181ème semaine de Sarkofrance : Sarkozy est dangereux... pour la droite

Publié le 23 octobre 2010 par Juan
La réforme des retraites a été adoptée par un Sénat sous pression, vendredi soir vers 20h. Nicolas Sarkozy a gâché son symbole. Il voulait faire de cette affaire l'un des marqueurs essentiels de son quinquennat. Les Français se souviendront de ses gaffes qui frisent l'incompétence, de son autisme qui frise l'indécence, de son injustice qui provoque rage et amertume, et, enfin, de sa mesquinerie qui dépasse l'entendement. Qu'il se pavane à Deauville ou rende visite à une PME pour affirmer sa fermeté, Sarkozy est apparu vert de rage, faussement calme, et provocateur tout au long des 7 jours écoulés contre une opposition sociale devenue protéiforme, spontanée et sans contrôle. Vendredi, le spectre d'une pénurie d'essence était toujours là. Et un tribunal annulait la réquisition de salariés grévistes à un dépôt de carburant violemment « nettoyé » le matin même.
 Finalement, la chienlit, c'est lui !
Incompétent
Imaginez-vous quelques instants à la place d'un électeur sarkozyste mais sincère. Quelle rage ! Chaque jour, le président Nicolas affiche la preuve de son incompétence. Prenez la réforme des retraites. Sarkozy avait trouvé un nouveau marqueur symbolique de sa présidence : le recul à 62 ans de l'âge de départ à la retraite. En vrai, on sait bien que la mesure n'impacte que la France qui travaille tôt et jeune et les mères de famille aux carrières morcelées. Une broutille. L'âge moyen était déjà de 61 ans, une belle moyenne entre celles et ceux qui étudient tard et les autres qui triment tôt. Depuis le 15 juin dernier, l'ex-trésorier du Premier Cercle de l'UMP tente de nous expliquer, donc, que les modestes doivent bosser plus longtemps car leur espérance de vie a progressé de 15 ans. Jamais, il n'a avoué que son projet devenu loi ignorait les 7 ans d'écarts d'espérance de vie entre ouvriers et cadres. Cette minable réforme, plus symbolique qu'efficace, visait à trouver quelques milliards d'euros d'économies pour les 5 ou 10 ans venir, pas plus. Une façon, pour Sarkozy, de montrer aux marchés financiers et aux agences de notation qu'il redresse les comptes publics, au moins d'ici 2012. Et d'éviter de remettre à plat la fiscalité dans son ensemble.
Du point de vue sarkozyen, cette réformette, donc, aurait dû être adoptée rapidement. Imprudent, le président français a préféré tarder jusqu'à la rentrée de septembre. Quelle erreur ! Le mouvement lycéen a relancé la jacquerie nationale. D'une action encadrée syndicalement et rythmée par de sages journées de manifestations, la France risque l'emballement et le blocage, sur fond de sondages toujours aussi critiques contre l'action du patron de Sarkofrance. En 10 jours, près de 2000 casseurs auraient été arrêtés. Cette semaine, il fallait donc faire adopter cette fichue réforme !
Lundi, les responsables de Sarkofrance découvraient que leurs concitoyens avaient un problème de carburant. Depuis le début, ils sont sous-estimé et minimisé la contestation. Durant le weekend, ils s'étaient essayés à convaincre qu'il n'y aurait pas de pénurie d'essence. Mais lundi, 1500 stations services étaient déjà à sec ou en difficulté. Mardi, le score montait à 2000. Elles étaient 2500 mercredi. Un tiers des départements étaient affectés. Jean-Louis Borloo restait prudent. François Fillon, qui dimanche niait encore le problème, reconnaissait, mardi, qu'il faudrait sans doute 4 à 5 jours pour rétablir la situation. Et partout en France, se multiplièrent des opérations escargots que la police voulait un temps masquer à la presse, des blocages de dépôts ou de lycées, des manifestations plus ou moins spontanées. Sur ce coup, Sarkozy et ses proches ont semblé débordés, surpris, pris de court. Gouverner, c'est prévoir. Sarkozy l'avait oublié.
Crispé
Nicolas Sarkozy partait à Deauville. Rien, dans son agenda officiel, ne laissait penser qu'il y a des grèves, des émeutes, des scènes de « guérilla urbaine », des files d'attente gigantesques devant des stations prises d'assaut. Sarkozy voulait vaquer à ses occupations comme si de rien était : un sommet international en début de semaine, une visite en Eure-et-Loir jeudi, un sommet francophone samedi. A Deauville, Sarkozy retrouvait un rôle qu'il affectionne : donner des leçons au monde, surtout dans la perspective de l'organisation par la France des prochains G20 et G8. Avec Merkel et Medvedev, il a donc parlé du programme nucléaire iranien, de la création d'un Etat palestinien, ou de la coopération « dans les domaines de la sécurité et de la politique étrangère » entre la Russie et l'Union européenne.
