La revanche de Fischer et Tropsch

Publié le 19 octobre 2010 par Toulouseweb
Le Pentagone se désengage du kérosčne Ť naturel ť.
Les Américains sont visionnaires et ils ont de la suite dans les idées. Au moment oů se terminait la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre de l’opération secrčte Paperclip, ils s’étaient empressés d’accueillir un groupe de techniciens allemands spécialistes du procédé de production de pétrole de synthčse Fischer-Tropsch. C’était, pour le moins, faire preuve d’une vision ŕ trčs long terme, en ces temps d’énergie ŕ bon marché, et bien avant qu’il ne soit question des limites de ressources non renouvelables.
Une soixantaine d’années plus tard, dans un contexte énergétique et géopolitique qui n’a évidemment plus rien ŕ voir avec les préoccupations de 1945, le Pentagone poursuit dans la męme voie. Et, comme nous l’avons déjŕ noté précédemment, il va bien au-delŕ d’une phase expérimentale (qui n’est plus nécessaire) pour passer ŕ des exercices pratiques en vraie grandeur. Dčs 2016, la moitié du carburant consommé par les avions de l’USAF sera en effet d’origine autre que le pétrole, une avancée considérable. Laquelle conduit ŕ s’étonner que ce grand pas en avant militaire suscite l’indifférence dans le transport aérien : c’est le monde ŕ l’envers.
Dčs 1973, année du premier choc pétrolier, les compagnies aériennes sont passées maîtres dans la complainte de la victime non consentante, dénonçant sans relâche l’impact financier désastreux du prix du baril, en hausse constante. Rien n’a changé depuis lors : séparément ou ŕ l’intervention de groupements professionnels comme l’IATA, la litanie se poursuit ŕ l’infini. Certes, de grands espoirs reposent sur les progrčs techniques annoncés par les motoristes et avionneurs, la consommation par vol ou calculée au passager/kilomčtre diminue mais l’emploi de carburants de substitution ne sort toujours pas d’un cadre purement expérimental.
Airbus, Boeing, les motoristes, relayés par quelques-unes des compagnies meilleures que d’autres en termes de relations publiques, créent de temps ŕ autre l’événement, sans plus. Le Pentagone, lui, avance ŕ pas de géant, sachant que ses motivations ne sont pas exclusivement géopolitiques : lŕ comme ailleurs, les contraintes budgétaires sont bien réelles. Un service dédié, l’Air Force Fuels Certification Office, fonctionne avec un beau dynamisme ŕ Wright-Patterson Air Force Base, dans l’Ohio, pour l’essentiel en homologuant l’usage de carburant produit selon le procédé mis au point en 1923 par Franz Fischer et Hans Tropsch (le ŤFTť pour les initiés). C’est grâce au procédé catalytique de Fischer et Tropsch que les chasseurs de la Luftwaffe ont continué ŕ voler pendant les phases ultimes de la guerre.
Aujourd’hui, les responsables de Wright-Patterson révčlent que la plupart des types d’appareils en service dans l’USAF sont d’ores et déjŕ en mesure d’utiliser un carburant qui, pour 50%, est constitué d’un mélange de FT et de tout autre JP8 Ťartificielť. Cette capacité s’étend du F-16 au F-22, aux KC-135R, B-1B et B-52H, ou encore au C-17 (notre illustration). On apprend ŕ cette occasion que ledit C-17 est le plus gros consommateur de carburant de l’USAF.
La situation est inattendue, sinon paradoxale : ce sont des militaires qui, mieux que quiconque, vantent les méritent du procédé FT, de l’huile végétale hydro raffinée, du kérosčne GTL (Gas-to-Liquid), etc. Mieux, ils affichent un savoir-faire, en matičre de communication, qui ferait pâlir d’envie les plus talentueux des lobbyistes. Bien sűr, rien n’est innocent, et certainement pas le message politique subliminal ainsi adressé aux régions du monde qui détiennent de grandes réserves de pétrole.
Fischer et Tropsch étaient tombés dans l’oubli. Leur tardive revanche n’en est que plus éclatante.
Pierre Sparaco - AeroMorning