Histoire de… Clapping Music : rencontre avec Julien Rohel
Un peu bourru mais l’œil espiègle, Julien Rohel, fondateur du label Clapping Music, nous fait face sur une banquette du Bar Ourcq. Avril et le début des beaux jours, ceux qui ont brusquement pris fin il y a peu. “Un moment important pour le label ? Et bien… le festival que l’on a monté pour nos dix ans… C’était réconfortant de voir qu’il y avait la queue devant le Point FMR, et que l’on n’était pas qu’une bande de potes à se retrouver là, entre nous… contrairement à ce que tu as pu écrire d’ailleurs !” Et s’il est vrai que j’avais usé de propos maladroits dans un report partagé avec Émeline pour tenter de dépeindre l’ambiance chaleureuse régnant dans une salle comble et brûlante de mars dernier, “quoi de plus logique que d’être entouré de ses proches pour souffler ses bougies ?“, la remarque fait office d’un intense révélateur d’orgueil bien placé : l’affluence rencontrée par ledit festival, avec Karaocake, Lauter, Reveille, Centenaire, Yeti Lane et Clara Clara au programme, récompensait dix années de travail et d’engagement dans la création musicale. En somme “du plaisir… mais pas que… un certain nombre de galères aussi“. Une reconnaissance que Clapping est donc loin d’avoir volée au cours d’une histoire parsemée de rencontres et de démerde et dont le fil conducteur reste cette foi inébranlable dans les artistes maison.
Une histoire de “copains”
A écouter Julien nous raconter comment Clapping a pris forme, on devine à quel point les contours du label ont épousé les aspérités d’une vie professionnelle déjà bien remplie. “En fait, j’ai toujours fait des choses pendant Clapping et presque pas avant, d’autant que ça n’a jamais été mon activité principale… J’ai bossé longtemps dans le cinéma, j’étais machiniste sur des tournages de films, j’ai fait plein de boulots de merde type Manpower, sondages, manutention, supermarchés et puis j’ai aussi fait des piges dans des magazines, comme critique, en réalisant des interviews aussi… Et là en ce moment j’ai un mi-temps.” Ceux qui imaginaient le boss du label confortablement vautré dans son fauteuil en cuir, s’amusant de volutes de fumée émanant d’un délectable cigare cubain, se plantent, et quelque part, on s’en doutait dans les grandes largeurs : l’indépendance a un foutu prix, étalonné par la débrouillardise et un culot de chaque instant. “Bien sûr… l’idée de fonder Clapping m’habite depuis ma plus tendre enfance ! (Rires.) Plus sérieusement, je m’intéresse à la musique depuis très longtemps, je jouais dans des groupes, j’achetais plein de disques depuis l’age de onze ans, douze ans, à décortiquer les notes de pochettes et à m’intéresser aux groupes mais aussi aux labels… à acheter ces disques d’ailleurs uniquement parce qu’ils étaient sur tel ou tel label… Du genre, dans les années 80, 4AD ou Factory, des labels qui avaient une belle identité graphique… Fonder un label est donc une idée qui s’est imposée, sans avoir pour autant d’occasions concrètes de franchir le pas, disons que je n’avais rien à sortir… J’habitais en banlieue (à Saint Germain-en-Laye), j’allais de temps en temps à des concerts à Paris, sans pour autant fréquenter le milieu indé, et puis tu sais, il n’y avait pas internet…”
Sous l’égide de quelques rencontres et d’une bonne dose d’amitié, tout s’est alors emballé : “Je faisais de la musique avec un pote de lycée, on enregistrait des morceaux le samedi après-midi sur un quatre pistes cassette… vers 95 on a eu envie de monter un groupe et on a passé une annonce à La Clef genre “ch. bassiste et batteur aimant Sebadoh, Pavement et Sonic Youth”… et deux mecs se sont pointés…” A savoir Bertrand Groussard, qui deviendra par la suite King Q4, et Damien Poncet, initiateur avec Julien en 1999 du projet Évènement!, micro-label égrainant des CD-R aux tirages limités à 99 exemplaires et proposant leur contenu gratuitement en ligne. “On a fait un peu de musique ensemble, puis au bout d’un moment le groupe a splitté et Bertrand s’est acheté un sampler… Vers les années 97/98, il a commencé à faire de la musique électronique jusqu’au moment où il a eu une dizaine de