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De l’esprit de révolte à la révolte : un pas infranchissable ?

Publié le 21 octobre 2010 par Delits

De l’esprit de révolte à la révolte : un pas infranchissable ?Au début de cette semaine, Olivier Besancenot a appelé à un « Mai 68 aux couleurs du XXIème siècle ». Le rêve révolutionnaire hante toujours l’esprit de certains mais ceux-ci s’égarent dans leurs références historiques. Les caisses de l’État vides, la vigueur de la concurrence étrangère (anglaise à l’époque…), le profond sentiment d’inégalité (de revenus comme de statut) et surtout l’apparente impossibilité de réformer face aux corporatismes et au conservatisme des privilégiés rappelle davantage 1788 que 1967.

La politique de la table rase dans le code génétique du pays

La France ne sait se réformer profondément que dans la douleur. Seuls de grands mouvements populaires, aux accents souvent insurrectionnels (1936, mai 68), ou des événements dramatiques (guerre de 1870, Libération, Guerre d’Algérie), ont permis de faire table rase du passé pour entrer dans un temps nouveau. Or, depuis 50 ans, aucun événement historique majeur n’a suffisamment ébranlé le pays pour le transformer. La France a donc dû apprendre à se réformer, à s’adapter en dehors de toute circonstance exceptionnelle, à l’instar des pays démocratiques « tempérés ». Pourtant, là où les Allemands ont réussi à repousser l’âge légal de départ de la retraite à 67 ans (effectif en 2028) en concertation avec l’ensemble des partenaires sociaux, dans un certain consensus politique, le volcan France entre en éruption lorsqu’il s’agit de repousser à 62 ans la retraite, contre l’avis de l’opposition, des syndicats et de la majorité de la population.

Un terreau d’insatisfaction exceptionnellement fertile

Comme Délits d’opinion l’a évoqué à plusieurs reprises, les Français apparaissent comme l’un des peuples les plus pessimistes pour leur pays parmi l’ensemble des États « développés ». La crainte du déclassement social, le chômage structurellement élevé, le sentiment que la France perd toujours plus de terrain par rapport à ses voisins et, plus généralement, le sentiment d’impuissance face à des évolutions aussi redoutées qu’inéluctables peuvent expliquer en partie cet état d’esprit.

Pourtant, il existe un facteur de gronde qui pourrait générer, au-delà de l’abattement, de la révolte : les inégalités sociales. Selon TNS Sofres, 67% des Français estiment que la société est de plus en plus inégalitaire depuis une dizaine d’années, contre seulement 24% qui pensent qu’il n’y a pas eu d’évolution. Selon eux, les inégalités concernent d’abord le salaire. Le dîner au Fouquet’s, le bouclier fiscal, l’affaire Bettancourt ou les milliards de Jérôme Kerviel ont alimenté un imaginaire collectif, qui s’appuie d’ailleurs sur une réalité démontrée par les économistes : les inégalités de revenus et de patrimoine se sont considérablement creusées depuis quelques années.

Or, les inégalités apparaissent naïvement plus faciles à combattre que le chômage, la délinquance ou le réchauffement climatique : la loi peut réviser intégralement la fiscalité, alors qu’une baisse de la délinquance ne se décrète pas. La question des inégalités, connexe à un grand nombre de thématiques, constitue en quelque sorte la mère nourricière de l’ensemble des mouvements de contestation. Le large soutien accordé par l’opinion au mouvement social sur les retraites, ne trouve-il-il pas également son origine dans la grogne à l’encontre d’une politique accusée de maintenir l’équilibre de la société dans ses inégalités actuelles ? Le peu de considérations accordées aux élites (journalistes, politiques ou même les syndicats recueillent des scores de confiance très minoritaires) peut contribuer à renforcer le sentiment que l’impulsion salutaire ne viendra pas de la France d’en haut légaliste.

Une tentation insurrectionnelle

Face à des situations sociales extrêmes, les Français savent se montrer indulgents, lorsque le désespoir pousse certains à agir dans l’illégalité. Ainsi, au printemps 2009, alors que l’actualité était rythmée par des fermetures d’usines, près de 45 % des Français estimaient, selon CSA,  que la séquestration de patrons par leurs salariés constituait une méthode d’action « acceptable ». Les ouvriers, en première ligne sur le front des délocalisations, n’avaient pas le monopole de l’empathie puisque 4 cadres sur 10 comprenaient et soutenaient également ces actions. Cette inclination est d’autant plus naturelle que les Français éprouvent particulièrement peu de sympathie pour le capitalisme ou pour les grandes entreprises : respectivement 69% et 61% en ont une mauvaise opinion, selon Viavoice.

L’ont dépeint volontiers les Français comme pessimistes mais résignés. Un sondage a récemment tordu le cou  à cette idée : 45% d’entre eux se décrivaient comme « révoltés » par la situation économique et sociale, plutôt que « résignés » (21%) ou « confiant » (18%). Pourraient-ils passer du sentiment à l’action ?

Le rempart du pouvoir : une génération désenchantée

Deux facteurs bloquent tout espoir / crainte d’une éventuelle grève insurrectionnelle de vaste ampleur. Le premier tient à la mentalité des jeunes d’aujourd’hui, fer de lance de nombreuses révolutions par le passé en France ou dans d’autres pays (pensons aux jeunes en Iran). Or, s’ils se montrent particulièrement antisarkozystes (27% d’entre eux seulement en ont une bonne opinion contre 37% des Français selon l’Ifop), ils ont néanmoins perdu l’esprit de rébellion et d’engagement que le jeune âge développait auparavant. Ainsi, parmi les valeurs prioritaires des jeunes figurent la famille (largement en tête, 77%) et la qualité de vie (55%), très loin devant l’engagement (13%) ou la citoyenneté (6%).

Parallèlement, ils se montrent paradoxalement plus légalistes que leurs aînés. Ainsi, ils étaient sensiblement moins enclins que les autres classes d’âges (38% contre 53% des 40-64 ans) à se montrer indulgents à l’égard des salariés qui ont séquestré leurs patrons.

La seconde raison est liée à la nature des revendications exprimées au travers des mouvements sociaux de ces dernières années : les gens se mobilisent avant tout par conservatisme, pour maintenir un statut quo sur une question. En mai 68, l’idéal de liberté animait les étudiants tandis que les salariés réclamaient une revalorisation salariale pour profiter des dividendes de la prospérité qui régnait alors en France. Or, aujourd’hui, c’est le conservatisme qui cimente les manifestants dans les rues. Aucun idéal ne surgit derrière les slogans. Or, sans une part de rêve ou, du moins, l’expression de revendications claires voire d’un programme, comment peut-on donner naissance à un grand mouvement social ?


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