Rencontre avec Féfé : "On m'a dit de lâcher la musique"

Publié le 21 octobre 2010 par Toulouseblog

Au détour du Bikini, on a croisé Féfé pour lui poser quelques questions, mais très vite l'artiste et auteur de l'excellent "Jeune à la retraite" s'est pris au jeu et nous a livré une interview fleuve : Rencontre avec un type aimant le hip hop et ses racines .

Descendant les marches des loges le conduisant au restaurant du Bikini, Féfé semble serein, comme apaisé par son nouveau statut. Derrière des lunettes noires, qu'il enlève aussi tôt, un regard expressif, souriant. L'ex du Saian Supa Crew prend place à la table, vide ses poches pour en sortir son Iphone et deux trois conneries. "C'est parti ! Désolé pour le retard". Féfé nous offre une interview fleuve sur le rap, le Saian, son album et son vécu. Un petit bout de chemin d'une carrière loin d'être achevée. Un mec bien au talent indéniable, et, le public ne s'y trompe guère.

Après l'aventure Saian Supa Crew, maintenant terminée, comment était ton état d'esprit au moment de la rupture ?

(Féfé ému )Je pensais réellement arrêter la musique : « ça sert à rien, j'arrête ». Je ne pouvais pas écrire pour moi comme ça, c'était une période dure. J'entendais des gens , même des proches, ahurissant,  me dire lâche l'affaire avec la musique. Mais c'était viscéral, sporadique, je ne pouvais pas. Je n'y arrivais pas.

Il y a eu forcément un déclic pour concevoir ton album "Jeune à la Retraite" ?

Un ami m'a offert une guitare, et, naturellement je m'y suis mis. Puis de nouvelles mélodies, de nouveaux textes se formaient dans ma tête. Malgré la pression de proches pour arrêter la musique, j'avais des choses à dire. Je me foutais royalement de ne pas réussir, je voulais faire de la musique, et si je gagnais suffisamment d'argent pour nourrir ma famille, c'est parfait. Alors je me suis dit « Fais, Vas-y, Fais toi plaisir c'est tout! »

Je vois que tu ne pouvais pas faire sans. Mais comment on passe à ce nouveau style loin du rap ?
Le plaisir, prendre des risques, cracher tout. Je voulais quelque chose d'authentique, loin du rap. Comme déplacer les murs. Dire des choses, c'est mon essentiel, je m'en fous des modes. Même si je suis fou, j'assure. Et, je vais te dire un truc, tu vois il y a plein de gens qui veulent faire ça. Il y a plein de mecs dans le hip hop qui sont ouverts d'esprit. Des mecs qui kiffent la pop, le rock. C'est bon ça. Il font leur coming out. (Féfé éclate de rire).

Carrément, un coming out au niveau du rap français.
Oui, il y a du monde derrière. Il y a plus de comparaison à faire avec le Saian, et cela me fait du bien, d'autres suivent ce chemin. Logique.

La guitare. C'est un instrument parfait pour délivrer ses messages, comme un Dylan le faisait en son temps.
La guitare fut le déclic émotionnel. Je cherchais au fond de moi, je plaquais des accords sur le manche, et, étrangement ce sont des accords de blues qui sont sortis. Je n'ai jamais écouté ce style de musique. Cette musique me touche, notamment avec ses accords naturels. J'ai donc pris le risque de composer.


Ton écriture, la création des morceaux, sont-elles différentes de celles du hip hop ?

Au moment du Saian, j'écrivais mes lyrics, puis je les corrigeais, les remaniais. C'est un travail long. Là, j'écrivais de suite les paroles. Je méditais les phrases, et quand cela me gênait, j'arrêtais, je pensais à autre chose. Et puis, je faisais du yaourt sur des mélodies et, étrangement, des paroles sont sorties instinctivement.

Le téléphone sonne. Une radio souhaite faire une interview. "T'imagines, mec, je passe derrière De Palmas", il fredonne l'air, puis rajoute, "ma musique a vraiment évolué". Quelques questions après, il s'excuse de nouveau, et reprends la discussion.

Quand on écoute "Jeune à la retraite", on aperçoit de la maturité, pas de message démago, juste de la sincérité. Tu l'expliques comment?
Je vieillis. Tu sais à 16 ans, les flics, tu les pourris, à 20 ans moins. Tu grandis, tu peux rien y faire. J'ai un enfant, je suis responsable d'une famille. Et, je comprends ma mère qui me demandait de l'appeler quand j'étais à la bourre. Je ferais pareil avec ma fille.

