...Il y avait les blessés et ceux qui cherchaient les leurs. Ils se regardèrent et d'un commun accord ils se mirent à aider les gens autour d'eux. Myrlio s'occupa des blessés, sa mère lui avait appris à remettre en place un membre cassé et bien d'autres choses dont la connaissance lui fut fort utile. Même les petits garçons aidèrent de leur mieux. Ils prirent spontanément la main de cette femme qui cherchait partout son mari et ses enfants et firent avec elle bien des tours. De temps en temps elle s'arrêtait, les prenait dans ses bras, pleurait puis repartait. Spiranza se montra très courageuse et elle aida Myrlio à panser de nombreuses plaies. Il devint médecin ce jour là. La femme s'appelait Fedra elle finit par retrouver son mari, il était bloqué sous un tronc d'arbre. Les garçons allèrent chercher Myrlio tandis que Fedra pleurait et riait en même temps. Hasdrubal fut dégagé mais sa jambe brisée saignait. Il fallut toute la science du jeune homme pour remettre en place l'os, recoudre la plaie et apposer une attelle. Hasdrubal perdit connaissance pendant l'opération mais Spiranza et Fedra qui l'immobilisaient tinrent bon. Rassurée sur le sort de son homme Fedra reprit Iwo et Veit par la main et elle repartit à la recherche de ses enfants. Ce soir là tous sombrèrent de fatigue mais leur nuit fut peuplée de mers cauchemardesques. Fedra ne retrouva pas tous ses enfants, la mer lui prit une fille et un garçon et des deux qui lui restèrent l'une était blessée et l'autre traumatisée. Là aussi l'aide de Myrlio fut précieuse. Il allait souvent avec les garçons et la petite fille de Fedra chercher des herbes pour apaiser les douleurs des blessés et elle reprit peu à peu goût à la vie. Iwo et Veit y contribuèrent largement inventant pour elle mille facéties. Ils restèrent là de nombreux mois aidant ensuite à la reconstruction des maisons et des bateaux. Le temps passa, le village reprit vie, Myrlio et les siens y avaient désormais leur place.
La lagune finit par les appeler. Malgré la peur qui les tenaillait l'envie de repartir se fit plus pressante. Spiranza voulait savoir si des membres de sa famille étaient encore en vie. Elle n'avait plus peur d'affronter son ancien mari, Myrlio en les sauvant elle et ses enfants l'avait, selon une antique coutume, libérée de ses anciens serments. Myrlio voulait revoir le cairn de sa mère et cette lagune qu'il aimait tant. Leurs barques avaient été emportées avec les arbres qui les tenaient mais ils avaient retrouvé la corde de Malya. Myrlio construisit une autre embarcation et ils se préparèrent à partir. De nombreux villageois avaient tenu à les aider pour les remercier. Ils lui avaient même appris à ajouter une voile au bateau et Fedra la tissa elle-même avec l'aide de ses filles rescapées. Le jour du départ arriva. Tout le village était là, chacun avait tenu à apporter quelque chose à "leur médecin". Hasdrubal semblait porter le paquet le plus lourd "Voici pour toi, Myrlio, pour vous remercier toi et ta mère grâce à qui tu as traversé la mer". Il posa au sol son paquet enroulé dans une toile : la tête de sa mère le regardait avec bienveillance, ses beaux cheveux longs étaient superbement restitués par la pierre. Ses yeux s'emplirent de larmes et les deux hommes s'embrassèrent. "Je veux que tu reviennes chaque année nous voir, car chaque année une nouvelle tête t'attendra." Et c'est ainsi qu'Hasdrubal, le tailleur de pierres tint parole et sculpta la tête de tous les membres de la famille qui les avait aidés. Ces têtes suivirent Myrlio et Spiranza dans leur reconstruction de Torcello. Les filles d'Hasdrubal épousèrent Iwo et Veit renforçant les liens entre les deux familles. Myrlio transmit à Veit et à la fille qu'il eut avec Spiranza tout ce qu'il savait sur la médecine. Iwo et sa femme reprirent l'atelier de taille d'Hasdrubal. La vie avait repris ses droits comme l'avait souhaité Malya. Elle pouvait être fière de son fils et de ses descendants. De nombreux siècles s'écoulèrent aussi vite qu'un levée de semences. Trop de malheurs s'abattirent sur ces peuples de la lagune qui délaissèrent Torcello pour une île plus grande, plus saine et mieux protégée côté mer. Le cairn de Malya a disparu de toutes les mémoires mais pas son visage. Toi lecteur qui souhaite le voir il te suffit de te rendre à Venise à la fondamenta de le Sechere. Tu pourras même voir tous les membres de cette famille car génération après génération tous les aînés garçons ou filles se sont transmis ces cinq précieuses têtes, jusqu'à ce que la dernière représentante se voyant sans héritier les offre à la ville elle-même en les coulant dans la façade de sa maison. Alors songe en regardant cette maison et ses cinq têtes à Malya, Myrlio, Spiranza, Iwo et Veit qui comme tant d'autres ont écrit avec leur vie et leur courage la légende vénitienne. Marie-Sol Montes Soler(cette histoire écrite par mon amie Marie-Sol est sortie de son univers imaginaire et merveilleux à partir de ma photo des cinq têtes...)