Internet devient un nouveau moyen de diffuser un spectacle
Internet est de surcroit un univers particulièrement propice au développement narratif, pour les marques. Si les marques ont longtemps vécu avec l’idée selon laquelle elles ne pouvaient disposer que d’un seul site Internet, elles ont aujourd’hui largement assimilé que le Web leur offre l’opportunité d’avoir un ou plusieurs sites différents. De créer des sites éphémères. De développer des espaces d’expression à l’intérieur d’autres sites, comme John Galliano le fit au sein du site Eluxury.com. De déployer plusieurs formats d’expression conjointement (site institutionnel, sites de marques, blog, espaces sur Myspace.com ou sur Second Life.com, boutique sur eBay.com, corner sur Amazon.com)…
Internet présente des avantages majeurs, en comparaison des autres supports d’expression traditionnels des marques : défilés, médias (magazines, affichage, télévision, cinéma…), magasins, show room, salons, catalogues… pour développer un récit de marque.
Tout d’abord, contrairement aux défilés, aussi spectaculaires que courts, Internet permet une élaboration plus continue du récit de la marque en maintenant une présence en ligne permanente.
Ensuite, le faible coût de l’espace média sur Internet, couplé à la mesure d’audience et d’efficacité qu’il permet, fait de lui un média particulièrement abordable, comparé aux médias traditionnels et donc attirant économiquement pour les marques.
Par ailleurs, les espaces physiques d’expression de la marque, comme les magasins, leurs vitrines, les showroom, les stands des salons ou les catalogues, offrent par nature aux marques des surfaces d’expression limitées (nombre de corners ou de points de vente, taille et profondeur des vitrines, nombre de pages des catalogues papier…).
Internet est quant à lui un espace d’expression illimité à l’intérieur duquel rien n’empêcherait une marque de créer une infinité de sites web, contenant une infinité de pages…
Autre mini-révolution à l’intérieur de l’imagerie de mode, Internet permet de changer, de corriger, de transformer une annonce, ou tout autre contenu, après sa publication (c'est-à-dire après sa mise en ligne.) Les régies publicitaires Internet font souvent valoir cet argument pour défendre leur média contre les autres. L’une des forces d’Internet est de pouvoir mesurer en temps réel les résultats d’une campagne dés les premiers jours, voire les premières heures, de se faire rapidement une idée des résultats escomptables et de changer intégralement ou partiellement l’annonce publicitaire, en cours de campagne, afin d’augmenter ses performances, si cela est nécessaire.
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Lamarthe a su très ingénieusement profiter de la variété des formats possibles sur Internet. Le créateur de sac n’a pas réalisé plusieurs sites, mais littéralement mis en abîme des formats internet les uns à l’intérieur des autres, pour développer un récit de marque.
La page d’accueil du site Lamarthe.com, en noir et blanc, présentait la couverture d’un livre, posé sur la nappe en papier blanc d’une table de bistrot parisien. Le logo Lamarthe Paris habillait sa couverture sobre et élégante. Il nous était offert d’ouvrir ce livre. La page de garde reprenait les codes graphiques de la collection NRF de la maison Gallimard et révélait le titre de l’ouvrage que nous feuilletions : Elettra dans la ville. On comprenait alors qu’il allait s’agir d’un film car cela était discrètement précisé, comme le nom de Zoé Cassavetes. La simple évocation de Cassavetes nous transportait au cœur des années soixante, du cinéma d’art et d’essai, de la nouvelle vague. Nous étions entrés au cœur du Saint Germain des Prés, des années soixante.
La page suivante nous plongeait encore plus à l’intérieur de l’atmosphère germanopratine, en décrivant Elettra la jeune fille en ces termes : « frondeuse et légère, rive gauche en diable, jolie à tomber, de l’esprit à revendre, Lamarthe c’est Elettra, Elettra, c’est Lamarthe. »
Le film en noir et blanc était tourné dans le style des films de la nouvelle vague. Le personnage d’Elettra était interprété par Elettra Rossellini, fille de l’actrice Isabella Rossellini et du mannequin Jonathan Wiedeman. Il s’agissait d’un véritable court-métrage dont la voix off est assurée par non moins que Jean Luc Godard. Le sac d’Elettra, la jeune fille, se trouvait naturellement au cœur de l’histoire dont le décor était naturellement constitué par des rues du quartier latin, le jardin du Luxembourg.
