Le gouvernement de David Cameron annonce des coupes sombres budgétaires sans précédent dans l’histoire du Royaume-Uni. Pour le volet militaire de ces décisions, il s’agit de l’application de conclusions sans concessions d’une Strategic Defence and Security Review. Les moyens mis ŕ disposition de la Défense de Sa Majesté seront amputés de 8%, ce qui va donner une image de peau de chagrin aux trois Armes. Et, en s’attachant plus particuličrement aux matériels volant, on constate qu’il s’agit purement et simplement de la fin d’une époque.
Les jours heureux oů l’industrie aéronautique d’outre-Manche vibrionnait, innovait, s’imposait, déjŕ mis ŕ mal depuis de nombreuses années, ne seront bientôt qu’un lointain souvenir. Pire, pas une seule valeur refuge ne subsistera, mis ŕ part l’inoxydable Eurofighter (dont la série sera sans doute trčs diminuée) et les ultimes versions du Hawk.
Tournant une fois de plus le dos ŕ l’Europe, Londres s’était résolument engagé dans le programme F-35 Joint Strike Fighter américain dont Lockheed Martin est maître d’œuvre. Mais la Royal Navy va maintenant ętre obligée de renoncer ŕ son intention d’en commander la variante ŕ décollage vertical, ce qui revient aussi ŕ dire que le Sea Harrier n’aura pas de successeur, pas męme américain, premier pas vers une Marine mise ŕ nu.
Symbole des symboles, le porte-avions Ark Royal sera retiré du service, la construction du Prince of Wales et du Reine Elizabeth poursuivie (parce que le point de non retour est dépassé) mais l’un des deux sera trčs probablement revendu, aussitôt terminé. Côté Royal Air Force, l’achat d’A400M est maintenu (22 exemplaires), ainsi que celui de 14 ravitailleurs A330. Mais le patrouilleur maritime MRA4 Nimrod est abandonné, sans qu’un successeur ne soit envisagé, mesure qui met un terme ŕ un extraordinaire gâchis financier en męme temps qu’ŕ une interminable succession d’échecs techniques.
La fin du Ťnouveauť Nimrod (notre illustration) fait resurgir des souvenirs lointains. La cellule du quadriréacteur est en effet celle du Comet 4 et son concept originel, dű ŕ de Havilland, a donc une soixantaine d’années ! La version militaire était née du refus anglais de participer au développement et ŕ la production du patrouilleur Breguet Atlantic, confié ŕ un consortium multinational. Cette fois-ci, la page est définitivement tournée, en espérant que le livre Guinness des records pense ŕ ouvrir ses pages au Comet/Nimrod.
On l’a compris, il ne s’agit plus d’engranger d’illusoires dividendes de la paix d’aprčs guerre froide mais d’endiguer une dangereuse hémorragie budgétaire, voire une faillite de l’Etat. Dans l’industrie, les commentaires sont étrangement flegmatiques, voire hypocrites. En témoignent les propos tenus par Ian Godden, président d’AeroSpace, Defence and Security, groupement professionnel au sein duquel se retrouvent notamment les anciens membres de la défunte Society of British Aerospace Companies. Tout en reconnaissant qu’il s’agit d’un moment difficile, Ian Godden affirme que c’est aussi un nouveau départ. Et d’ajouter qu’il apprécie la clarté des mesures qui viennent d’ętre annoncées …
Le Royaume-Uni aéronautique s’enfonce ainsi davantage dans son recul. Il est vrai que les grands industriels l’ont bien cherché, ŕ commencer par le puissant groupe BAE Systems, obsédé par la globalisation et, surtout, le développement de son implantation aux Etats-Unis. Qui plus est, il a résolument tourné le dos ŕ l’aviation civile, vendu ses parts dans Airbus, abandonné au milieu du gué l’avion régional BAe 146 (sans męme construire d’ultimes exemplaires commandés). Précédemment, męme l’aviation d’affaires avait été cédée au plus offrant.
David Cameron est trop jeune pour comprendre l’infinie tristesse qui envahit les grands anciens du secteur. L’heure n’est pas ŕ la nostalgie mais aux regrets, sachant que c’est l’Europe tout entičre qui est concernée. Par ricochet, la France se trouve investie de responsabilités nouvelles, sans nécessairement avoir les moyens de les assumer.
Signe des temps, au moment oů le gouvernement britannique annonce ces brutales mesures d’économies, l’Arabie saoudite confirme sa décision de commander 84 F-15SA (SA pour Saudi Advanced) et de moderniser 70 autres F-15 déjŕ en service. Ce contrat de 60 milliards de dollars constitue non seulement un sujet de grande satisfaction pour Boeing mais souligne une fois de plus –si besoin est- que le Vieux Continent ne se porte pas trčs bien, face ŕ l’unique super puissance.
Dčs lors, il serait malvenu d’exprimer une quelconque satisfaction suite aux décisions britanniques. Elles traduisent un affaiblissement qui est aussi le nôtre.
Pierre Sparaco - AeroMorning