Joe Satriani n’est pas du genre à se reposer. Après avoir composé et tourné avec Chickenfoot, après avoir donné des concerts-hommages à Hendrix (une tournée nommée Experience Hendrix) avec d’autres musiciens de gros calibre (Living Colour, Kenny Wayne Shepherd, Billy Cox …) et deux ans après son précédent disque (Professor Satchafunkilus and the Musterion of Rock), le maître de la six-cordes a le culot de nous offrir un disque soigné et de très bonne facture. Une fois n’est pas coutume, voici une critique au diapason de l’actualité musicale, puisque Black Swans and Wormhole Wizards est sorti il y a deux semaines.
Cet album est globalement plus polarisé que le précédent. Si, sur Professor Satchafunkilus, Satriani se frottait au folklore turc et espagnol, tout en trouvant de la place pour du funk et du rock direct, l’approche de composition sur Black Swans and Wormhole Wizards se veut moins variée, sans que cela ne nuise à l’efficacité de l’ensemble. Je soutiendrai même l’inverse : en se focalisant sur des morceaux qui illustrent bien son style sans tomber le moins du monde dans le cliché, Joe Satriani nous livre un meilleur album qu’en 2008. La production est comme de juste très soignée, le son me fait penser à l’album Crystal Planet (l’un de mes préférés, et de loin). Le jeu de batterie de Jeff Campitelli est toujours aussi agréable à entendre, même si la technique n’est pas extrême, son groove fait mouche. Point intéressant par rapport aux précédents travaux de Satch, les claviers sont joués par un vrai claviériste et son donc relativement plus présents que d’habitude, avec même un long solo (!) pendant Wind in the Trees et un autre, plus jazzy dans Wormhole Wizards . Je trouve que la basse aurait pu avoir plus d’importance, cela dit elle structure honnêtement les morceaux, comme sur Wormhole Wizards. Passons à une analyse plus particulière : on trouve sur Black Swans and Wormhole Wizards plusieurs morceaux de rock instrumental typiquement satrianien, le single Light Years Away en étant l’emblème, avec d’autres comme Premonition qui remplit bien son titre d’ouverture – le thème mélodique est très pur et efficace. God is Crying est l’une de ces compositions émotionnelles à wah-wah que Satriani réussit si bien, et il s’agit effectivement d’une belle réussite. Ce n’est malgré tout pas une resucée d’Always with me, always with you ou Love thing. C’est là l’un des grands points forts de cet album : revenir aux racines tout en proposant du neuf. Ainsi, le maître nous rappelle son intérêt pour les musiques du monde avec The Golden Room, morceau qui démarre sur un thème indien traversé ensuite par un riff flamenco saturé qui sonne metal. Le mélange est du plus bel effet. Satriani revient également au jazz (déjà proposé sur disque avec un morceau comme Ice 9) avec Two Sides to Every Story ou bien le morceau Littleworth Lane, écrit après la mort de sa mère. Black Swans and Wormhole Wizards propose aussi une des compositions les plus expérimentales de Satriani avec Wind in the Trees : une ligne rythmique toute en harmoniques, et une lead atonale avec pédale wah-wah utilisant de l’autotuning (effet utilisé par exemple sur les voix de Chris Brown, Susan Boyle, Justin Bieber ou certains choristes de Glee pour toujours sonner juste) sur une guitare en accordage personnalisé, prenant l’autotuning à contrepied … Déroutant, mais excellent pour peu que l’on accepte de se laisser surprendre. A noter que ce morceau est en travaux depuis que Satriani a 17 ans …
Les morceaux ne sont pas départis d’agréables surprises : j’ai parlé plus tôt des solos de clavier, mais l’album est truffé de moments de génie, comme le refrain de Pyrrhic Victoria, majeur jusqu’au bout des ongles, du jamais entendu dans un morceau de Satriani. La fin de Light Years Away est vraiment prenante, Wormhole Wizards est doté d’un break instrumental, bref, il y a des idées, de l’efficacité et une générosité évidente de la part des quatre musiciens. Point important pour tous les détracteurs de Satriani : il n’y a presque pas de solos de guitares “techniques” dans cet album. Que tous ceux qui crachent sur Satriani parce qu’il ne fait que shredder jettent une oreille à cet opus et peut-être se rendront-ils enfin compte que le style de ce guitariste ne se résume pas au morceau Surfing with the Alien. Peut-être. Quant aux fans de Satch, ils noteront quelques clins d’oeils, comme les bruits de rue de l’intro de Premonition, faisant penser à l’introduction de Surfing the Alien, ou bien le titre de Dream Song (dont la mélodie est partiellement venue en rêve au guitariste), réminiscent de Flying in a Blue Dream.
En bref, un très bon album de Joe Satriani, apportant son lot d’innovations et d’évolutions en se montrant plus fidèle au style de Satch que certains autres disques tout en restant extrêmement efficace et bien varié. A la wah, passant par blues, jazz, et pur rock instrumental satrianien en mode lydien (le préféré du six-cordistes), allant même jusqu’à proposer un court morceau proposant uniquement une guitare clean, nommée Solitude, Black Swans and Wormhole Wizards s’impose déjà comme un album majeur de la carrière de Satriani,et assurément l’uns de ses meilleurs de la décennie passée.
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© Chozodragon pour OmniZine - L'omni-webzine des omnivores de la culture, des sports et de la geekitude !, 2010. | Permalien | Pas de commentaire