[Semaine thématique] Le "château" gascon et lo casthèt "gascon"

Publié le 23 octobre 2010 par Wawaa

J'étais à la base partie pour faire un petit aparté linguistique sur le mot "château" en gascon, réfléchi rapidement mardi  soir en feuilletant succinctement mon Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, mon Dictionnaire élémentaire de Français-Gascon et mon petit précis intitulé Initiation au Gascon de Robert Darrigrand et trouvé par chance dans un vide-grenier pour la très modique somme de 1 euro.

J'ai ensuite jeté mon dévolu sur l'ami moteur de recherche et je me suis retrouvée sous une pluie d'informations. Tant mieux ! Plutôt qu'une note légère, à la limite de l'indigence, j'ai décidé de déblatérer à ma façon sur le château gascon sous deux angles : l'angle linguistique et l'angle architectural … histoire de varier les plaisirs gascons !


Le "château" gascon.

Petit détour étymologique oblige pour vraiment savoir de quoi l'on parle quand on évoque le terme de "château". Il vient du latin "Castellum" qui vient lui-même du mot "Castrum" qui signifiait "camp militaire" et avait une dimension plutôt défensive. C'est pourquoi dès le Moyen-âge on emploie le mot château au sens de "forteresse/citadelle fortifiée/cité forte". On parle d'ailleurs de motte "castrale" pour désigner les premiers lieux d'installation de certaines communes anciennement ou encore fortifiées. Le mot dans le langage de l'époque comporte plusieurs déclinaisons en "Chastiax, chastiaux, chastau, chastel …". Ne me demandez pas un cours de syntaxe de l'ancien français, je crois avoir oublié trop de choses depuis le temps ! Il va glisser vers le sens de "demeure seigneuriale/résidence royale/ belle demeure de noblesse". Probablement pour cette raison, on a fini par inventer l'expression "Château fort" pour  désigner les châteaux "forteresse" même si cela reste d'un point de vue étymologique et sémantique vraiment pléonastique à mon sens. Il fallait de toutes manières faire une différenciation pour ne pas confondre deux types d'édifices qui n'ont pas du tout les mêmes fonctions.

Mais revenons au gascon. Nous n'y disons pas "château", ni "chastau" mais "casthèt, castèt, castet, castex, castel …". Le dictionnaire donne  uniquement "casthèt" mais on en voit de nombreuses formes dans les textes, les noms de lieux et les noms de personnes. Le mot semble en gascon, ne pas avoir suivi l'évolution du Français moderne, et être resté plus proche de sa racine latine mais c'est là la spécificité des langues occitanes à influence latine, ibérique, très chantantes. Cela constitue l'une des raisons pour laquelle je n'ai jamais envie de parler de "patois" ou de "dialecte" concernant les langues régionales, mais de LANGUES à part entière. Comme dans toute évolution linguistique, c'est la population et sa manière de parler qui aura sans doute fait que nous avons plusieurs mots pour dire "château" en gascon. J'en reviens toujours à la même chose quand je parle de la langue gasconne, mais il est vrai que la Gascogne est un dense melting pot de peuplades de tous horizons mais aussi une région à la géographie très accidentée, très vallonée, qui a pu séparer divers groupes d'individus au sein desquels des évolutions linguistiques d'une même base latine ont pris des chemins différents … Il n'est donc pas étonnant de retrouver diverses forme du mot "château" dans les toponymes et patronymes gersois. On y trouve même l'exemple de "Castillon" qui se rapproche plus du "castillo" espagnol, des influences du basque, de l'ancien français ou d'autres langues qui auraient pu être parlées sur le territoire à certaines époques. Et puis, si l'on s'amuse à prononcer ces diverses déclinaisons en articulant soigneusement, on se rendra compte que parfois, les consonnes qui diffèrent d'une forme à l'autre, sont assez proches d'un point de vue de la prononciation… Pas si variés que ça les mots qui veulent dire "châteaux" finalement, non ? Il est en définitif très hasardeux d'avancer des hypothèses… encore moins quand on n'est pas une spécialiste comme moi ! La langue a ses mystères et c'est tout aussi bien, n'allons pas non plus faire des châteaux en Espagne.

Bref, il est de toutes manières indéniable que la référence au "château" est très présente dans le Gers, ne serait-ce que par les toponymes avec les Castelnau, les Castillon, les Castex mais aussi dans les patronymes : les nommés Castex, Castet pullulent dans la région.

