La deuxième rencontre euromaghrébine des femmes écrivaines se tient les 18 et 19 octobre à l’auditorium
de l’Institut national supérieur de musique d’Alger.
Entrant dans le cadre de la coopération entre le ministère de la Culture algérien et la délégation de l’Union européenne à Alger, avec le concours de l’Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et des services culturels des ambassades des Etats membres de l’UE à Alger, cette rencontre littéraire compte la participation de quatorze femmes écrivaines algériennes, marocaines, tunisiennes et européennes. C’est sous le thème «Récit, fiction et poésie comme contribution des femmes à la pensée» que ces écrivaines échangent leurs expériences et points de vue au sein de trois ateliers-conférences consacrés à chacun des genres retenus : «Le récit de vie comme expression de la réalité», «La fiction comme expression de rêve et de changement» et «La poésie comme espace de liberté».
Dans son discours inaugural prononcé hier matin à l’INSM, Laura Baeza, ambassadeur, chef de la délégation de l’Union européenne en Algérie, a soutenu que «l’écriture constitue un des domaines où les femmes ont su imposer leur style et leur signature, avec comme particularité une sensibilité débordante. S’il est historiquement établi que les femmes sont les initiatrices d’une écriture romanesque, l’écriture au féminin se conjugue aujourd’hui sur tous les tons. Des femmes de différents pays, de différentes cultures et traditions viendront enrichir ce dialogue interculturel qui se veut un moyen de rapprochement entre intellectuels, de part et d’autre de l’espace commun qui nous unit, la Méditerranée».
La matinée d’hier a été caractérisée par le passage de six auteurs qui, à tour de rôle, ont débattu sur «Le récit de vie comme expression de la réalité». Dans sa communication intitulée «Revivre en écriture», l’universitaire oranaise Fatima Bekhai a indiqué que le monde est saturé d’informations et d’images souvent partielles, de clichés réducteurs. La littérature permet d’avoir une autre approche de l’autre. La connaissance réduit l’appréhension. «Au XIIe siècle, confie-t-elle, Ibn Rochd s’inquiétait déjà de la condition des femmes. A l’époque, la culture était strictement conjuguée au masculin alors que des voix de femmes existaient.»
Les sociétés ont évolué. Les conteuses étaient recherchées et respectées. «Les poétesses de grand talent qui ont contribué à la pensée, si on les admirait, on ne souhaitait pas le déploiement de leur don hors des murs de la maison. C’était une manière insidieuse et détournée de distiller toute création féminine. Cela a permis aux femmes de construire l’imaginaire.» Pour la conférencière, les femmes ne se contentent plus de raconter, mais elles écrivent et se font éditer. Le phénomène a commencé après la Seconde guerre mondiale quand la gent féminine a eu accès à l’éducation.
«En Algérie, dit-elle, avant la colonisation, la majorité des femmes n’était pas analphabètes. Peut-être que certaines ont écrit des choses et que les hommes se les sont appropriées. Les femmes ont eu accès à l’espace public. En effet, après l’indépendance, elles ont investi tous les créneaux, notamment la littérature. Aujourd’hui, elles dévoilent ce qui était chuchoté par le passé. Elles revivent à travers l’écriture. Ce sont des bâtisseuses de mots.»
Absente de la rencontre, la communication de l’Autrichienne Anna Kim a été lue aux présents. Partant du personnage central d’un grand classique autrichien, incarcéré pendant la guerre, Anna Kim estime qu’une personne disparue est représentée par une photo. Son passé est occulté. Après avoir terminé un de ses romans axé sur les conséquences de la guerre, les mots qu’elle a utilisés alors avaient un sens différent. Anna Kim a reflété le sens des mots. «Plus les mots sont forts, plus ils ont un lien avec la fidélité», argue-t-elle.
Dans son intervention «Que font les femmes des histoires de vie ?» la sociologue Fatima Oussedik a soutenu que le travail d’écriture n’est jamais solitaire.
L’écrivaine tchèque Tereza Bouckova a, dans sa communication «Une raison à soi», fait une réflexion sur son œuvre 82 ans après le récit Une Chambre à soi de Virginia Woolf, fait le parallèle entre sa vie privée et le roman de Virginie Woolf. Selon elle, ce qui se passait dans les années 1928 s’applique de nos jours. Il est impératif de ne pas renier les valeurs. L’écriture de V. Woolf est fragmentée ; elle replace les choses dans son contexte. En partant de sa vie d’écrivaine, Tereza le le voile sur sa vie de mère. Une vie de mère qu’elle ne regrette point, même si V. Woolf soutient que les meilleures auteures n’ont jamais eu d’enfant.
La conférencière a dénoncé les difficultés d’écrire sans subir les pressions des hommes. Selon elle, si Virginia Woolf disait que les femmes qui ont écrit de beaux livres n’ont pas eu d’enfant, Tereza Bouchova dira alors : «Moi j’ai eu trois enfants.» Le roman doit être accordée au corps.Il est à noter que la journée d’aujourd’hui s’annonce des plus riches. Plusieurs communications sont attendues, dont «Forces et périls de l’autofiction» de la Tusinienne Azza Fillali, «Expressions au féminin» de l’Algérienne Zineb Laouedj, «Faits divers» de la Belge Françoise Lalande et «Récit de vie aux prises de l’écriture» de la Marocaine Rachida Madani.