morceaux plutôt bons… Et comme j’avais un peu d’argent, on s’est dit que c’était le moment de monter un label pour sortir son disque nous-mêmes ! C‘était vraiment un truc de potes au départ, d’ailleurs on pensait même pas le faire distribuer… On avait juste pensé à ce qu’il fasse quelques concerts et en profiter pour vendre son disque… Et puis au final, l’album a été chroniqué par Magic (lire), puis par Les Inrocks et d’autres magazines… et enfin il a été distribué…” Première sortie officielle du label donc, datée du 17 octobre 2000 et numérotée CLAP 001, l’album éponyme de King Q4, tendancieusement électronique et subtilement à contre-courant de la french touch d’alors, trouve d’entrée son public : il n’en fallait pas plus pour mettre la mécanique en branle. “A partir de là Clapping a eu une certaine notoriété, ce qui fait qu’on a commencé à recevoir des démos tout en rencontrant pas mal de monde…” Une histoire ressemblant à s’y méprendre à celle de Daniel Miller, initiateur presque malgré lui du prestigieux label Mute Records. Inspiré par les Desperate Bicycles, chantre du DIY, ce dernier sort dans l’urgence en 1978, sous l’alias The Normal, un maxi 45 tours auto-produit comprenant le fameux Warm Leatherette, morceau préfigurant la déferlante électronique. Le succès est immédiat, des dizaines de milliers de copies sont vendues avec l’aide de Rough Trade, transformant de facto Miller en patron de son propre label, dont le nom sonnait telle une provocation aux Majors (Mute pour muet), sertie de son adresse personnelle aux dos de la pochette. Inévitablement, les cassettes affluent : “La première qui m’ait plu au point de vouloir la sortir c’est Fad Gadget : sans vraiment m’en rendre compte, je dirigeais une maison de disques“.
Le Fad Gadget de Clapping s’appelle alors Yann Tambour. “On a sorti le disque de King Q4 sans rien de prévu pour la suite… Ce n’était ni plus ni moins qu’un one shot fait avec les moyens du bord… Et puis j’ai rencontré Yann Tambour d’Encre, dont on a décidé de sortir le premier album (l’éponyme Encre en 2001) qui, pareil, a pas mal fait parler de lui”. Délicat musicalement, mais à l’écriture revêche et châtiée, le premier effort de Yann Tambour, auteur, chanteur et compositeur sensible, est à mille lieux de celui de King Q4, défiant par une électronique minimaliste et onirique l’IDM venu de Sheffield. Entre ces deux balises rêvées, assurant d’entrée la respectabilité tant critique que publique de Clapping, le champ, bien qu’en friches, reste démesurément ouvert. Et c’est l’adaptation scénique du projet Encre qui devient l’occasion pour le label de franchir le pas de la continuité : Yann Tambour s’entoure de Bertrand Groussard à la batterie et de Damien Poncet à la basse et au sampler, faisant ainsi le trait d’union entre Clapping, Évènement! et Active Suspension, structure, créée en 1998 par Jean-Charles Baroche, ayant préalablement sorti le premier EP d’Encre, Pente Est / Albeit Cale. Une sémillante effervescence s’établit alors entre tout ce petit monde, aboutissant dès 2003 à la création de la structure As Corpus, mutualisant les frais d’édition et de vente en ligne de Clapping et d’Active Suspension, et à la sortie quasi concomitante de la compilation Active Suspension vs. Clapping Music, réunissant des artistes des deux bords dans un maelström de collaborations inédites et d’escapades transgenres lumineuses. “Dès lors, ça s’est enchainé comme ça… avec un rythme de sorties hyper modeste au début, un voire deux albums par an, c’est tout…”
