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L’oiseau (Jean Tardieu)

Par Arbrealettres
L’oiseau (Jean Tardieu)


L’oiseau très grand qui survolait la plaine
au même rythme que les creux et les collines,
longtemps nous l’avions planer
dans un ciel absolu
qui n’était ni le jour ni la nuit.
Une cigogne? Un aigle? Tout ensemble
le vol silencieux du chat-huant
et cette royale envergure
d’un dieu qui se ferait oiseau …

Nos yeux un instant détournés
soudain virent descendre la merveille:
c’était la fille de l’aurore et du désir
ange dans nos sillons tombé avec un corps
plus féminin que l’amour même et longue longue
posant ses pieds à peine sur le sol
car le vent de ses ailes la soulevait encore.
Enfin le lisse et blanc plumage
sur cette femme de cristal se replia.
Elle semblait ne pas nous voir
ni s’étonner qu’un lac
au-devant de ses pas s’étendit… déjà
elle y plongeait en souriant pour elle-même
heureuse de se souvenir
des éléments antérieurs
et d’un temps sans limite…
Elle ourdit dans cette eau transparente
les signes d’un langage inconnu
puis s’ébrouant, cernée de perles,
de nouveau brillante et glacée,
elle frappa du pied la terre…
Telle je la vois encore
légèrement inclinée en avant
et déjà presque détachée,
telle nous l’avons vue monter
et disparaître dans l’azur.

C’est depuis ce temps-là que je sais
par quel subtil vouloir
et quels secrets mouvements
nous pouvons voler quand tout dort.

(Jean Tardieu)


Illustration: Patricia Marmier



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