Nacima Chabani
in: El Watan internet 19 octobre 2010
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Téréza Bouckova est une self-made-woman. Elle est auteure, nouvelliste et scénariste tchèque. Elle a été censurée dans les années 1980, car dissidente, affranchie et réfractaire au pouvoir de l’époque
- Vous venez de participer aux 2es Rencontres euromaghrébines des femmes écrivaines à Alger…
Oui, cette rencontre est une première pour moi.
- Une expérience, un échange…
Oui, j’ai participé au thème portant sur le récit de vie. Donc, sur la réalité de la vie. Je crois que les auteures algériennes ont énormément besoin d’espaces pour le dialogue afin qu’elles puissent s’exprimer et justement trouver leurs réalités à elles. Donc, c’était beaucoup plus un dialogue interalgérien qu’euroalgérien ou encore euromaghrébin. C’était plus un dialogue qui relevait de la réalité algérienne. Mais c’était très intéressant pour moi de déclencher ce dialogue.
- Les écrivaines européennes et maghrébines ont-elles les mêmes attentes et autres causes de femmes dans la société ?
Cela fait toujours partie d’un débat ou une discussion sur la littérature féminine. Mais, ici, probablement, la possibilité d’expression est une grande distance entre les hommes et les femmes. Mais, en même temps, quand il y a une discussion comme cela, je crois qu’il faut apprécier la littérature et distinguer la bonne de la mauvaise. Et ne pas faire de distinction entre une littérature féminine et masculine. Mais plutôt la qualité des œuvres sans se soucier du genre.
- Existe-t-il des disparités et autres parité homme-femme dans la littérature ?
Il n’y a pas de discrimination. Mais le destin d’une femme est bien évidemment un peu plus différent que celui d’un homme. Et ma contribution aussi était dans le sens que si une femme se décide de fonder une famille, cela paraît aisé. Mais la possibilité de s’imposer dans la littérature et dans n’importe quel autre domaine est beaucoup plus difficile que pour un homme.
- Etes-vous féministe ?
Il y a certains qui le disent à mon sujet. Mais je ne me sens pas du tout comme cela.
- Vous avez été rebelle et dissidente par rapport à l’establishment et l’unicité de pensée en Tchécoslovaquie…
La femme n’était pas l’héroïne principale. Dans la plupart des cas, c’était des hommes, des héros combattant pour la liberté. Et à leurs côtés, il n’y avait pas de femmes braves. Alors qu’elles comprimaient une pression intérieure et autre fardeau de la famille, l’éducation des enfants… Si les femmes n’étaient pas suffisamment fortes, les hommes n’auraient pas pu tenir. Donc, c’était cela le rôle des femmes dans le mouvement dissident et la révolte contre l’establishment.
- Vous avez un regard cursif sans concession. Vous avez même critiqué le président Vaclav Havel…
(Rires). Je pense qu’il est important d’accepter qu’un homme, en général, a aussi des points faibles. Les héros sont quelquefois aussi faibles. Ce ne sont pas toujours des personnages forts.
- Mais tout le monde adore Vaclav Havel…
(Rires). Moi aussi je l’aime et je l’adore. Mais je crois qu’il faut aussi dire que c’est quelqu’un qui a des faiblesses. Et c’est tout à fait normal de les avoir. Et s’il le faut, on doit en parler.
- Vous avez été victime de censure…
J’ai été interdite de publication.
- Qu’est-ce que vous dérangiez ?
Juste ma personnalité, en fait. Peu importe ce que j’écrivais. Parce que j’avais un nom, mes parents et une sorte d’attitude hostile au pouvoir. Cela dérangeait. D’emblée, j’étais éliminée de pouvoir créer ou écrire. Si j’étais magnanime avec le régime, on m’aurait laissé publier mes livres.
- Dans votre trame littéraire, vous déclinez une antinomie alpha vs oméga. C’est le ying et le yang…
(Rires et soupir). C’est une certaine image de la réalité. Une vision de la vie des deux côtés. J’ai toujours aimé voir cette ambivalence. Il n’y a pas que des hommes parfaits, fins…Chacun d’entre nous a cette dualité. Ce qui est intéressant, c’est de voir toujours ces deux côtés et de faire une sorte d’équilibre entre le bon et le mauvais. C’est-à-dire qu’il ne faut pas voir que les vertus, la bravoure, le courage. Mais aussi le côté obscur.
- Vous avez une écriture autobiographique, narrative et parfois satirique…
Parce que je fais partie des auteurs qui expriment ce qu’ils ont vécu. Si les gens pensent tout ce que j’ai écrit, est la vérité générale… Bien évidemment, j’adapte à mon objectif littéraire et scénariste le récit et l’autobiographique.
- Justement, vous êtes aussi scénariste…
Oui, j’ai écrit deux scénarios. Pour un roman, il faut très probablement que du talent. Et pour un scénario, il faudrait le métier.
- Vous avez une actualité…
Je viens de publier un livre de feuilletons. Une sorte de littérature journalistique.
K. Smail
in: El Watan Iternet 21 octobre 2010