Après deux EP, aux étiquettes toujours aussi hétéroclites, l’un du groupe dub Lab°, Friendly remixed by… (2003), comprenant comme son titre l’indique des morceaux du groupe remixés par des artistes estampillés Clapping, et l’autre, Trop Singe EP (2003), des agités électro-punk de dDamage avec la participation de membres de TTC, le label étrenne quasi biannuellement ses nouveautés, oscillant toujours entre diversité et continuité : en 2003, le premier album de My Jazzy Child, Sada Soul, album solo de Damien Poncet (qui devient à cette occasion le Damien Mingus), en 2004, les seconds albums d’Encre, le sublime et crépusculaire Flux, et de My Jazzy Child, I Insist, en 2005, le premier et unique live du label, celui d’Encre où Yann Tambour, accompagné entre autres de Bertrand Groussard, Damien Poncet et Sonia Cordier, révèle son moi rock plus immédiat, puis en 2006, les premiers albums sur Clapping d’Axel Monneau, éponyme lui aussi, sous l’alias Orval Carlos Sibelius, et de l’Américain Ramon Alarcón, The Boy Who Floated Freely, délivrant, sous le nom d’emprunt Ramona Cordova, un folk intimiste à la voix haut perchée. Entre 2006 et 2008, le label observe une pause propice à une rencontre qui en annoncera d’autres : ”Chaque rencontre avec un artiste est un moment important, mais celle avec François Virot, après deux années de quasi inactivité, a permis à Clapping de se relancer… Il est très énergique, il a eu de suite plein de projets… Tout s’est enchaîné très vite après la sortie de son premier album…” Ainsi Yes or No de François Virot parait dès octobre 2008, suivi de près en 2010 par la parution de Comfortable Problems de Clara Clara et de Time and Death de Reveille, groupes dans lesquels François tient respectivement la batterie et la guitare. L’intéressé nous confirmait un mois plus tôt, lors d’une entrevue avec les trois membres de Clara Clara (lire), cette relation de bon ménage : “Avec Clapping ça se passe hyper bien ! Si on s’intéresse autant à nous c’est que Julien fait vachement bien son boulot ! Il m’a repéré suite à un concert que j’ai donné en solo et puis dans la foulée on a bossé sur mon premier album. Puis j’ai amené Clara Clara… On va continuer avec eux autant que possible même si au final on connaît pas trop les groupes de Clapping… sauf Karaocake et Reveille, forcément…”
Entre temps, plusieurs références viennent fleurir un catalogue que Yann Tambour n’abonde désormais plus, ni sous Encre, ni sous l’entité Thee, Stranded Horse, déménageant ce dernier projet folk à la kora pour lequel il s’est consacré un temps, sur le label bordelais Talitres. Il en va ainsi, de Centenaire (avec Axel Monneau, aujourd’hui parti du groupe, Stéphane Laporte aka Domotic, Aurélien Potier et Damien Mingus), responsable de The Enemy (2009), aux sonorités folk-rock rustiques et mélancoliques, de Yeti Lane (composé d’anciens du groupe Cyann & Ben et n’opérant depuis peu qu’en duo, avec Charlie Boyer à la batterie et aux percussions et Ben Pleng à la guitare, aux claviers et au chant), auteur d’un premier album éponyme et de deux EP, dont Twice EP (2010), édité en mai 2010 et s’apparentant à un énième nouveau départ, telle une idoine relecture, abrasive et psychédélique, de leur pop syncrétique d’antan, de Lauter, projet solo de l’alsacien Boris Kohlmayer, associant Clapping et Herzfeld le temps d’un coproduction, The Age Of Reason (2009), à la beauté gracile et sentant bon la poussière du grand ouest américain, de Red, avec The Nightcrawler aka Red, projet folk à la classe inénarrable et à l’envergure sérigraphiée démesurée (les cinq cents copies tirées ayant chacune une pochette différente dessinée par Red), et plus récemment, de Karaocake (ou l’on retrouve Domotic et Charlotte Sampling aux côtés de Camille Chambon, à l’origine du groupe) dont Rows And Stitches, paru le 2 juin dernier, étire une dream-pop légère et mutine aux confins de l’émerveillement, et de Pokett, fausse nouvelle tête étant entendu que Stéphane Garry, entouré de l’omniprésent Bertrand Groussard à la batterie (King Q4) sur ce Three Free Trees, disque paru en septembre dernier, au songwriting raffiné et aventureux, est un ancien de la boutique mitoyenne et aujourd’hui en “pause indéterminée“, Active Suspension.
Et la source ne risque pas de tarir : avant la fin de l’année, un nouvel EP est au programme, celui de Ddamage, en plus d’un nouvel album de My Jazzy Child (The Drums), quand l’année 2011 s’annonce sous les hospices de trois nouvelles comètes qui seront rapidement mises en orbite : le prochain album du duo franco-américain Berg Sans Nipple, dont le premier album avait vu le jour sur Prohibited Records, le troisième effort des Konki Duet, réalisé par Domotic, en plus du second opus d’Orval Carlos Sibelius.
