Karkwa, apparemment, se sent bien à Paris. Les Québécois s’y sentent tellement bien qu’ils ont d’ailleurs décidé de prolonger un peu, comme un rappel géant : quelques jours après un concert "officiel" au Divan du Monde, les Québécois ont remis ça au débotté, pour les copains, ceux qui n’étaient pas là, pour ceux qui veulent (enfin !) commencer à se laisser happer par les bourrasques folles de leur dernier et magnifique album, Les chemins de verre, sorti depuis quelques mois au Québec, pas encore officiellement annoncé en France.
Ils jouent, surtout, pour le plaisir : il transpire presque littéralement du concert des garçons, joué devant un comité ni trop petit ni trop grand, venu en connaisseur, venu aussi supporter un groupe qui peine encore à briser les frontières hexagonales. C’est le paradoxe formidable du groupe : si ses morceaux, tempétueux et rageurs, lettrés et abyssaux développent des atmosphères plutôt sombres et graves, ils sont toujours portés avec la légèreté de la brise par des types à l’évidence adorables.
Le concert est joué dans une belle grâce, une fougue de jeunes amoureux ; les nerfs sont tendus mais les idées sont en liberté, le groupe se marre entre les morceaux mais ne déconne plus du tout quand il s’agit de souffler le brûlant ou le glacé, ou l’alternance des deux dans des clairs-obscurs électriques et saisissants, s’applique à rendre ses montées vertigineuses et ses descentes effrayantes.
Ecrire des morceaux comme Les chemins de verre, Moi-léger, Oublie pas ou Le compteur, pour n’en citer que trois, suppose de naître avec de l’or dans le sang mais le groupe, déjà parti de haut, grimpe d’année en année vers des cimes qu’on ne pouvait qu’à peine soupçonner et a désormais pris, c’est une certitude, une amplitude démentielle. Découverts ou redécouverts sur scène, les morceaux des Chemins de VerreLes tremblements s’immobilisent et Le volume du vent. impressionnent jusqu’à la chair de poule : ils sont clairement plus fins, plus beaux, plus dynamiques encore que ceux des précédents C’est dire. Sans forcer, les garçons ont remporté il y a quelques semaines le Prix Polaris, devant Caribou, Owen Pallett, The Besnard Lakes ou Broken Social Scene - dans un monde logique, dans un univers ordonné et si la justice divine n’était pas qu’une vaste plaisanterie, botterait le cul d’à peu près tous les groupes de rock du monde et de Navarre, francophones ou pas.
article des Inrocks du 21/10/2010 | 14H10