Où va la bourse ? Difficile de le dire tant les pronostics sont déjoués avec constance. Il nous semble cependant que le mouvement de hausse actuel ne peut durer sans élément nouveau. C’est plutôt une retombée qui se profile en fin d’année ou au printemps. Pour conforter cette hypothèse, il faut lire les graphiques entre les lignes.
En termes fondamentaux, la croissance américaine stagne. Avec elle, celle de tout le monde développé. Cela malgré les mesures de relance d’une ampleur sans précédent qui ont consisté, ces deux dernières années, à descendre les taux directeur à zéro, à distribuer du pouvoir d’achat via le déficit budgétaire, à faire baisser de force le dollar. Mais les ménages sont endettés, ayant vécu à crédit depuis des décennies, leurs salaires comprimés par le partage des profits admis par défaut, sinon accepté, en raison de la mondialisation et de l’air ambiant conservateur.
La croissance américaine ne repartira que lorsque le chômage baissera. Cela veut dire que les entreprises commenceront à réembaucher parce que la demande monte. Or la demande ne peut pas monter, en interne, tant que les gens restent endettés… La baisse du dollar n’est qu’une façon de tenter de sortir par les exportations de ce dilemme à la japonaise. Mais dans les autres pays développés, en Europe comme au Japon, ce sont les États qui sont très endettés et qui vont restreindre le pouvoir d’achat des ménages par des hausses d’impôts et une baisse de la redistribution. Qui donc achètera les produits exportés par les États-Unis avec leur dollar bas ?
Les désordres mondiaux s’accentuent. Chacun se replie sur soi comme dans les années trente et le protectionnisme renaît. Son dernier nom s’appelle guerre des monnaies, la Chine refusant d’envisager de laisser fluctuer le yuan au gré des marchés pour protéger son industrie – et donc sa société ; les États-Unis se déclarant prêts à faire fonctionner autant que nécessaire la planche à billets pour payer leurs importations, se moquant bien de l’inflation future. L’inflation n’est-elle pas le meilleur moyen, sur la durée, d’éponger les montagnes de dettes de tout le monde ? Nous l’avons suffisamment écrit ici pour ne pas y revenir.
Reste l’Europe, aussi peu « unie » que son nom voudrait le laisser entendre. C’est l’Allemagne qui refuse de payer pour la Grèce, la France qui a un mal génétique à guérir son amour du déficit, les nationalismes économiques qui renaissent sur le choix du TGV Eurostar. Le continent vieillit, les politiciens sont indigents, aucun projet européen n’émerge. Nous restons dans le chacun pour soi. Ni la demande, ni le chômage, ni l’investissement ne sont prêts à relancer la machine. Et de rêver à l’esprit monastère, où chacun vit frugalement de façon immémoriale, protégé de hauts murs… Les Suisses réalisent peu ou prou cet exploit.
Pourquoi donc les indices montent-ils ? L’examen des graphiques comparés montre que le Standard & Poors 500 a réagi plus vite que le CAC 40 depuis le creux 2009. L’examen sur dix ans semble prouver qu’il reste une phase de rechute C en Elliott à venir, vers le niveau 2100 sur le SP500, voire 2050. Mais cela ne vient pas. Le marché serait-il en train d’effectuer une figure en double-top ou en « tête-épaules » avec une tête en mai, une épaule en février et l’autre assez proche ? Auquel cas le schéma serait bien baissier.
Mais le marché joue pour l’instant une autre partition. Il veut croire à la relance par la politique monétaire quantitative (quantitative easing) des banques centrales et surtout de la Fed. Il se dit que les liquidités sont abondantes et qu’il faut bien investir quelque part. Que si l’inflation revient à terme, mieux vaut être sur les actifs réels que sont les actions qu’être sur les dettes que sont les obligations. Si le crédit est trop abondant, il va recréer une bulle ; mais au niveau actuel du prix des actions le risque n’est pas encore fort, le pire serait la stagnation des cours durant des années. Nous avons donc à court terme un RSI (Relative Strengh Index ou indice de force relative) en zone positive, au-dessus de 50, tandis que l’indice a dessiné une figure en W et accélère sa patte droite de hausse.
Cet équilibre précaire de croyances et de monétarisme nous semble très fragile. La réussite de la politique quantitative, qui consiste pour la Fed à racheter en masse des titres d’État et même de grandes entreprises pour créer du crédit, est loin d’être assurée. Il faudrait pour cela que les entreprises profitent du crédit abondant pour investir. Et pour investir aux États-Unis même.
• Or les gros investissements d’innovation, dans la technologie notamment, ont été faits. Ceux qui pourraient suivre (la voiture électrique, les économies d’énergie, la production d’énergie alternative) ne sont pas au point ou ne font pas l’objet d’une demande solvable pour l’instant.
• La demande ne renaît pas aux États-Unis pour cause de surendettement des ménages, ni dans les pays développés pour cause de surendettement des États, mais dans les pays émergents. Ce pourquoi nombre d’entreprises américaines va investir en Chine, au Brésil, là où la demande existe et, avec elle, les perspectives de profits. Ils ne créent donc pas d’emplois aux États-Unis ou en Europe.
Quant à l’inflation, si elle revient, cela prendra beaucoup de temps. Les forces déflationnistes sont puissantes dans le monde, à commencer par le réservoir de main d’œuvre chinoise et par la politique délibérée de prix des pays émergents en guerre pour exporter. Sans évoquer l’austérité forcée qui va être le lot des retraités européens en raison du déséquilibre flagrant entre cotisants et ayant droits pour la répartition, et des piètres performances des fonds de pension depuis dix ans pour la capitalisation. Et la charge fiscale pour rembourser toutes les dettes passées.
Ce que nous laissent entendre les graphiques est que le joueur de flûte poursuit sa mélodie, mais que les enfants qui le suivent pourraient bien ne jamais revenir.