Une identité en recomposition perpétuelle
Le nom du label aurait pu être un indice. Car Clapping Music n’est ni plus ni moins que l’une des œuvres minimalistes les plus connues (voir) du compositeur américain Steve Reich. Écrite pour deux personnes frappant dans leurs mains, l’un répétant un motif fixe, l’autre le réalisant de façon synchrone, puis en le décalant d’une croche jusqu’à retomber sur le point de départ, à savoir le motif toujours répété par le premier, Clapping Music engendre un jeu complexe de sonorités et de temps, chaque translation faisant immédiatement naître une figure nouvelle. Influençant par sa technique et ses tonalités nombre de pionniers de l’électronique minimaliste, tel Kraftwerk, de l’intelligent dance music, tel Microstoria et Autechre, ou de l’ambiant house, à la manière de The Orb, Steve Reich n’est pas une référence anodine, surtout lorsque celle-ci est concentrée dans le nom même d’un label ayant pour première sortie l’un des disques pionnier de l’électronica française (King Q4). Mais la sortie dès l’année suivante de l’album d’Encre brouille les pistes et les opinions toutes faites : n’y a-t-il pas un plan, une politique préétablie ? “Non, Clapping n’est pas né avec une volonté de défendre quoi que ce soit, comme l’électro expérimentale, tout en prenant soin de développer une esthétique militante… Mais il y a quand même une identité musicale propre à Clapping. Disons indie au sens large, brassant tout le spectre folk, rock, noise et électro.” Cette identité, si elle n’est pas énoncée, se constate a posteriori : “La cohérence se crée au fur et à mesure des sorties… King Q4 c’était un ami, c’était amical et musical, en revanche Yann Tambour, je ne le connaissais pas. C’est pas non plus un truc qu’entre potes, ça a été un coup de cœur et on l’a fait, voilà c’est comme ça que marche le label, aux coups de cœur”. En s’affranchissant d’une identité de label trop forte, ou trop statique, de la prévisibilité des disques et des artistes présentés donc, cette dimension humaine - celle qui présidait dans la folie Factory Records, où les marottes de Tony Wilson et d’Alan Erasmus passaient avant leur potentialité commerciale - pousse à une perpétuelle recomposition de ladite identité, à savoir, au rythme des sorties et des projet retenus selon les logiques de l’émotion, pierre angulaire de l’attrait du tout un chacun pour la musique. Une façon sans doute de ne pas considérer celle-ci comme un produit, une marchandise lambda, mais une méthode surtout ne permettant aucune autocensure découlant de principes a priori. “Au fur et à mesure, quelque chose va s’esquisser, on verra bien ce que c’est… Toutes proportions gardées, s’il s’agissait de faire une comparaison, je pense à un label comme Domino, “un label indépendant au sens large et qui maintenant a plein de pognon… Grâce à quelques têtes de gondoles faisant tourner la boutique, tels les Artic Monkeys ou Franz Ferdinand, ils continuent de sortir des trucs obscurs en rééditant notamment pas mal de vieux trucs dont ils sont fans (Robert Wyatt, Royal Trux, Galaxie 500…)”. Chez Clapping, quelles sont ces fameuses têtes de gondoles ? “Il n’y en pas, j’aimerais bien, mais aucune sortie n’a pour le moment réussi à franchir un seuil permettant de les considérer comme telles… mais je ne perds pas espoir !” Des galères donc et du DIY.
