Programmé à Dakar et Louga pour deux concerts live, Tiken Jah Fakoly, promet de « mettre le paquet » en décembre, lors du prochain Festival mondial des Arts nègres prévu au Sénégal. Le chanteur ivoirien, qui souhaite que la fête soit belle, est heureux que l'art et la culture prennent le pouvoir le temps d'un festival.
Tiken Jah Fakoly, qu'est-ce qui explique votre présence au Sénégal ?
« Je suis au Sénégal sur invitation de la Délégation générale du Festival mondial des arts nègres. J'avais dit que je serai là. C'est pour tenir parole que je suis à Dakar pour confirmer ma participation. Je pense que ce festival est une bonne initiative. Pour une fois, on va donner le pouvoir à l'art, à la musique et à la culture. La culture a toujours été négligée en Afrique. Dans certains pays africains, le budget des centres culturels français ou américains est plus élevé que le budget du ministère de la Culture. Aujourd'hui, organiser un grand festival qui va mettre la musique noire en valeur est quelque chose d'historique ».
Quelle forme de participation apportez-vous au festival ?
« Je ferai deux concerts « live ». Un à Dakar le 28 décembre et un autre à Louga le 29 décembre. Avec mon groupe, je suis prêt à mettre le paquet. Je souhaite simplement que les responsables du festival nous assurent le « son et lumière » pour que la fête soit belle. »
Que vous inspire le thème du festival : « la renaissance africaine » ?
« Je n'ai pas envie de parler de renaissance. Personnellement, je pense qu'on parlera de renaissance que lorsque le peuple africain sera réveillé. Lorsque le peuple ne votera plus pour des t-shirts ou des mille francs CFA. Lorsque le peuple sortira véritablement de l'ignorance. Je pense qu'il y a beaucoup de chose à faire avant de parler de renaissance. Le chemin est encore long. Nous sommes sur la bonne voie, dans le processus. C'est là qu'il faut saluer l'initiative du président de la République sénégalais, Abdoulaye Wade. Ce festival est une belle initiative, encourageante et le Sénégal est à féliciter. »
Avez-vous espoir que les mentalités changeront au lendemain de ce festival ?
« Le fait que le festival va mettre la musique noire en valeur dans un pays d'Afrique est très positif. Le Sénégal est déjà l'un des pays d'Afrique les plus connus dans le monde. Hier seulement, j'écoutais un album d'un fils de Bob Marley vivant à New-York et qui parlait du Sénégal. Tout cela pour dire que ce festival va apporter forcément quelque chose de positif pour l'homme noir. Dans notre âme, notre dignité, ce sera indubitablement un pas franchi. »
Ce festival est annoncé dans un contexte particulier qui voit le Sénégal accueillir sur son sol 163 étudiants haïtiens. Quel commentaire en faites-vous ?
« Moi, j'ai vraiment aimé cette initiative. Même lorsque le Président Wade avait émis l'idée d'accueillir des Haïtiens au Sénégal, il y avait des Sénégalais qui n'étaient pas d'accord. Mais, dans notre coutume, le plus naturellement, quand ton frère n'a plus de toit, quand il n'a plus à manger, qu'est-ce que tu fais ? Tu lui offres ton toit, tu lui offres à manger. C'est ce que les autorités sénégalaises ont fait. Elles ont proposé leur toit à ceux qui n'avaient plus de toit. Elles ont proposé de partager leur riz avec ceux qui n'avaient plus rien à manger, ni d'eau potable à boire. Donc, c'est une initiative que j'ai appréciée, le fait que ces étudiants haïtiens viennent ici. C'est quelque chose d'historique. Parce que vous savez, les Noirs sont victimes d'injustice dans beaucoup de pays, ils connaissent beaucoup de difficultés un peu partout dans le monde. Notre salut se trouve dans notre rapprochement, dans notre unité. Donc, des initiatives comme ça doivent être encouragées. Je pense que les autres pays africains doivent faire la même chose. Parce qu'Haïti est le premier pays noir indépendant et le pays qui, je peux dire, nous a prouvé qu'on peut prendre notre destin en mains, avec les Toussaint Louverture. Haïti étant en difficulté aujourd'hui, tous les pays africains se devaient de lui tendre la main. Donc, moi je ne puis que saluer l'initiative du Sénégal. »
Vous pensez que les autres présidents et pays africains doivent faire la même chose ?