Le château, le château-fort, la forteresse est donc quoiqu'il arrive ancré dans l'onomastique gersoise, et même si les châteaux ou fortifications ont disparu à certains endroits, il reste tout de même nos fameuses mottes castrales aujourd'hui chauves de leurs édifices…


La motte castrale de Moncassin

Lo casthèt "gascon"

Virage à 180 degrés vers l'architecture et encore il y reste un lien linguistique puisque l'expression architecturale de "château gascon" est considérée par de nombreuses sources d'informations comme un "label", "une appellation d'origine contrôlée" car vu leur spécificité, il leur fallait une dénomination particulière. On aurait pu les appeler "maison forte à deux tours", mais les appeler "château gascon" a été quand même la meilleure idée qui soit car cette architecture est véritablement particulière à la Gascogne et quasiment répandue que dans Gers et le Lot-et-Garonne.

Uniques en leurs genres, originaux, jamais vu ailleurs, typiquement gascon, on les a vus éclore sur les collines gersoises au XIII e et XIV e siècle. Evidemment, j'aime ça ! J'arrive à peu près à  les reconnaitre avec leur plan plutôt simple : une masse rectangulaire avec de part et d'autres une tour assez haute.


Le château gascon de Tauzia

Ces tours ont vraisemblablement des tours de guets, de surveillance et non pas, comme on pourrait le penser, des tours de défenses. Tout simplement parce que les châteaux gascons ne sont pas vraiment équipés d'un système défensif digne de ce nom. On accédait à l'intérieur du château par le premier étage via une échelle ou d'un escalier amovible, ce qui est tout de même une sorte de protection. Cet étage servait de dortoir mais pouvait être aussi un lieu de résidence pour les hautes instances de la noblesse étant donné qu'on a retrouvé dans certains châteaux des aménagements de luxe, des sculptures qui montrent bien que les pièces n'étaient pas habitées que par des gardes ! Ce devait être amusant, tout de même, de voir monter une dame vêtue de sa robe, à l'échelle pour accéder à l'intérieur. Le rez-de-chaussée était un lieu très hermétique, avec très peu d'ouverture sur l'extérieur et auquel on accède que par l'étage, via des trappes et des échelles. Ces pièces du bas étaient la réserve de nourriture, la cuisine  et logeaient d'éventuels domestiques.


A l'intérieur tout était de bois ! Plancher, escalier, échelle, charpente, ce qui explique d'une part qu'il ne reste plus grand-chose de cette époque entre les murs des châteaux gascons qui ont perduré jusque là et ce qui prouve d'autre part que ce n'était pas un château de type défensif : il ne pouvait pas résister à un assaut, et pouvait partir facilement en fumée.

Et pourtant, sans être des châteaux de défenses, certains sont encore debout et ont résisté au temps qui passe, aux batailles, aux intempéries …peut être parce qu'ils avaient de larges murs … ou peut-être parce qu'ils n'étaient pas des cibles car hautement bien placés sur leurs promontoires. Car ces châteaux gascons n'ont pas été construits n'importe où. Ils ont profité de la topologie gersoise très vallonée pour en coloniser les points culminants les plus stratégiques d'où leur fonction incontestable d'observatoire. Du haut des tours, c'était l'horizon à 360 degrés que les gardes pouvaient observer… mais ce n'est pas tout, ils pouvaient aussi communiquer avec les autres châteaux gascons par signaux spécifiques, d'une tour à l'autre, justement du fait de cette position la plus en hauteur possible. Une manière de prévenir les uns et les autres l'arrivée de l'ennemie et de préparer la défense autour des forteresses les plus prisées ?


Le château gascon de Lagardère, comme son nom l'indique "lieu de garde"

Les hypothèses se sont confrontées et succédées ! Certains ont imaginé qu'il s'agissait d'une ligne défensive entre anglais et français à l'époque ou la Gascogne était encore anglaise. Mais c'est toujours cette position sur les points les plus hauts, cette adaptation au relief gascon, qui laisse vraiment à penser que ces tours étaient principalement des systèmes de communications à distance très stratégiques et très ingénieux !

En tout cas, c'est quelque chose qui est typiquement de la région, typiquement gascon, et qui fait partie de l'héritage architectural du Gers. Et c'est toujours un plaisir d'en croiser sur le haut d'une colline verdoyante et fleurie et de se laisser embarquer par une rêverie médiévale surprenante !



Le château gascon de Mansencôme

Conclusion : tout est bon dans le Gascon !