Le show sécuritaire
Mercredi, Brice Hortefeux s'est rendu à Lyon, après le Conseil des ministres. Auparavant, il avait tenu un point presse, place Place Beauvau, « en tant que président de la cellule interministérielle de crise ». Ses propos furent d'une incroyable violence verbale. Le ministre de l'intérieur ne fait pas dans la demi-mesure. Le show sécuritaire doit reprendre ses droits : « Nous ne laisserons pas bloquer le pays et nous ne laisserons pas les voyous impunis. » a conclut Hortefeux.
Plutôt que d'engager le débat et discuter, enfin, de sa réforme, l'Elysée veut faire peur à la « majorité silencieuse » et caricaturer l'opposition comme une minorité incontrôlable, une curieuse alliance de jeunes racailles et de grévistes marginaux dans les raffineries et dépôts de carburant. Les scènes de violence, en marge des manifestations de mardi 19 octobre et le spectre d'une pénurie d'essence et de gasoil - qui frappe déjà plus d'un tiers des départements français - sont les deux prétextes tous trouvés pour ce glissement politique. Pourtant, à en croire tous les sondages, la contestation à la réforme, après quatre jours de pénurie croissante de carburant, reste populaire : mercredi, d'après un sondage BVA pour les Echos, 59% des Français interrogés se déclaraient toujours favorables à la poursuite du mouvement de grève même après l'adoption de la loi par le Parlement. Selon une autre enquête, 79% des sondés étaient favorables à une renégociation de la réforme.
Au Sénat, le ministre Woerth a refusé de suspendre les débats demandés par les 3 groupes socialistes, radicaux et communistes : « Nous avons été au bout du dialogue social lors de la préparation du texte, ce texte, il n'est pas tombé du ciel comme cela, tout cru, tout emballé, il est le fruit d'un dialogue avec les organisations syndicales, avec les partis politiques, avec les Français. » Cet argument est faux. Primo, le gouvernement n'a pas négocié sa réforme. Il a consulté puis annoncé son projet. Secundo, il avait posé comme préalable non négociable le triptyque 62 ans/67 ans/41 ans de cotisations.
La stratégie de la peur
Mercredi, Hortefeux devait donc jouer les durs : « l'immense majorité n'a pas à subir la loi d'une minorité. » Dénonçant les « blocages d'une vingtaine de dépôts parmi les plus importants de notre territoire », il a oublié d'une pirouette l'imprévision gouvernementale du weekend, quand les ministres et responsables UMP se succédaient dans les médias pour expliquer qu'il n'y avait aucun problème d'approvisionnement. Pire, Hortefeux a agité la menace d'une paralysie des services publics et d'urgence : « Ce blocage a gravement désorganisé la distribution des carburants dans notre pays et peut menacer désormais le fonctionnement des services publics et des services de secours et d'urgence.»
Les forces de l'ordre sont intervenues très tôt pour débloquer les dépôts de La Rochelle, du Mans et de Donge. Mais les grévistes, s'ils n'opposèrent aucune résistance, se sont déplacés sur d'autres dépôts. Des barrages filtrants et des opérations escargots se sont multipliés. Mercredi, Jean-Louis Borloo a confirmé que 3 190 stations service étaient à sec. Dénoncer la gêne occasionnée par une grève est un argument traditionnel de la droite au pouvoir. Cette fois-ci, le gouvernement pousse le bouchon un cran plus loin. A Paris, Hortefeux en rajoute :
« Ces actes sont inacceptables, mais ils sont aussi irresponsables. Irresponsables, car ils ont pour première conséquence d'empêcher nos concitoyens de circuler librement. Irresponsables, car ils empêchent des salariés d'aller travailler et de gagner leur vie. Irresponsables aussi, je vous le dis, car ces travailleurs, ce sont notamment des médecins chargés d'aller soigner en urgence, des infirmières à domicile qui doivent dispenser des soins quotidiens aux malades, des parents qui doivent aller chercher leurs enfants, des conducteurs de bus qui, dans l'impossibilité d'aller eux-mêmes au travail, pénalisent par ricochet les usagers du service public. La liste est longue et dans ces cas-là, la spirale, infernale.»L'irresponsabilité du gouvernement est pourtant évidente : à droite, on reproche désormais à Sarkozy d'avoir fait traîner le vote de la loi alors que la marge de négociation était dès le départ très faible. Rapidement, le monarque a lâché ses quelques concessions, convenues d'avance, croyant qu'elles suffiraient à calmer la contestation. Certaines mesures proposées, comme assimiler la pénibilité au handicap physique, ont pu agir comme de véritables provocations.