« Ha oui ! Je pense que tous les présidents doivent faire la même chose. Je souhaite qu'ils fassent la même chose. Mais tout le monde ne pense pas comme le Président d'ici. Imaginez les 53 pays africains, si chaque pays accueillait 160 Haïtiens. Bien, ces Haïtiens vont être formés ici, continuer leurs études dans de bonnes conditions et une fois rentrés, ils vont bien servir leur pays. Donc, je souhaite que les autres pays africains accueillent les étudiants africains. Tout le monde ne peut pas accueillir 160, mais même si chacun accueillait 10 ou 20 étudiants et s'occupait bien d'eux, cela ne ferait que prouver au monde entier que nous sommes solidaires. Imaginez également, qu'après le tremblement de terre à Haïti, que chacun des 53 pays africains avaient donné 50 millions de francs Cfa, cela ferait environ deux chargements d'avion en vivres. Les gens remarqueraient là une solidarité du continent africain... C'est pourquoi ce geste du Sénégal doit être salué par tous les Africains. Mais, je respecte les convictions de chacun. Moi, Tiken Jah Fakoly, voilà ma vision de la chose : je dis que le Sénégal a bien fait d'accueillir ces étudiants. Cela prouve que nous devons être solidaires. Nous pouvons être solidaires, parce que nous n'avons pas le choix. »
Vous parlez de solidarité, peut-on savoir l'engagement de l'artiste que vous êtes dans la sous-région, dans votre pays, la côte d'Ivoire et au Mali où vous vivez actuellement...
« Je suis particulièrement engagé à fond dans l'éducation. Actuellement, je construis des écoles, collèges. J'ai réhabilité d'autres notamment au Mali, en Côte d'Ivoire, au Burkina etc. J'investis dans l'éducation parce qu'il n'y a pas de développement sans éducation.
Je viens de vous parler de l'importance du réveil du peuple africain. Je pense que c'est l'école qui réveillera les Africains. Lorsque la majorité des Africains sera alphabétisée, cela changera beaucoup de choses. C'est l'école qui nous permettra de savoir nos droits et de les réclamer. Par exemple, je trouve anormal que les Occidentaux viennent chez nous quand ils veulent et faire ce qu'ils veulent et qu'au retour qu'on nous empêche d'entrer chez eux. Avec des citoyens bien formés, cette injustice va sauter. J'ai beaucoup d'espoir dans l'école. C'est pourquoi, jusqu'à la fin de ma carrière, je construirai des écoles. Mon ambition est de construire une école dans chaque pays africain. Le Sénégal est dans mon programme. C'est une façon pour moi aussi de partager le succès qui m'a été donné par la jeunesse africaine. »
Vous venez de sortir un nouvel album. Quelle est sa particularité par rapport aux précédents ?
« On peut dire qu'à travers cet album, il ya une prise de pouvoir des instruments traditionnels. Il y a le ngoni, la kora, le sokou, un violon traditionnel peul. Autre particularité de cet album, c'est qu'il est adressé à 90 % à la jeunesse africaine. Dans cet album, je dis aux jeunes Africains, que personne ne viendra changer l'Afrique à notre place. Si nous voulons que nos enfants connaissent une Afrique meilleure, il nous appartient de changer de mentalité et de comportements. »
Au-delà de vos concerts prévus pour le Festival mondial des arts nègres, quelles sont les autres dates du programme de Tiken Jah Fakoly ?
« Il y a beaucoup de dates en Europe. La date la plus importante pour moi aujourd'hui, c'est mon concert prévu le 18 juin 2011 à Paris-Bercy. Mais avant, j'ai deux tournées françaises, du 10 novembre au 2 décembre 2010 et ensuite du 10 janvier à mi-février. En mars prochain, je dois également faire les autres pays européens. En avril, je dois aller au Canada et aux Etats-Unis, et puis cela continue. Je suis parti pour deux années de tournées à travers le monde. »
La fin d'année 2010 est une période électorale dans beaucoup de pays de la sous région, notamment dans votre pays, en Côte d'Ivoire, quel est le message de l'artiste Tiken Jah aux populations ?
« C'est un message qui invite à la prise de conscience. J'aimerais que dans les pays où vont se tenir des élections, que les populations mettent l'intérêt du pays en avant, leur intérêt. Par exemple l'intérêt du peuple guinéen se trouve dans l'unité. Là-bas, les gens parlent de « Peuls » et de « Malinkés » qui se disputent le pouvoir. C'est du n'importe quoi ! Le Malinké et le Peul qui habitent ensemble dans un quartier de Conakry ont les mêmes problèmes. Leurs enfants vont dans des écoles pourries. Quand, ils sont malades, le plus souvent, ils meurent faute d'argent. Tout cela pour dire que les Guinéens doivent savoir que leur intérêt se trouve dans l'unité, le rapprochement. J'ai été récemment à Conakry pour rencontrer les deux candidats (Ndlr : Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé). Je leur ai parlés et je pense que les Guinéens ont entendu mon message.
C'est également le même message que j'adresse au peuple de mon pays, la Côte d'Ivoire. J'ai dit aux Ivoiriens que pendant longtemps, nous avons été trompés par les hommes politiques. On nous a fait savoir que certains ne pouvaient pas être candidats en 1995 après le décès du président Houphouët Boigny. Nous nous sommes battus. Il ya eu beaucoup de morts. Résultat : aujourd'hui, tout le monde est candidat en 2010. Je pense que les Ivoiriens doivent faire très attention. Ils doivent choisir le meilleur candidat et que les perdants respectent le suffrage des électeurs. La Côte d'Ivoire doit retrouver le chemin du développement. »