Mais bousculé, le président français a dû réagir. Réunion de crise, déclaration (écrite) en conseil des Ministres, petites phrases devant des ouvriers d'une PME jeudi après-midi. L'actualité s'est imposée, même à Deauville. A peine arrivé, Sarkozy fit signer à Merkel une déclaration commune franco-allemande, au sujet de la discipline budgétaire des Etats membres de l'Union européenne. Le texte prône un mécanisme de sanction « plus automatique » contre les Etats en situation de déficit public excessif, « tout en respectant le rôle des différentes institutions ». En juin dernier, Angela Merkel proposait déjà une mesure similaire, mais le monarque français s'y opposait. En octobre, Sarkozy est aux abois, et veut prouver à ses concitoyens qu'il « n'y a pas d'alternative » à la rigueur.
Le lendemain, jour de grève et manifestations dans toute la France, Nicolas Sarkozy avait l'air épuisé, crispé, blafard :  « j'ai beaucoup réfléchi avant d'engager la réforme des retraites en France. (...)  Je comprends l'inquiétude.  (...) C'est un choix difficile, complexe, mais c'était mon devoir » Sur l'estrade dressée à Deauville pour la conférence de presse du sommet, il voulait éviter la petite phrase qui fâche, mais son naturel a pris le dessus: « Dans une démocratie, chacun peut s'exprimer mais on doit le faire sans violence et sans débordement. (...) il faut faire très attention à l'arrivée d'un certain nombre de casseurs. » 
Provocateur
Dès son retour à Paris, il tenait une réunion de crise. Ses conseillers propageaient aux journalistes cette image d'un Sarkozy « chef de guerre ». Mardi, entre 1,2 et 3,5 millions de manifestants avaient à nouveau foulé les pavés dans quelques 260 cortèges en France. La bataille de chiffres sur la mobilisation intéresse peu. A l'Elysée, la tactique a donc évolué : il faut vendre que la mobilisation sociale s'essouffle mais se radicalise; et que cette radicalisation dérape de pire en pire; qu'elle est le fruit d'une minorité de grévistes d'une part, et de casseurs infiltrés dans les cortèges lycéens, d'autre part.
Dès mercredi, la présidence publiait une déclaration officielle de Nicolas Sarkozy, entre fermeture totale (pas de nouvelles concessions) et fermeté (contre les blocages de carburant et la casse). On allait voir ce qu'on allait voir ! Sarkozy avait ensuite laissé son clone Hortefeux prendre le relais et s'agiter devant les journalistes. Qu'aux manifestations à répétition depuis 10 jours la réponse gouvernementale fut sécuritaire ne choque personne. Le patron de Sarkofrance veut nettoyer la contestation au Kärcher. Il faut faire peur à la « majorité silencieuse », en accumulant les exemples de casses et de violences dans les lycées et villes de France, en fustigeant la pénurie de carburant qui menacerait services publics et d'urgence. Hortefeux a crié, calmement : « le droit de manifester, ce n'est pas le droit de casser, le droit d'incendier, le droit d'agresser, le droit de piller. » Hortefeux a hurlé, calmement, contre le blocage de l'approvisionnement en carburant: « Ces actes sont inacceptables, mais ils sont aussi irresponsables.»  Puis le ministre a filé à Lyon, pour un show médiatique, avec 70 journalistes invités, de la (fausse) réunion de travail avec des responsables de police à une descente dans les rues du centre-ville.
Irresponsable à son tour, Hortefeux à Lyon ressemblait au Sarkozy provocateur de l'automne 2005, quand ce dernier était venu promettre à la Courneuve, près de Paris, qu'il nettoierait « au Karchër » la  « racaille » : provocateur et inefficace. La police manque de moyens, les Renseignements Généraux ont été désorganisés depuis de leur absorption en juillet 2008 au sein de la DCRI. Leur patron a d'ailleurs démissionné cette semaine.
Le lendemain, à Bonnevall, en Eure-et-Loir, Sarkozy visitait une PME fabriquant des casseroles et autres ustensiles de cuisine. Il a poussé d'un cran l'attaque contre la contestation : « On ne peut pas être le seul pays au monde où, quand il y a une réforme, une minorité veut bloquer les autres. Ce n'est pas possible, ce n'est pas ça la démocratie. » Quelle phrase ! Sarkozy est un président minoritaire, impopulaire comme jamais, qui donne des leçons de démocratie.
Injuste
A l'Assemblée, les députés UMP ont donné une belle illustration de leur engagement démocratique. Ils ont rejeté une proposition de loi socialiste visant à légiférer sur le conflit d'intérêt. Le projet visait à interdire le cumul d’une fonction ministérielle avec des responsabilités au sein d’un parti politique et de prévenir plus largement tout conflits d'intérêts. On pense à l'affaire Woerth. Evidemment, le gouvernement était contre, tout comme le député/avocat d'affaires Jean-François Copé. Le sous-ministre en charge des relations avec le parlement, Henri de Raincourt, expliqua donc qu'il valait mieux attendre toutes sortes de travaux de commission avant de légiférer.
