Ci git le temps. Voici un quartier au temps suspendu. Nous sommes à la Faute-sur-mer, après le passage de la tempête Xynthia et les maisons de ces quartiers sont vides et en attente de démolition. Elles appartiennent aux fameuses zones noires devenues par un relookage marketing des zones de solidarité. Ce lieu questionne à plus d’un titre les temps urbains.
De quelle ville parle t-on ?
La première est qu'il représente un mode de production dominant de la ville contemporaine puisqu'il s'agit d'un quartier pavillonnaire et se rattache clairement à la question de l’étalement urbain (qui représente tout de même 40% de la surface urbanisée en France). Parler des temps urbains impose évidemment de définir de quelle ville on parle. Les temps urbains ne sont bien entendu pas les mêmes en centre urbain qu'en banlieue ou en zones peu denses. La ville providentielle, celle qui offre tout ce dont on a besoin, se vit très différemment dans ce type de quartier où les attentes de vie collective sont très réduites.
La voiture est le corolaire indispensable du tissu urbain pavillonnaire qui intègre comme consubstantif cette mobilité individuelle. La catastrophe a arrêté le temps commun et même les voitures resteront immobiles, symbole d’une mobilité soudain révolue.
Plusieurs échelles temporelles dont celle de l’accident
Il y a bien entendu plusieurs échelles de temps urbains et la frénésie actuelle due à l’instantanéité des télécommunications ne doit pas cacher les autres. Dans la production de la ville, le temps est plutôt long et dépasse souvent une génération car la sédimentation fait partie du processus. Or l’étalement urbain récent a ceci d’extraordinaire qu’il nous a pris de court par sa vivacité. A force d’aller trop vite, de lotir et de bâtir par pure spéculation d’un foncier improbable, ces deux lotissements ont été implantés dans une zone inondable, et cela a conduit à l’accident cher au philosophe Paul VIRILIO.
La catastrophe apparaît comme la rupture du temps, ou en tout cas l’arrêt brutal du temps commun. Cela ressemble encore à un morceau de ville, mais ce ne sont plus que des coquilles vides. Plus d’habitants, plus de temps urbains.
La valorisation du lieu
Ensuite, ce moment précis, celui de la transe, est une forme temporelle unique qui montre à l'évidence que l'appréciation du temps appartient plus au domaine de la sociologie qu'à la simple discipline spatiale. A l’époque de la tempête, j’avais écrit un article dans la revue Urbanisme intitulé Temps de crise ou crise du temps. Nous vivons bien la crise du temps.
Cette crise du temps touche à l’intime et à la valorisation du lieu comme moment privilégié de l’expérience humaine. Xynthia a conduit à la perte de l’insularité du domus. Dans la relation de l’intime et de l’espace public, le lotissement représente une forme particulièrement pauvre. Tout s’y joue dans le l’écrin du logis. L’évacuation de toutes les maisons nous renvoie à la perte des temps individuels dans l’intérieur de l’habitation, lieu portant privilégié de l’expérience individuelle contemporaine.
Des formes temporelles
Nous voici dès à présent au cœur de mon propos. Il y a des formes qui se déploient dans l’espace et d’autre qui se déploient dans le temps.
Qu’est-ce qu’une forme temporelle ? Il s’agit d’un événement ou d’un ensemble d’événements qui se déploient dans le temps selon un ordre interne propre. Appliqué à l’urbanisme, cela devient une succession d’événements, d’usages, d’histoires contenus dans une structure définie.
Cela forme, pour reprendre les termes de VIRILIO un paysage d’évènements. Pour moi, parler des temps urbains nécessite d’identifier les formes temporelles qui constituent la ville. Les formes temporelles associent des pratiques et des lieux et c’est en ce sens qu’elles hébergent les temps urbains. L’érection hâtive des banlieues et la crise qui en a suivie est un exemple de forme temporelle. La manufacture du dix-neuvième siècle, icône urbaine aux multiples devenirs et usages, ou encore les bouchons récurrents du périphérique aux heures de pointe, en sont aussi.
Ce quartier en suspension dans l’attente de sa destruction est bien entendu une forme temporelle particulièrement pure.
Pour le temps des villes, débat animé par François Chaslin, 11 octobre 2010 à 19H00, petite salle du centre Georges Pompidou, dans le cadre du cycle culture urbaine à la BPI
Extrait de l’intervention de J. Richer