Des (bonnes) raisons de s'installer devant Arte ce soir à 22h30.
Ce soir, il vous faut soit programmer votre magnétoscope, soit mettre en parenthèse votre vie sociale pour venir grossir les rangs des audiences confidentielles de la chaîne franco-allemande. En effet, cette dernière diffuse les deux premiers épisodes d'une excellente mini-série de la BBC. Datant de 2003, elle a déjà été diffusée sur Canal +, mais si vous n'avez pas la chaîne câblée, si vous avez raté la diffusion ou si vous n'avez pas (déjà) acheté, les yeux fermés, les DVD (comme moi), profitez de cette séance bienvenue de rattrapage.
[Le billet qui suit ne contient évidemment aucun spoiler sur la résolution de l'intrigue.]
STATE OF PLAY (Jeux de pouvoir)
Synopsis : Ce matin-là, à Londres, Stephen Collins, député travailliste plein d’avenir qui préside la Commission d’enquête sur l’énergie, se rend en métro à la Chambre, quand la rame s’immobilise : un corps a été trouvé sur la voie. à l’air libre, un jeune Noir tente éperdument d’échapper à son poursuivant, un tueur à visage découvert, qui l’exécute en pleine rue avant d’abattre un témoin qui passait en scooter. Au même instant, dans le hall du Parlement, Stephen Collins s’effondre, suffoqué par l’émotion : il vient d'apprendre que son assistante parlementaire, Sonia Baker, est la victime du métro. Suicide, accident ? à la conférence de presse improvisée hâtivement par son parti, la réaction du député suscite les conjectures : quelle était la nature de ses relations avec la disparue ? Au Herald, l’un des quotidiens en vue du royaume, le rédacteur en chef Cameron Foster flaire le gros coup avec gourmandise.
Mini-série composée de six épisodes.
State of Play est une mini-série, créée par David Yates (Sex Traffic) et dont le scénario est signé Paul Abbott (Shameless). Diffusée sur la BBC en 2003, multirécompensée, notamment aux BAFTA Awards, elle a été très bien accueillie par les critiques. Elle a même attiré l'attention d'Hollywood, où un film s'en inspirant est actuellement en préparation (en dépit des multiples remaniements de casting qui ont eu lieu dernièrement).
State of Play, c'est aussi un casting de luxe. En tête d'affiche, incarnant deux amis qui ne jouent plus dans le même camp, mais qui s'épaulent et s'affrontent avec ambiguïté, vous retrouvez David Morrissey (Blackpool, Meadowlands/Cape Wrath), en étoile montante du Parti Travailliste pour lequel les voies du pouvoir sont grandes ouvertes, et John Simm (Life on Mars) en journaliste persistant, navigant dans des eaux dangereuses, à la limite de l'éthique.
Ils sont épaulés par l'excellent Bill Nighy, incarnant le rédacteur en chef flegmatique qui maîtrise toutes les arcanes du pouvoir. Les sériephiles reconnaîtront également Polly Walker (Rome), en épouse politique délaissée, et James McAvoy (Shameless), en jeune journaliste free-lance ambitieux.
State of Play bénéficie d'une histoire riche et très travaillée, où la tension monte progressivement et où le suspense devient rapidement intenable. L'enquête se complexifie au fil des épisodes. Au fur et à mesure des découvertes troublantes des journalistes, les enjeux soulevés deviennent de plus en plus importants, de plus en plus proches du pouvoir, et de plus en plus dangereux.
Les scénaristes multiplient les faux semblants, les semi-vérités. Les doutes des journalistes, eux-mêmes divisés dans leurs analyses, contamine le téléspectateur par leurs désaccords et les éclairages très différents qu'ils apportent sur une même affaire. Les soupçons s'insinuent. Fausses pistes et retournements de situations s'enchaînent, entraînant le téléspectateur dans des intrigues de plus en plus sombres où il perd ses repères. Les fils se dénouent peu à peu pour révéler un tableau glaçant, état des lieux sans concession des rouages du pouvoir.
Car, en effet, en plus d'être un thriller parfaitement maîtrisé et très prenant, State of Play prend une dimension supplémentaire en mettant en lumière, avec une sobriété efficace toute britannique, les dérives d'une démocratie moderne. Elle offre ainsi, tout d'abord, un traitement sans concession des rapports douteux que peuvent entretenir politiques et médias, illustrés par l'amitié unissant les deux personnages principaux. Si Cal McCaffrey dispose grâce à elle de renseignements privilégiés, directement à la source, où se trouve la limite entre informations personnelles et informations du public ? La frontière se trouble, de plus en plus floue. La force de cette mini-série est de ne pas se cantonner à une vision manichéenne du rapport entre le journaliste et le politique. Au contraire, le récit se complaît dans une subtilité volontairement ambiguë, où les bases sont fluctuantes. Le téléspectateur ne parvient pas avec certitude à cataloguer cette relation avant la conclusion de la série. Honnêteté, fidélité, manipulation se mélangent et se succèdent, soulevant plus de questions que les interactions entre les deux personnages n'en résolvent.
Pessimiste ou réaliste, State of Play dresse également un portrait sans concession des pratiques au sein même du pouvoir politique. La mini-série nous immerge dans les moeurs troubles du Parti Travailliste. Parfait cas d'école de la maxime selon laquelle l'art de gouverner est avant tout l'art de la manipulation. Dans les couloirs agités du Parlement, les éminences grises du Parti tirent les ficelles d'un vaste jeu de pouvoir occulte, où le fonctionnement démocratique des institutions apparaît comme un simple faux-semblant savamment entretenu. Le téléspectateur mettra, comme les journalistes, toute la mini-série pour appréhender l'ampleur des manipulations en jeu, jusqu'au dernier retournement final.
On touche ici à l'aspect le plus abouti de cette mini-série : la dénonciation de l'influence de ce pouvoir occulte, qui n'a même pas à passer par l'élection : celui de l'argent, ou plutôt des grands industriels. En éclairant l'ingérence des multinationales dans la gestion du pays et l'adoption des législations, le téléspectateur plonge dans l'exercice d'un type de lobbying particulièrement dangereux. Entre pressions et corruptions, ces consortium ne semblent s'astreindre à aucune limite.
Bilan : State of Play, c'est tout le savoir-faire et l'efficacité britanniques dans un thriller captivant qui sait jouer sur différents tableaux. Ce sont des enquêtes complexes, une interrogation sur l'amitié, mais aussi la mise en lumière des jeux de pouvoir dangereux qui se déroulent au sommet de l'État pour gouverner la Grande-Bretagne et que se livrent, sans complaisance, politiques, multinationales et journalistes.
C'est un portrait sombre, mais réaliste, des rapports entre le pouvoir institutionnel, le pouvoir occulte de l'argent et le "4ème pouvoir" que sont les médias.
En fin de compte, Jeux de pouvoir est une mini-série très riche, très bien écrite et servie par un solide casting particulièrement convaincant.
Un "must seen" de la fiction britannique à ne pas manquer.
[Jeux de pouvoir - Arte - Samedi 5 janvier - 22h30]