Elettra réalisait qu’elle était suivie par un mystérieux homme. Un jour elle oubliait son sac à main Lamarthe. Son téléphone portable sonne. Le suiveur a trouvé son numéro dans son sac. Il lui dit qu’il l’aime. Elettra l’éconduit. Puis regrette. Elle le cherche en vain jusqu’à l’été suivant sans jamais le retrouver. La voix de Jean-Luc Godard conclu en disant que « la morale un peu idiote de cette histoire est qu’une jeune fille ne doit jamais se séparer de son sac à main».
Les précisions apportées à la fin du livre numérique, sur la parenté de Zoé Cassavetes (fille du cinéaste John Cassavetes et de l’actrice Sonia Rowlands) refermaient cette atmosphère nouvelle vague.
La consultation du livre pouvait se poursuivre sur le mode du feuilletage classique et permettre de découvrir la collection Printemps-été de Lamarthe, à l’intérieur d’un site web plus classique, offrant les contenus de rigueur d’un site de marque : historique, collection, actualité, liste des points de vente, services, etc.
Ce faisant, Lamarthe mettait en abîme des formats de narration les uns à l’intérieur des autres (un film, dans un livre, lui-même dans un site web) alors même que le récit proposé mettait en abîme des figures du cinéma (John Cassavetes, Isabella Rossellini), une époque du septième art (les années soixante), un style de cinéma : la nouvelle vague, le cinéma lui-même et enfin Internet. Et ceux, à l’intérieur d’une marque-créateur, de produits dans lequel ont met des choses : des sacs à main.
Il en ressortait une expérience esthétique et émotionnelle à la hauteur de ce que le cinéma sait faire de mieux en tant que septième art. L’œuvre, puisqu’il s’agit ici bien d’une œuvre, dépassait largement la simple création publicitaire. Sans recourir au talent de l’un des plus grands, comme le fit Apple avec Ridley Scott pour la sortie du Macintosh en 1984, ou Chanel avec Jean-Paul Goude, ou tant d’autres marques avec tant d’autres grands, la marque Lamarthe fit cadeau d’une authentique œuvre d’art.
L’exemple de Lamarthe fait ressortir un avantage complémentaire du média Internet, pour les marques de mode.
Internet est pourvoyeur d’un format d’élaboration graphique atypique. Il se trouve à la croisée de la presse écrite (on y trouve du texte et de l’image), de la télévision (on y entend des sons, des musiques) et d’autres formes d’accès à l’information qui naquirent avec Internet (téléchargement, réception d’e-mail, séance de chat, etc.). Il est dynamique, en mouvement, au moment où l’utilisateur regarde la page, ou interagit avec elle. Les marques de mode, dont ont connaît les affinités avec la presse et l’affichage, se sont habituées à travailler avec des photographes de mode, sur des surfaces en deux dimensions (annonces presse, affiches, abris-bus, publi-rédactionnels), travaillant et retravaillant encore et toujours leurs codes d‘expression, sur des supports statiques. Internet leur offre l’opportunité de revisiter leurs approches graphiques en se confrontant à un format plus riche, plus dynamique et plus évolutif.
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L’exemple de Terre d’Hermès.
Le site accueillait le visiteur au son d’une mélodie lancinante qui démarrait avec le vent, accompagnée par le son furtif du galop d’un cheval, avant de le suivre tout au long de sa navigation.
Un magnifique paysage désertique, d’abord flou en raison de l’extrême chaleur du soleil, finissait par laisser place à une phrase qui donnait le fil conducteur de l’expérience que l’internaute s’apprêtait à vivre : « Laisser votre sensibilité s’exprimer entre terre et ciel ».
Ces quelques mots véhiculaient l’idée même de la navigation proposée sur le site. Une partie inférieure de Terredhermes.com, symbolisant la terre et offrant des expériences en analogie avec le sable. Une partie supérieure, évoquant le ciel et proposant d’autres expériences, métaphoriquement plus aériennes.
