Si je devais trouver une qualité au sarkosystème, c’est de pourvoir à sa propre perte par la multiplication de ses gaffes et de ses maladresses, objectif que l’opposition, dans on état actuel, ne semble pas en état de réaliser.
Après avoir emmené Bigard voir le pape, et inscrit cet éblouissant groupie au bas de la longue liste de ses thuriféraires, qui s’honore déjà entre autres, rappelons le, des augustes noms de Steevy, Mireille Matthieu, Sevran, Laporte, Bruel, Clavier, Drucker, Doc Gynéco (tiens ? perdu de vue, celui là ?) et autres phares de la culture, le conducteur de notre TGV étatique a décidé d’appliquer à ses ministres l’évaluation tellement à la mode dans le monde de l’entreprise.
Je ne sais pas si vous avez vécu des évaluations dans votre entreprise. Pour ma part, c’est de toute ma carrière, l’avatar dont j’ai les pires souvenirs. Si elle est menée par un supérieur hiérarchique direct, elle est l’objet des pires hypocrisies et des règlements de comptes les plus sournois.
Lorsqu’elle était menée par moi, elle n’avait aucune valeur objective, car j’aurais perdu le sommeil si j’avais dû, d’une croix dans un carré autre qu’« excellent », menacer la carrière ou l’avancement du collègue qu’on m’ordonnait de juger alors que ma propre conscience m’en contestait le droit.
Lorsque l’évaluation est conduite par « un organisme indépendant », vous découvrez que le panel de critères de votre évaluateur, qui ne connaît rien à votre travail, a été élaboré avec un cadre supérieur de votre boîte qui ne connaît pas davantage les spécificités de votre boulot, et s’obstine à s’attacher à des trucs qui n’ont rien à voir avec la qualité de votre produit, l’organisation rationnelle de votre service, met en cause les bonnes relations que vous avez patiemment bâties avec vos subordonnés, compromet l’équilibre social que vous avez établi dans la juste répartition des tâches et des plannings, met en avant des objectifs théoriques qui sont plus nuisibles qu’utiles à l’achèvement de votre tâche et vous laisse avec un environnement professionnel ravagé par le passage d’un cyclone technocratique. Alors, déjà, l’évaluation, à part dans l’esprit de quelques rares cadres supérieurs précisément payés pour manier la férule, ce n’est pas un procédé bien populaire.
Mais appliquée au gouvernement et aux ministres, c’est une dérive, une imposture, une prise d’otage. C’est imposer aux affaires publiques dont le peuple français devrait rester seul juge le décalage technocratique, l’abîme d’incompréhension qui peut exister entre les clichés « d’un évaluateur indépendant » et la situation professionnelle de terrain que vous gérez de votre mieux lorsque ce cravaté avec son attaché case vous tombe sur le râble un beau matin où vous avez justement plein de trucs utiles à faire.
Même en supposant que les ministres soient vraiment compétents, ce qui est une autre gageure, on ne fait que leur compliquer la tâche. Quand j’étais petit, je demandais à mon papa (qui était de droite) comment un ministre qui passait du jour au lendemain de l’industrie à l’agriculture pouvait connaître ses dossiers et les problèmes qu’il avait à gérer. En bon cadre supérieur qui maniait les mots avec l’agilité d’un champion de scrabble, mon papa m’expliquait que le ministre était une charnière entre le « domaine d’activité » dont on lui attribuait la gestion et le monde politique dont il était un professionnel.
Déjà là, je voyais un problème. S’il y avait charnière, c’est qu’il y avait porte. Pourquoi y avait-il une porte entre les citoyens et leurs élus ? Pourquoi la politique était-elle une carrière à parts entières ? J’étais délégué de classe, allais-je en faire une carrière ?
Le décalage, on le constate quand on voit entre autres une ministre de l’agriculture s’aventurer dans une cour de ferme avec des talons hauts, un ministre de la pêche incapable de reconnaître une sole d’un cabillaud ou un sarko promettre du pouvoir d’achat en « évaluant » sa méthode pour assurer le sien. Mais là où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit de la conduite de la République.