Un modèle économique fragile, mais encore viable
Pour se faire une idée de ces difficultés quotidiennes que rencontrent petits et moyens labels, disquaires et autres distributeurs indépendants, la majorité de ces structures étant au bord de l’asphyxie, pas besoin de dessin ni de palabres en pagaille : entre crise du disque et téléchargements pirates (l’un n’allant plus sans l’autre), entre crise tout court et promoteurs blogueurs de la gratuité, l’existence d’un label indépendant, si reconnu soit-il, tient parfois à peu de choses. “D’un point de vue économique, le fait d’avoir eu un morceau utilisé par une publicité Orange en Angleterre - Herz Chain - Yukulele 31.12.01 présent sur la compilation Active Suspension vs Clapping Music (2003) - a été déterminant : sans ça le label n’existerait plus“. Des contingences donc qui font tenir le cap, alors que l’essentiel ne se suffit presque plus à lui-même : depuis 2000, Clapping a bâti un catalogue dénombrant vingt albums pour quatorze groupes, en plus de sept format court (7″ ou 12″). “Disons que notre modèle économique est quasi le même que celui d’il y a dix ans : tout juste suffisant pour vivoter et se débrouiller.” Et Clapping dans dix ans ? “Impossible de te répondre (silence). Enfin si… le même mais avec plus de moyens et avec un ou deux groupes ayant bien explosé, permettant de financer le reste… pas un truc de masse mais de bons disques qui marchent et qui permettent à la structure de grossir pour se développer et produire dans de meilleures conditions. Je reste persuadé qu’avec les groupes qu’on a, il y a la potentialité de sortir du cercle un peu trop étriqué du réseau indépendant français…” A l’étranger ? “Les disques de Clapping se sont exportés, c’est une réalité. Aujourd’hui c’est plus dur car avec la crise pas mal de distributeurs ont fermé, ce qui nous oblige à tout repenser. Les commandes que l’on a sur notre boutique en ligne viennent d’un peu partout dans le monde, mais en distribution dans les bacs c’est loin d’être la cas… Pourtant on a des groupes qui peuvent rivaliser avec tout ces groupes estampillés Pitchfork ou ceux repris sur des blogs qui aujourd’hui font la pluie et le beau temps… Ils ont le talent et ils le méritent largement. Par exemple regarde Clara Clara, ça défonce largement un truc comme Wavves…“
Pourtant, malgré cet environnement peu propice, depuis 2008 et l’arrivée de François Virot, le label compte quatorze sorties, tous formats confondus, soit autant que lors des huit années précédentes réunies. Preuve en est qu’il existe des solutions, en plus de l’irrémédiable don de soi et du savoir-faire accumulé. Et si solutions il y a, celles-ci ne peuvent-être que collectives. Très tôt donc, histoire de rationaliser les dépenses, Clapping a mutualisé presque tout - sauf de la direction artistique et l’accompagnement des artistes - avec le précité label Active Suspension, et ce par l’intermédiaire de la création d’AS Corpus. Mais une union qui n’est pas valable pour d’autres : Rough Trade, célèbre label anglais, issu des disquaires Rough Trade Shop, fondés par Geoff Travis, et gérés telle une coopérative incluant plusieurs autres petits labels (Rough Trade prenait en charge l’édition contre un pourcentage sur la distribution), n’est pas un modèle et n’est pas amené à le devenir : “Avec A Quick One Records (Paris) Effervescence (Nantes), Herzfeld (Strasbourg), Ateliers Ciseaux (Montréal, Bordeaux), Tsunami Addiction (Paris) ou Les Boutiques Sonores Records (Paris), on discute, on s’apprécie mutuellement, on sort des disques ensemble, mais c’est en one-shot, c’est tout… Il n’y a pas de coopérative, on ne va pas se fédérer... En fait si, on en a déjà parlé, mais chacun est très pris par ses propres activités et on n’a jamais vraiment trouvé le temps de mettre ces grandes idées en pratique.” C’est ainsi que l’album de François Virot est une sortie assumée en disque et mp3 par Clapping et en vinyle par Ateliers Ciseaux, même chose pour Lauter dont l’album a été co-édité avec Herzfeld, pour Pokett avec les Boutiques Sonores Records et French Toast, et bientôt pour les Kondi Duet avec Tsunami Addiction.
Clapping Music s’ébroue donc de ténacité et d’élégance depuis aujourd’hui dix ans. Une décade pétrie de passion et façonnée de choix dont la pertinence n’est pas prête d’éteindre l’affection que l’on porte à ce singulier label. Une attention réciproque puisqu’à cette occasion, en plus de nous gratifier d’un podcast mix écoutable et téléchargeable ci-dessous, Clapping Music offre autant de disques qu’elle ne compte aujourd’hui de bougies anniversaires ! Pour participer au concours, cliquez par là.