L’ambiance générale émanait du mélange d’une nature sauvage mais calme, d’une chaleur que les âges eux-mêmes ne semblaient ne jamais avoir atténuée, de références aux couleurs de la marque (ocre orangé, orange Hermès, bruns des célèbres cuirs de la maison.)
La nature y était domestiquée puisqu’on y entendait la course d’un cheval et que l’on y voyait un homme. Ce dernier, qui était peut être le premier homme, conférait à l’ensemble du tableau, une pointe de virilité, d’élégance, de raffinement et l’idée de l’intervention de l’homme sur le monde.
Dans le film publicitaire, diffusé au cinéma et sur le site, l’homme entrait en contact avec les éléments de la nature. Il jetait du sable ocre vers le ciel, pour que celui-ci forme un nuage de poussière orangée. Ses expériences du désert se poursuivaient au travers de plusieurs autres films réalisés par différents artistes et consultables sur le site.
Le site faisait en réalité écho aux notes et tonalités de la fragrance.
Il était proposé aux internautes de concevoir leur propre œuvre en utilisant les éléments graphiques du film de départ et de publier leurs réalisations sur le site Terredhermes.com, grâce à la rubrique « Imaginez, donnez vie, créez votre alchimie… »
La fonctionnalité intitulée « Laisser le temps s’écouler en Terre d’Hermès » proposait de télécharger un écran de veille évoluant en fonction de la position du soleil. Celui-ci permettait à l’internaute de rester en contact avec la marque, en se remémorant l’expérience vécue en ligne, au-delà du temps de la consultation du site. Le fond d‘écran fournissait l’heure et permettant de voir le soleil se lever et se coucher, comme si l’on dormait à la belle étoile dans le désert du Tassili. La marque s’invitait ainsi dans l’univers immédiat du client sans intrusion et prolongeait son exposition.
Le H de Hermès, en volume en dessous du flacon du parfum, laissait son emprunte dans le sable ocre orangé du désert. La possibilité de marquer à son tour le sable de l’emprunte d’une main, d’y écrire un texte et de transmettre l’image ainsi constituée à un ami, était également offerte. Cette fonctionnalité, appelée « Laissez votre empreinte entre ciel et terre », renvoyait l’internaute au geste primordial de l’homme qui apposa la forme de sa main sur les parois des cavernes. Hermès nous rappelait qu’il y a une sagesse innée du corps et de la nature, une harmonie cachée entre l’homme et le monde, nous renvoyait à notre élévation au stade d’homme créateur, nous proposait de voyager au travers du temps et de notre propre évolution.
Les thèmes du récit proposés sur le site Terredhermes.com étaient le temps, la nature, l’homme, les sens, la création de l’homme, la communication, le voyage, l’ennoblissement de la matière par la main de l’homme. La façon de l’évoquer était particulièrement fine et judicieuse.
A titre d’exemple, la référence à l’alchimie permettait de renvoyer à l’idée de la transformation d’une matière ocre orangée (le cuir) en produits magnifiques (la maroquinerie Hermès), par analogie avec le sable que les alchimistes transformaient en or. Le caractère secret de l’alchimie renvoyait en parallèle au savoir faire unique d’Hermès. Sa dimension initiatique rappelait le carré Hermès, offert à la jeune fille et symbole du démarrage d’une nouvelle étape de sa vie. Son ancrage dans le cœur de Paris (à la tour Saint Jacques notamment où Nicolas Flamel travaillait), renvoie à la ville même de la maison Hermès.
L’empreinte du H du flacon du parfum dans le sable, associée à celle de la main de l’homme, évoquait combien l’homme a su, grâce à ses sens, produire du beau, inventer les arts, s’élever à l’esthétique, se raffiner à travers les âges.
Les deux principaux éléments de la narration habituelle de la marque étaient naturellement présents. Le cheval que l’on apercevait furtivement et dont on entendait le galop. Le voyage, avec la courbe du soleil qui voyageait en ouvrant et en fermant la carrière du jour dans le fond d’écran téléchargeable, et les messages constitués à partir des empreintes de main, envoyées à un ami, qui évoquaient un séjour effectué dans un désert.