T'es à mille lieux des messages rap actuel, qui s'adressent peut être trop aux jeunes de 15 ans.
Je n'aime pas, et je n'ai jamais aimé les discours démagogiques. La question est de savoir comment transcrire la révolte sans caresser dans le sens du poil. Et, puis dans ma cité, je n'ai très peu tenu les murs, je ne fumais pas énormément de pètes, j'étais pas ce genre de type.

Comment tu vois le rap actuel avec tes yeux de vielle figure du mouvement?

Le rap est un animal vivant. J'ai pas honte de le dire : j'aime le rap. Il y a de grand flow et des discours qui s'adressent à tout le monde.

Tu le dis dans un morceau, tu as 30 ans et tu n'as pas honte de faire du rap. Pourtant tes discours sont différents.

On ne demande pas d'être d accord avec les discours. Les rappeurs doivent être des politiques, des électrons libres. C'est selon moi la pensée hip hop.

Le rap, par ailleurs, s'est énormément démocratisé. Il est rentré dans la conscience collective.

On voulais ça. On  ne va pas se plaindre de voir des radios nous passer. Avant on galérait devant les stations pour avoir un titre sur les ondes. Maintenant, on nous passe.

Donc être hip hop, si je te suis, c'est prendre des risques?
Il faut prendre des risques, sinon autant être fonctionnaire. Je suis un artiste, je me dois de créer, que ça soit bien ou pas bien. C'est ça être hip hop.


Je te vois sur scène, t'es une bête. Là depuis le début, je te trouve discret, simple et sincère. Comment se transforme le Féfé sur scène?
Faut revenir aux fondations. La première fois que je suis monté sur scène c'était pour une pièce de théâtre étant jeune. J'étais timide, je le suis toujours, mais au moment où mes pieds ont touché la scène, Waouh.! J'étais bien, je me sentais en harmonie avec moi même. « Putain, c'est bien ici ». Donc, je me lâche.


Tu sors le tigre !
Ouais carrément, j'ai un fauve en moi.( Il imite le Lion). Je me contient toute la journée, et le soir je sors le bordel.

Sur scène, tu passe quand même d'une formation de six mecs à un mec avec sa guitare, quasiment seul sur scène. Pas trop difficile ?
Au départ, c'était difficile. Puis, la fin du Saian c'est comme ça, c'est fini. J'utilise mon savoir de cette période là pour atteindre un gros niveau. Et puis, la première partie de la tournée s'est faite à trois. Maintenant, j'ai un vrai groupe. Mais, j'aimerai utiliser des cuivres sur scène.

Comme The Roots, qui sont la référence.

Exactement. Je veux atteindre ce niveau avec les cuivres. Beaucoup de rappeurs  trouvent ma musique plus hip hop qu'avant. Ils ont raison. J'ai une certaine exigence sur mon travail. Et, je dois t'avouer que je suis hyper strict avec mes musiciens. Les pauvres, venant d'un mec qui connait même pas le solfège.


Une question qu'on te pose toujours : En période de mouvement social contre la réforme des retraites, ton album "Jeune à la retraite", est parfait. T'as fait exprès, dis moi.
J'aurais tellement aimé. Ce n'était pas mon état d'esprit à ce moment là.  Pendant cet album, il y a eu un éloignement de ma part du champ politique. En plus de Sarkozy élu, j'étais gavé par les jeux du cirque politique. Plus je grandis, plus ça me gave. Je n'ai confiance en personne.


Oublions la politique. Parles moi de ton exorcisation sentimentale dans l'album.

C'était un état des lieux, des douleurs à exorciser en effet. J'avais besoin de ça, à ce moment là. Ca m'a fait du bien.


Le nouveau Féfé est un mec cool qui a quand même une nomination au prix Constantin aux côtés de Zaz, Gush, Stromae ou encore Ben l'Oncle Soul. T'en penses quoi?

C'est Cool. C'est tout, c'est cool. ( Il sourit, ses yeux s'illuminent et se gorgent de reconnaissance).

Pour Féfé, il est temps de faire les balances pour le concert. Il échappe un dernier au revoir, sourit à nouveau comme le long de l'interview. Puis, s'excuse de devoir partir. Il file tranquillement, écharpe partiellement nouée autour du cou vers la salle. Sa guitare l'attend, il va pouvoir plaquer ses accords blues qui ont fait son succès, et, ont engendré le nouveau Féfé. Rideau.

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