Les groupes Clapping
Quelques mois après la sortie du premier album de Clara Clara (AA, 2007), au sein duquel il officie en tant que batteur bruyant, François Virot surprenait son public en publiant Yes Or No, un effort solo intimiste dans lequel la rage joyeuse qui le caractérisait s’était mutée en une mélancolie contenue. Néanmoins, loin du spleen de l’artiste maudit seul face à son instrument, il avait choisi de superposer les couches de guitares et de voix pour mieux exprimer la richesse de sa langueur joyeuse. Deux ans après, les bruits familiers qui habitent ses morceaux - claquements de mains, toussotements - font qu’on s’y sent toujours autant chez soi. Lui-même n’a que faire des comparaisons avec Animal Collective, Panda Bear ou Troy Von Balthazar : Yes Or No sonne plutôt comme un projet personnel, une mise en danger dans laquelle il apparaît aussi timide que sûr de lui. Son chant protéiforme, toujours à la limite du gémissement, exprime tour à tour la joie la plus jubilatoire (Island, Say Fiesta) et la nostalgie la plus délicate (Yes Sun). Et si cet album a souvent été classé dans la case “folk intimiste”, on ne peut que constater qu’il est avant tout, comme la plupart des projets du prodigue François, profondément pop.
Pop progressive post-Soft Machine, indie folk proche de Fleet Foxes, chaloupes caribéennes et envolées noise mais mélodiques rappelant The Flaming Lips… Centenaire, de qui sont-ils l’ « enemy »… Teinté de poésie subtile et de mélodies éthérées, The Enemy inquiète tout autant, et se révèle parfois aussi pervers que le miroir de Lewis Caroll. Ce quatuor formé autour de quatre musiciens expérimentés (Orval Carlos Sibelius, My Jazzy Child, Domotic et Aurélien Pottier) rivalise d’inventivité et accouche d’un album spatial, hypnotique et pourtant brut, d’une beauté et d’une sensibilité inestimable.
Bâti sur les cendres encore fumantes du post-rock éthéré de Cyann & Ben, Yeti Lane prend à contre-pied son passé musical tout en clair/obscur pour nous emmener vers des sommets de pop hybride,insoumise et volontaire.Bien qu’ultra référencé, ce premier album évite l’écueil du mauvais remake en délayant l’évidence de ses influences anglophones avec quelques trouvailles sonores dignes de la complexité et de la hauteur de vue qui, de Christophe jusqu’à Zombie Zombie, caractérise ces artisans du bon goût à la française.
La musique de Lauter est comme un bon bakeoff que l’on dégusterait attablé au Plaza Athénée. Quelque part entre Strasbourg et Paris, Hertzfeld et Clapping, Boris Kohlmayer n’est jamais vraiment ici et pas tout à fait là, entre deux mondes, son folk hybride navigue. A la fois artisanal et incrusté d’orfèvreries, The Age of Reason n’a rien à envier aux meilleures productions yankees et démontre une fois de plus que la scène française des mecs à guitare (Thousand, Leopold Skin) n’a jamais été aussi magnétique.
Bertrand Goussard, alias King Q4, a une discographie que l’on pourrait ironiquement qualifier de pléthorique. Auteur de la première sortie du label Clapping en octobre 2000, avec un album éponyme jetant brillamment les bases d’une électronica enfin française, celui qui se définit lui-même comme un invétéré slaker a préféré se mettre au service du collectif, en assurant les fûts d’Encre, Matt Elliot ou The Konki Duet, plutôt qu’entériner une bonne fois pour toute son autre vision d’une french touch lorgnant de l’autre côté de la Manche (Aphex Twin, Autechre). Si Love Buzz n’est qu’un EP, paru le premier mars dernier via Clapping et le label Help Me Music, à mille lieux du second effort attendu depuis des lustres et décrit par le label lui-même comme la plus grande arlésienne de la musique électronique française, on ne va pas gâcher son plaisir de retrouver King Q4 sur quatre titres à l’hétérogénéité flagrante mais diablement convaincante. L’euphorisant Love Buzz est une reprise d’un des classiques de Shocking Blue, déjà remis au goût du jour par Nirvana en son temps, quand Tekmoon puise sa force d’une IDM accélérée et puissamment carénée de beats trempés d’acier. Et si le son techno-rock, bien cadencé, de Slackploitation se pare de la voix d’Orval Carlos Sibelius, autre figure emblématique de Clapping, Screen fait appel aux vocalises enchantées de Suzanne Thomas (Suzanne the Man) pour une balade électro-pop concluant de ses nappes tourneboulantes un EP qui, on l’espère, aura une suite avant le vingtième anniversaire de Clapping. A défaut, on se contentera de She’s Dead, projet sans concession, réunissant notre homme à la batterie et Daz a la basse.