Ce n'est pas la première fois que les dirigeants de Sarkofrance bottent en touche quand une proposition de réforme concerne leur clan.
Le 9 septembre dernier, le camp UMP avait ainsi refusé un amendement porté par François de Rugy (Vert) qui supprimait le cumul des retraites par les parlementaires. La semaine dernière, le Canard Enchaîné nous apprenait comment Eric Woerth, quand il était ministre du Budget, s'est activé pour prolonger la vie d'un fond de retraite qui bonifiait les pensions des anciens conseillers généraux de Picardie. Eric Woerth est un ancien conseiller général de Picardie... Surpris ?
Dans l'affaire Bettencourt, opposant Liliane à sa fille Françoise, le procureur de Nanterre et proche de Nicolas Sarkozy a demandé le déssaisissement de la juge Isabelle Prévost-Desprez, qui instruit l'affaire Bettencourt (mais pas l'affaire Woerth). Il a carrément enquêté sur elle, et demandé à des policiers de se procurer les factures téléphoniques détaillées de deux journalistes du Monde.  Le Monde a annoncé qu'il déposait une nouvelle plainte contre X pour violation de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale, « qui impose au procureur de demander à des journalistes une autorisation avant de se faire communiquer leurs factures détaillées. » L'Elysée veut mettre au pas, par Courroye interposé, une juge trop indépendante. Vive la justice !
De son côté, l'Assemblée nationale poursuivait ses travaux sur la loi de finances 2011. Et l'on reparle de la coûteuse et inutile défiscalisation des heures supplémentaires. 4 milliards d'euros s'envolent chaque année sans qu'aucun impact favorable sur le pouvoir d'achat (le fameux gagner plus) ou l'emploi (travailler plus) ait pu être démontré. Ce dispositif n'a servi qu'à maquiller des hausses de salaires. Vendredi, l'augmentation de la TVA sur quelques 20 millions d'abonnements ADSL a été votée. Vive l'injustice !
Contesté
Sarkozy, dit-on, est persuadé que « l'opinion va finir par se retourner.» Il mise sur la gêne occasionnée par les grèves sporadiques mais nombreuses; il espère que les violences choqueront. Il cherche des soutiens, s'imagine qu'une majorité silencieuse la défendra le moment venu. Les sondages, pourtant, restent catastrophiques pour le pouvoir. D'autres enquêtes, secrètes mais officieusement communiquées par quelques conseillers élyséens à des journalistes soigneusement choisis, révèleraient que « le taux d'acceptation de la retraite à 62 ans remonterait : il serait désormais de nouveau majoritaire, à 52 %
Vendredi, dernier jour avant les vacances de la Toussaint, quelques 185 lycées étaient toujours bloqués.  Les 12 raffineries sont toujours en grève. Et les organisations syndicales ont d'ores et déjà annoncé deux nouvelles journées d'action, les 26 octobre et 6 novembre prochain.
 
Près de Toulouse, 200 manifestants près d'un  dépôt de carburant Total avaient été repoussés à la bombe lacrymogène jeudi soir. Plus grave, le lendemain, vers 3 heures du matin, un préfet avait envoyé un bataillon de CRS débloquer la raffinerie de Grandpuits, en Seine et Marne et réquisitionner 170 grévistes. L'évacuation fut violente, trois manifestants furent blessés, des bombes lacrymogènes lancées. Deux jours auparavant, Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, et Jean-Louis Borloo juraient la main sur le coeur que le droit de grève était sacré, qu'ils ne s'en prenaient qu'à une minorité qui bloque le pays. Jean-Louis Borloo, expliquait que « le rôle d'un gouvernement, c'est de garantir le droit de grève, de garantir le droit de manifester, de protéger les manifestants (...) mais en même temps, le droit de circuler, le droit de travailler sont des droits également importants, donc il faut toujours faire la synthèse. » La nuance est subtile, l'argumentaire peureux ou hypocrite.
En réquisitionnant la quasi-totalité des grévistes, Sarkozy attaquait le droit de grève. Tout simplement. Et d'ailleurs, un peu plus tard dans la journée, le tribunal administratif de Melun a suspendu l’arrêté préfectoral qui réquisitionnait des salariés grévistes de la raffinerie. 
Cette semaine, le Sénat a été contraint d'examiner, au pas de charge, le texte sur les retraites. Jeudi, le gouvernement a fait raccourcir les débats. La réforme a pu être votée sans grand changement vendredi soir vers 20h. A l'incompétence et la violence, Sarkozy ajoute la couardise, effrayé qu'il est d'assumer le débat que tout le monde réclame.
Les mélanges d'intérêt, la confusion des genres, la protection de quelques-uns aux détriments du plus grand nombre, les provocations verbales et sécuritaires d'une Présidence des Riches, tout est fait pour exaspérer.
Ami sarkozyste, où es-tu ?