A propos de Biutiful d’Alejandro Innáritu 3 out of 5 stars
A Barcelone, Uxbal, un quadragénaire doué pour la télépathie et qui entretient un rapport privilégié avec les morts, vit de petits trafics sur fond d’émigration clandestine africaine et chinoise. Mais un jour, Uxbal apprend qu’il est gravement malade et qu’il ne lui reste plus que quelques mois à vivre.
Si le film de Innáritu est très différent de ses précédents, il y a une chose que l’on retrouve. C’est la coexistence, l’imbrication de plusieurs récits. Sauf que cette fois, les histoires qui s’entremêlent concernent un même personnage, Uxbal (Javier Bardem). Comme si il avait vécu plusieurs vies. Deux au moins. C’est un film fleuve, porté par un Bardem au physique aussi impressionnant que le jeu. On suit Uxbal dans le quotidien de ses petits trafics véreux, celui de sa vie familiale chaotique. Mais au gré de ses pérégrinations et de ses combines malhonnêtes, c’est peu à peu un sentiment de nostalgie qui envahit Uxbal…
Nostalgie du père mort à 20 ans au Mexique d’une pneumonie alors qu’il avait fui le franquisme. La nouvelle qu’il va mourir accélère ce processus de mémoire d’Uxbal. Avec l’annonce de sa maladie, Uxbal se sent beaucoup plus proche d’un père qu’il n’a jamais connu (n’oublions pas son don pour communiquer avec les morts); Et il veut partir en étant sûr que ses enfants ne manqueront de rien.
Mais deux choses l’empêchent d’avoir la conscience en paix. D’une part, sa responsabilité dans la mort de 25 travailleurs clandestins chinois morts étouffés par le gaz des chauffages qu’il avait achetés, d’autre part la bipolarité de sa femme (Maricel Alvarez, qui surjoue un peu) à qui il ne peut pas confier ses enfants tant elle connait des accès de violence envers eux.
Qui est Uxbal ? Que vaut-il au final ? C’est toute la question du film. Uxbal n’est pas un saint. C’est quelqu’un qui profite et vit de la misère des clandestins africains et chinois dont il coordonne les trafics en achetant notamment la police. On pense d’ailleurs au personnage peu scrupuleux d’Angie dans It’s a free world de Ken Loach.
D’un film documentaire filmé souvent en gros plan ou caméra à l’épaule, Biutiful glisse de plus en plus vers un film intimiste sur fond de misère sociale et économique. Renversements des centres d’intérêt. Ce ne sont plus les immigrés sénégalais qui dépendent d’Uxbal mais l’inverse. A la moitié du film, les états d’âme d’Uxbal deviennent le centre d’intérêt du film d’Innáritu, comme les sentiments qui envahissent Uxbal au seuil de la mort. Comme si Uxbal vivait une seconde vie pendant sa maladie.
Mais il y a une chose alors qui devient gênante dans Biutiful, comme dans Rabia. C’est le fond religieux du film. Le sentiment de culpabilité qui hante Uxbal (renforcé par la mort qui rôde) donne lieu à une nécessité pour lui de laver ses péchés s’il veut accéder au Paradis et à la vie après la mort. La quête de rédemption est une caractéristique de la religion catholique. D’un côté, Uxbal ne peut se remettre de la mort des Chinois morts gazés dans leur sommeil, de l’autre il se sent coupable d’abandonner ses enfants et sa femme, de n’avoir pas réussi à la sortir de sa névrose.
Il y a un paroxysme dans la tension dramatique. C’est la scène où Uxbal confie à une amie voyante (ou télépathe ?) qu’il ne se remet pas de la mort des Chinois. La voyante lui rétorque que s’il veut pouvoir quitter le monde terrestre la conscience tranquille, il doit d’abord se faire pardonner par ces morts. Uxbal craint la mort mais il a surtout peur d’affronter le regard de ces morts.
On peut regretter ces visions d’Uxbal lorsqu’il voit des morts ou son double rampant au plafond. Parce qu’Innáritu verse parfois dans le cliché ou le déjà vu (plans sur un plafond moisi, scène du bébé dans Trainspotting). Le réalisateur de Babel et d’Amours chiennes plus inventif et plus subtil (moins démonstratif surtout) lorsqu’il glisse l’image furtive du double d’Uxbal passant devant un miroir (signe d’une mort imminente). Où dans l’évocation intimiste du père d’Uxbal (scène dans la forêt enneigée).
Mais ces touches sont trop disparates dans le film.