Alors qu’il était encore en pleine promo du second album de Clara Clara, l’infatigable François Virot présentait déjà son prochain projet, Reveille, pour lequel il faisait quelque infidélité à Amélie et Charles pour s’associer à la batteuse Lisa Duroux. Le résultat pourrait constituer une sorte de lien entre la pop intimiste de Yes Or No, son album solo, et celle, bruyante, complexe et foutraque de Clara Clara : neuf titres électriques parfaitement maîtrisés, portés par la rythmique candide de Lisa et enrobés de la voix si particulièrement fragile de François. Le seul reproche que l’on pourrait faire à cet album concernerait deux ou trois mélodies qui ressemblent un peu trop étrangement à certains refrains de Yes Or No - mais rien qui gâche vraiment le plaisir que l’on prend, comme d’habitude, à l’écoute de chaque nouveau projet de François. Car ce qui plaît chez lui, c’est cette alliance magique entre amateurisme et maîtrise musicale, entre les imperfections et un talent qui touche au génie. Jamais prétentieux, des titres comme Time And Death ou Mirrors ont ce qu’il faut de fragile pour prodiguer à cet album ce prodigieux charme bancal.
Camille Chambon, dans sa mutine fabrique de ritournelles pop synthétiques, se sentait sans doute un peu seule. C’est ainsi qu’après une tournée aux confins d’indicibles continents, en compagnie notamment d’un lutin nommé Virot, Stéphane Laporte (Domotic) et Tom Gagnaire (Charlotte Sampling) s’immiscent alors dans l’onirisme enfantin de Karaocake, histoire de révéler Rows & Stitches, déjà en partie écrit, à la beauté diaphane. Oscillant entre minimalisme mélodique, évoquant les gallois de Young Marble Giants, comptines éthérées, effleurant d’un battement de cils les new-yorkaises d’Au Revoir Simone, et électronique crépusculaire, le désormais trio s’emploie à faire concorder, le temps d’un sourire de cour d’école, grâce et lo-fi, obtenant ici le substrat de quelques songes mélancoliques (Bodies and Minds, It Doesn’t Take a Whole Week, A Kingdom), sensibles (Change of Plans, Medication) ou échevelées (Eeeeerie).
Six ans après Crumble, Stephane Gary, ancien ingénieur du son des bordelais de Calc, que l’on avait pu croiser sur scène en compagnie de Domotic et David Balula d’Active Suspension, récidive : le délicat Three Free Trees confirme, s’il en était nécessaire, un savoir-faire folk-rock insoupçonnable de ce côté-ci de l’Atlantique. Magnifiant son timbre de voix, à l’épure magistrale, d’une orfèvrerie mélodique à la simplicité confondante, le barbu égraine neuf classiques du genre, quelque part nichés entre l’éternel Elliot Smith et les intrépides Nada Surf, conjuguant aussi bien son intimité dévoilée avec acoustique gracile (Take Me Home, Make It Last), électricité scintillante (The Way Down, Livin’ In Here) et excentricité expérimentale (Three More Chords). Coproduit par French toast, les Boutiques Sonores et Clapping Music, Three Free Trees - à l’artwork soigné, une pochette en 3D que l’on peut mirer grâce à des lunettes dispensées dans la version vinyle de l’album - se révèle être un parfait disque de chevet, celui de quelques belles insomnies à contempler un ciel serti de poussières argentées.
Dossier réalisé avec la participation d’Émeline (chroniques et photos), Akitrash et Benoit (chroniques).
Podcast Mix
Podcast mix by Clapping Music Sound System (téléchargeable ici)
01. Steve Reich - Clapping Music
02. Neil Michael Hagerty - Kali, The Carpenter
03. Sunroof - White Stairs
04. Animal Collective - #1
05. Ennio Morricone - Rito Finale
06. Orval Carlos Sibelius - Fabriquedecollyre
07. The Berg Sans Nipple - All People
08. NLF3 - Wild Chants
09. Neil Michael Hagerty - Polesitting Immigrant Boys
10. Captain Beefheart - Flower Pot
11. Broadcast - Microtronics 16″
12. My Jazzy Child- “”
13. Charles Bukowski - Piss and Shit
14. Hair Police - Freezing Alone
15. Sun Araw - Ma Holo
16. Royal Trux - Back To School
17. Citay - First Fantasy