Le Point.fr : La réforme des retraites doit être votée jeudi par le Sénat. Allez-vous respecter ce délai ou tenter de repousser le vote comme les députés socialistes l'avaient fait
?
Jean-Pierre Bel : Rien n'est sûr. Le gouvernement ne maîtrise plus grand-chose sur l'ordre du jour. Nous aurions dû terminer l'examen de ce texte en fin de semaine dernière mais
il est extrêmement long. Il concerne non seulement les retraites mais aussi l'égalité salariale entre les hommes et les femmes ou encore la médecine du travail. Cela prend évidemment bien plus de
temps que ce que Nicolas Sarkozy imaginait. Et puis nous avons tenu à imposer un vrai débat, à aborder tous les points. Il reste encore 400 amendements à examiner. Par ailleurs, dès la semaine
prochaine, une commission mixte paritaire va devoir se prononcer sur le texte et il est prévu que le vote solennel du Sénat n'intervienne qu'après, dans le cas où nous n'arrivons pas à le faire
jeudi, ce qui repousserait encore l'adoption du texte à la semaine prochaine.
Votre manière de procéder a-t-elle permis au Sénat d'obtenir des avancées ?
Ce qui a été obtenu est extrêmement marginal et ne concerne qu'une infime partie de la population. Il ne s'agit même pas d'avancées mais d'éviter à certaines personnes de reculer, en décidant
qu'elles ne seraient pas touchées par la réforme Sarkozy : les mères de famille nées entre 1951 et 1954, qui ont élevé trois enfants et pris pour cela une année de congé pour s'en occuper, ou
encore les personnes ayant élevé des enfants handicapés. Cela représente un spectre très étroit et ne remet absolument pas en cause la philosophie du texte ni son architecture.
Martine Aubry a répété ce week-end qu'il fallait "suspendre" le débat au Sénat. Cela ne rend-il pas vos critiques sur l'actuel projet moins audibles ?
Nous sommes totalement en phase avec ce que dit Martine Aubry. Au Sénat, nous avons réussi à imposer le débat entre le projet de la droite et le projet de la gauche, et notamment des socialistes,
qui partent de principes complètement différents, alors que le gouvernement avait pour ligne de conduite de dire "il n'y a qu'une réforme possible". Maintenant, il faut discuter avec les
syndicats, ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent. Le débat a fait apparaître un certain nombre de difficultés, 70 % des Français sont hostiles au projet de loi et cela ne faiblit pas. Nous
sommes favorables à une réforme mais le gouvernement doit remettre les choses à plat.
Il y a peu de chances alors même que Nicolas Sarkozy a qualifié lundi cette réforme d'"essentielle"...
On peut considérer qu'une réforme est essentielle tout en prenant en compte les points qui posent problème. Le temps de la négociation a été escamoté, que ce soit avec les partenaire sociaux ou à
l'Assemblée nationale. Le débat n'a pas eu lieu : nous demandons au gouvernement d'être raisonnable.
Le pays est bloqué parce que les gens ont le sentiment de ne pas être entendus.
Justement, le mouvement social s'intensifie, la mobilisation lycéenne prend de l'ampleur, la perspective d'une pénurie de carburant approche. Ne craignez-vous pas que le débat sur la
réforme des retraites devienne secondaire ?
Quand les gens manifestent ou se mettent en grève, ils font écho au combat que nous menons au Parlement. Dans une démocratie, il y a une démocratie sociale et une démocratie parlementaire. La
démocratie sociale s'exprime en France où on a le droit de manifester et de faire grève. D'autant que, face aux manifestants, Nicolas Sarkozy et le gouvernement n'entendent rien, ne veulent
discuter de rien. Quant à la démocratie parlementaire, elle s'exprime totalement au Sénat.
La mobilisation doit-elle se poursuivre après l'adoption définitive du texte ? De nombreux socialistes rêvent d'un CPE bis...
Nous sommes des républicains. Une fois la loi votée, elle s'impose à tous. Mais je ne crois pas que les problèmes liés à cette réforme s'achèveront après le vote par le Sénat. On a vu avec le CPE
que rien n'est joué lorsque la mobilisation sociale et la mobilisation parlementaire convergent. Dans le cas du CPE, la loi n'a jamais été appliquée. Nicolas Sarkozy serait bien inspiré de ne pas
s'enferrer au vu de ce qui se passe en France depuis trois semaines. Le président de la République pense qu'une fois la loi votée, elle sera portée à son crédit mais il aura accumulé tellement
d'amertume et de déception dans l'opinion qu'il en paiera le prix politique en 2012.
Vous pensez que cette réforme des retraites peut coûter sa réélection à Nicolas Sarkozy ?
La réforme des retraites pourrait en effet peser dans les grands choix qu'auront à faire les Français en 2012. C'est dans un an et demi, c'est une bonne échéance pour faire le bilan de tout ça...
Il n'en a pas fini avec le dossier des retraites.
Source : Le Point
Cependant il faut espérer que les français n'aient pas oublié cette reforme dans 1 ans et demi, ou qu'ils ne se soient pas "habitués à l'idée".