Jouer les durs
Hortefeux, mercredi, a ensuite dérivé sur les violences : « Je l'affirme de manière la plus directe, la plus ferme et la plus déterminée : le droit de manifester, ce n'est pas le droit de casser, le droit d'incendier, le droit d'agresser, le droit de piller. » Il faut faire peur. Et sur ce registre, Hortefeux avait des exemples tous trouvés : « Hier encore à Lyon, 1 300 casseurs, dont la moitié de mineurs, ont semé la terreur dans le centre-ville, pillé 10 magasins, incendié 7 véhicules, en ont retourné 21, et détruit de nombreux abris-bus.» Après les statistiques roumaines sur la délinquance, Hortefeux déploie ses statistiques spéciales « jeunes » D'où sort-il ses chiffres ? Le même jour, le ministre expliquait n'avoir interpelé « que » 1400 casseurs en une semaine sur l'ensemble du territoire. Mais à Lyon, il en sûr et certains, plus de 600 d'entre eux étaient des mineurs ! « A Nanterre, deux jours de suite, une bande de délinquants n'a eu de cesse de terroriser les lycéens du lycée Joliot-Curie. »
Le ministre de l'intérieur aurait pu se poser la question des moyens de la police, ou de l'efficacité de son dispositif, sans cesse renforcé, de répression. Ainsi à Lyon, Jean-Paul Borrelly, secrétaire local du syndicat Alliance Police National, demandait à ce que les moyens « légaux » d'intervention soient élargis. La requête est dangereuse. Borrelly pense notamment au flashball - dont Hortefeux a déconseillé l'utilisation après le drame de Montreuil vendredi dernier. Mais, plus globalement, l'affaiblissement des moyens et effectifs de police depuis 2007 est un vrai sujet. La désorganisation des services de renseignements en est un autre, déjà pointé du doigt lors des émeutes dans la banlieue de Grenoble en juillet dernier. Les RG ne jouent plus leur rôle d'alerte. Mercredi, Marianne2 révélait que le numéro 2 de la DCRI, le directeur de la sous-direction de l’information générale (SDIG) avait démissionné de son poste en pleine crise sociale. Serge Guillen n'aurait pas supporté la faible place accordée aux ex-Renseignements généraux dans la nouvelle organisation des services français.
Que dire de l'efficacité du fameux décret anti-cagoules, pris au début de l'année 2009 ? Sarkozy devait enrager de voir autant de casseurs, le visage dissimulé. La Sarkofrance accumule des lois d'affichage, à défaut de moyens.
Provoquer sur le terrain
Brice Hortefeux a ensuite poursuivi sa journée sécuritaire par une visite à Lyon. Le maire Gérard Collomb, découvrant le dispositif médiatique entourant cette venue, a refusé de participer à la réunion prévue. Hortefeux souhaitait se montrer. 70 journalistes avaient été conviés à la dite réunion ! Après une petite heure de discussions avec des responsables policiers locaux, il s'est empressé de débouler, accompagné de ministres et responsables UMP, dans les rues du centre-ville pour se faire filmer et photographier auprès des commerçants victimes de saccages la veille pendant les manifestations. Cinq jeunes osèrent l'apostropher, à coups de « fasciste » et autres « T'es pas le bienvenu ici ». « La France n'appartient pas aux casseurs, aux pilleurs et aux caillasseurs. Elle appartient aux honnêtes gens qui veulent travailler paisiblement » a rétorqué le ministre.
Hortefeux, à Lyon, rappelait l'un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, à l'automne 2005, quand ce dernier était venu promettre à la Courneuve, près de Paris, qu'il nettoierait « au Karchër » la « racaille » de la cité des 4000. On connaît la suite : une flambée de violence inédite et inouïe après un fait divers dramatique quelques semaines plus tard, et... une progression des agressions contre les personnes.
A Paris, un député UMP suggérait d'expulser les casseurs étrangers. Rien sur la déchéance de nationalité ?
Jeudi, Nicolas Sarkozy devrait parler ruralité, à Bonneval, en Eure-et-Loire. Le déplacement était tenu secret, pour éviter, comme souvent, les manifestations d'hostilité. Le décalage entre l'agenda « officiel » du président français et l'actualité du pays demeure incroyable : un sommet international à Deauville (lundi et mardi), une nouvelle visite aux agriculteurs (jeudi), déplacement en Suisse pour le XIIIème sommet de la Francophonie (samedi); jamais la réforme des retraites, et ses contestations, n'est à l'ordre du jour. On aimerait que Sarkozy prenne le temps et le courage de s'expliquer publiquement, plus longtemps que quelques phrases de commentaires lâchées en fin de conférence de presse, ou par le biais de ses ministres.