien.