Capital et travail sont dans un bateau

Publié le 21 octobre 2010 par Copeau @Contrepoints

Certes la réforme des retraites domine l’actualité. Elle est devenue davantage un combat politique qu’un débat économique ou social. D’ailleurs, ce débat a-t-il eu lieu ? La réforme s’est ramenée à un ajustement paramétrique mineur alors qu’elle aurait dû mettre en cause le système lui-même. Pour avoir fait l’impasse sur la capitalisation, on aura certainement l’occasion d’y revenir puisque rien n’a été réglé, et les déficits continueront à se creuser, les cotisations à augmenter et les pensions à diminuer. Toujours est-il que l’arrière plan des manifestations, grèves et prises d’otages est maintenant la guerre que la gauche a déclarée à la majorité actuelle et à son leader, le Président de la République.

Mais voici que, fidèle à sa technique de communication, Nicolas Sarkozy veut changer de terrain de bataille. Depuis quelques jours le sujet de la réforme fiscale est sur le point de passer au premier rang des discours et des rencontres. Accusé d’avoir proposé une réforme des retraites injuste, pénalisante pour les Français les plus modestes, voici qu’il cherche à refaire sa popularité sur une réforme des impôts qui peut passer pour « juste », la justice consistant comme on le sait  à faire payer les riches et redistribuer largement aux pauvres. Pari audacieux pour le Président : il ne peut impunément convaincre la droite (et être soutenu pour le recul de l’âge des retraites) puis convaincre la gauche (qui le suivrait pour la suppression du bouclier fiscal). A vouloir convaincre tout le monde, on finit par ne convaincre personne.

Le nouveau discours porte sur l’effort fiscal fourni réciproquement par le travail et par le capital. Travail et capital, cela ne signifie déjà rien, sinon dans la vulgate marxiste. Les socialistes et leurs économistes (Piketty, Sapin) ont décrété que le travail était surimposé en France. D’une part ils assimilent travail et salariat, comme si les entrepreneurs, les artisans, les professions indépendantes ou les épargnants ne fournissaient aucun « travail ». D’autre part il est vrai que l’Etat et ses administrations prélèvent sur les salaires un impôt scandaleusement élevé, et que la feuille de paye est amputée de moitié par les prélèvements obligatoires. Mais la faute à qui ? Aux fameuses « charges », c’est-à-dire à la Sécurité Sociale, et au système le plus onéreux, le plus anti-social qui soit. Les salariés français payent la protection sociale la plus chère du monde, pour des prestations dont le montant et la qualité ne cessent de diminuer. Est-ce cette fiscalité-là que dénoncent les socialistes et l’Elysée ? Sinon, de quel autre impôt souffre le contribuable en sa seule qualité de travailleur salarié ?

Par contraste le « capital », dit-on, aurait droit à tous les ménagements de la part du fisc français. Il y a donc chez nous une masse importante de riches contribuables imbéciles, puisqu’ils cherchent à abriter leur capital dans des « paradis fiscaux ». Les socialistes y avaient mis bon ordre en créant l’impôt sur les grandes fortunes, que par décence on a fini par baptiser « Impôt Sur la Fortune ». La promesse de Nicolas Sarkozy et de sa majorité de le supprimer n’a jamais été tenue. Mais, à titre compensatoire, pour ne pas être injuste avec les veuves de l’île de Ré, on a mis en place le « bouclier fiscal », et on a inventé un certain nombre de niches fiscale qu’on s’apprête maintenant à supprimer. Hélas, le bouclier est aussi devenu un symbole des « cadeaux faits aux riches » : ces quelque 700 millions d’euros sont sans doute à l’origine du déficit budgétaire de 45 milliards d’euros.

Aujourd’hui des parlementaires de l’UMP engagent le Président à supprimer le bouclier et l’ISF en même temps, pour leur substituer deux innovations fiscales : l’augmentation du taux de l’IRPP pour la tranche supérieure des revenus, et un « impôt sur le patrimoine ».

Passer de la grande fortune au patrimoine en dit long. Le patrimoine concerne des millions de foyers fiscaux français, en particulier ceux qui ont épargné pour acheter une maison ou un appartement. Il concerne encore ceux qui ont investi dans une entreprise, ou simplement ceux qui ont mis de l’argent de côté. Sont ainsi visés les contrats d’assurance vie, forme de patrimoine en pleine progression actuellement, ce qui ne saurait surprendre vu le risque d’explosion du système de retraites. Cela signifie, en clair, que l’on se prépare à piller la propriété personnelle des Français, et pas seulement à « faire cracher au bassinet » Madame Bettencourt.

Cela veut dire également que le concept même de patrimoine est devenu odieux à notre classe politique, de droite comme de gauche. On entend des discours quotidiens sur l’injustice de l’héritage, sur l’inutilité économique des placements financiers. L’idée qu’un homme libre et responsable cherche à accumuler « du bien », à le gérer « en bon père de famille », pour en faire l’usage de son choix, qu’il s’agisse d’aider sa famille, de prévoir pour ses vieux jours, de donner et de partager, cette idée-là est devenue archaïque. La liberté individuelle, c’est ringard.

Peu à peu on nous incite à penser que ceux qui vivent au jour le jour, et qui attendent leurs revenus de la manne publique, sont de meilleurs citoyens que ceux qui préparent l’avenir, et qui bâtissent leur fortune (quelle qu’en soit l’importance) sur leur activité économique. Subventionner les cigales et écraser les fourmis : les cigales défilent dans la rue, et les fourmis sont dans les ateliers, les boutiques et les bureaux.

Opposer le travail et le capital est archaïque, idéologique, immoral et pour tout dire injuste.

Il ne faut pas tomber dans le piège politique qui permet à l’Etat d’accroître ses dépenses en opposant les contribuables des différentes « classes ». Rendre aux salariés leur salaire complet, respecter la propriété privée sous toutes ses formes : voilà la vraie réforme fiscale et qui serait opposé à un tel programme, sinon les hommes de l’Etat toujours avides, toujours en train de remplir le tonneau fiscal des Danaïdes publiques ?