Qui d’autre que le peuple français est en position d’évaluer son gouvernement ? A qui d’autre ses gouvernants peuvent ils rendre de comptes si ce n’est aux électeurs ou à ses représentants, les députés ?.
Quelle légitimité peut avoir un cabinet « indépendant » pour évaluer précisément ce qui est commun à tous ? « Indépendant » signifie privé… Mais privé ne signifie pas indépendant ! Puisque précisément les affaires d’une officine privée se font dans un contexte de marchés d’entreprises où tous les Français ne sont pas représentés en tant que tels. Loin de là.
Un cabinet d’audit est aussi « indépendant » qu’un média qui vit de la manne publicitaire d’importants annonceurs. Si ce client s’en va, le bateau coule. La démonstration de cette iniquité est d’ailleurs contenue dans les tentatives faites pour en justifier le principe.
On veut évaluer le ministre Hortefeux sur le nombre d’immigrés renvoyés au bout du monde. Faut-il rappeler qu’au moins pour la galerie, monsieur Hortefeux est ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, et que c’est plutôt sur des objectifs d’intégration et de rassemblement que sur des performances de discrimination qu’il conviendrait de le juger ?
Il n’a pas le profil pour ça, me diras-tu. Eh bien, justement, c’est la preuve qu’un cabinet d’audit privé est incapable d’évaluer objectivement un ministre qui semble obsédé par la partie discriminatoire de ses prérogatives et dont aucune médiatisation ne montre l’activité dans ses autres domaines de tutelle.
En dessous de cette écume, la lame de fond enfle et prend de la consistance. Dans mon billet n° 133, j’avais écrit qu’il nous faudrait surveiller la réalité de la suppression de la caution de paiement exigible par les bailleurs lors de l’attribution d’un logement. C’était dans la promesse. Bien visé ! La loi est votée, et cette mesure est passée à la trappe.
Certes, la caution de garantie a été ramenée de deux mois à un mois. Mais le principe du riche papa qui se porte caution des paiements de son rejeton locataire a été discrètement, mais fermement maintenu. Les fils à papa et neveux à tontons continueront donc à se voir attribuer les logements en toute priorité, et les pauvres fils du peuple à rester sur le trottoir.
Si Rama Yadé, après sa sortie contre la visite de Kadhafi, est piteusement rentrée dans le rang, Fadela Amara, elle, semble réagir à la perte de reconnaissance des siens à la suite de ses propos glandouilleux, et déclare maintenant qu’en 2012, elle ne votera pas Sarkozy.
Remarque, ce n’est qu’une réserve, mais pas vraiment de l’hostilité, attendu que rien ne prouve que Sarkozy aura les moyens d’être candidat en 2012. Il y a beaucoup d’iceberg sur sa route d’ici là, et il navigue si vite… En tout cas, elle s’expose de face à l’acrimonieuse pusillanimité des grands inquisiteurs évaluateurs, qui ne manqueront pas de rapporter qu’elle connaît trop bien son terrain pour faire un bon cadre !
Et puis Sean Penn a été nommé président du jury du prochain Festival de Cannes. Sean Penn, c’est le résistant à la machine hollywoodienne, le réalisateur avec lequel des dérives comme « I am legend » (mon billet n° 139) n’ont aucune chance de se produire. C’est un indépendant qui préfère faire un petit film libre bien à lui qu’un gros machin sous la férule d’un producteur de major. D’ailleurs, ses prises de position contre la guerre en Irak l’ont définitivement confiné hors du block-busters system. Après la palme d’or attribuée à Michael Moore, qui était certes peu artistique mais tellement utile, elle rappelle que le cinéma est plus qu’un art, c’est un média qui ne doit pas se laisser détourner à des fins de propagande et doit garder sa liberté d’expression, d’innovation, d’indépendance et de création. .