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Langue de vipère

Par Clarac
Cette semaine chez les impromptus littéraires,  le thème est langue de vipère...de quoi délier bien des langues.
Quand on me demandait quel était mon travail, je répondais toujours ce mot : -Chasseur.Les gens surpris me dévisageaient et enchainaient aussitôt : -Chasseur de tête ?-Oui, en quelque sorte…Je préférais cette appellation à celle de mon vrai job : journaliste en freelance. Car dans mon métier, la discrétion était une des qualités primordiales comme la patience et l’anonymat. Je chassais du gros gibier pour alimenter les revues et les journaux à scoop. La traque des people et des politiques. Les suivre, les filer et au moment importun faire la photo qui fera sensation ou qui déclenchera un scandale. Révéler au public leurs faiblesses et  leurs relations douteuses. Dans ma branche, j’ai vite obtenu le surnom de langue de vipère car pour obtenir mes photos, je réclamais de rédiger l’article. Montrer sur papier glacé les vices et les défauts ne me suffisait pas, j’aimais accompagner la photo de mes mots dénonciateurs. Et un jour, je l’ai prise, elle, en filature. Trop parfaite, une vietrop rangée pour cettejeune actrice. J’ai cherché longtemps et j’ai fini par trouver la faille. Son petit ami la trompait avec une autre. Elle l’a appris en même temps que madame-tout-le-monde dans les journaux. Sauf que durant ces mois à l’observer, j’ai fini par tomber amoureux d’elle. Je la connaissais sur le bout des doigts : ses fleurs préférées, ses habitudes jusqu’au petit sillon qui se formait sur son front quand elle était anxieuse. Pour elle, j’ai tout largué. Je suis maintenant journaliste dans un quotidien où j’officie à la rubrique chiens écrasés. Plus de planque mais interview à domicile (s’il vous plait) de Madame S. qui a vu la voiture volée de Monsieur P.. Je joue mon nouveau rôle à merveille. Et quand l’adrénaline du scoop me manque, je sors mon appareil photo. Je sais tout du voisinage : le retraité de l’immeuble d’en face qui mate des films pornos quand sa femme est à son club de bridge, la femme du premier qui sort la bouteille de whisky dès que ses gamins sont à l’école… Elle ne sait rien de mon passé et personne de mes anciennes fréquentations se risquera sur ce terrain, ils savent que la langue de vipère est toujours là. Quelque part à l’affut. Tout le monde a des petits secrets, il suffit juste de gratter un peu pour les découvrir.

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