Dans la famille Khalifé, la musique est plus qu’un art, c’est une tradition. On ne présente plus le père, Marcel Khalifé, récompensé par l’UNESCO pour son travail allant dans un sens moralisateur pacifique et prônant en faveur d’un engagement pour le patrimoine musical, le « musicien arabe » se veut l’un des plus grands compositeurs de son époque. Aujourd’hui ce sont ses deux fils, Rami et Bachar qui lui emboîtent le pas.Mon premier en exploitant très tôt les talents innés qu’il se découvrit pour le piano et que mon second se fascinant de la même manière pour les sonorités plus lourdes des percussions. Ensemble ils réalisent une poignée de cinémix, avant que l’aîné rejoigne Aufgang, aux côtés de Francesco Tristano et Aymeric Westrich, laissant aux soins du cadet d’appuyer les performances live du pianiste luxembourgeois, au cours de ses représentations solo. C’est donc bien au décollage en solitaire de Bachar que nous assistons à travers cet Oil Slick.
Mais qui dit effort solo ne dit pas forcement enregistrement esseulé et misanthropique, au contraire. Si cet album se veut avant tout le reflet d’un état des lieux très personnel de l’artiste, il se veut aussi comme un partage émotionnel transmis à travers une musique que le mélomane ira puiser dans ses racines. C’est donc entouré de musiciens tels qu’Alexander Angelov, Aymeric Westrich ou encore de son frère Rami que Bachar se permet de pousser des vocalises d’une voix fluette, parfois presque naïve, le long des six titres que couvre cet album riche et condensé. Et si l’on retrouve volontiers l’influence de son entourage sur le puissant et chichement jazzy Progeria, on s’attardera plus longuement sur le trouble et poisseux Marée Noire. Enroulé autour d’un slam de son auteur, la voix parasitée par le vocoder, ce morceau dont le texte fait indirectement référenceà la catastrophe pétrolière survenue en 2006 à Beyrouth. Il permet à Bachar de livrer une ballade poignante marquée par l’amertume et le dégoût de soi, couché sur un piano ivre et des nappes inquiétantes. A noter également qu’il s’agit ici du seul morceau en français dans le texte, puisque Bachar Mar-Khalifé a tenu à utiliser sa langue d’origine, ce qui apporte un dépaysement des plus bienvenus comme sur la langoureuse amourette Around the Lamp, où il partage le chant avec la vocaliste Lita Jana. Hymne à la lenteur absolue, berceuse en apesanteur voilée d’une aura doucereuse et mystérieuse. Et si la réussite d’un Distance, presque pop, ou d’un Democratia engagé n’était pas à craindre, le vrai tour de force vient des dix minutes extrêmement déconcertantes procurées par NTFntf’, qui malgré sa structure expérimentale en chausse-trappes provoque chez l’auditeur des sensations fortes. Dix minutes qui permettent à l’artiste de se livrer à son art et démontrer à travers ce « never to forgive » toute la puissance des instruments à percussion.
Hélas, Bachar Mar-Khalifé prêche trop près de son troupeau, et Slick Oil peine à se démarquer du terrain sur lequel il s’avère vouloir braconner. Une belle intrusion dans la world music, mais qui rappelle que d’autres s’y sont essayés avant lui (Kwal en tête). Quantà l’originalité musicale, il semble la devoir plus à ses collaborateurs qu’à lui-même, tant celle-ci porte les stigmates des productions d’Aufgang ou s’enclave dans la parfaite lignée des compositions de Francesco Tristano. On déplore alors l’économie des rythmiques percussionnistes, qu’on aurait pensé trouver au cœur de l’œuvre, face à un déploiement massif de l’instrument à queue, certes ici magnifié. Les années d’apprentissage du jeune homme face à l’instrument au conservatoire de Boulogne n’y changeront rien. Oil Sick n’en reste pas moins un objet tout à fait inédit et suffisamment bohème pour susciter l’intérêt de l’auditeur assoiffé de découverte, mais qui ne marquera pas l’émancipation d’un Bachar Mar-Khalifé qui devra apprendre à se détacher de ses liens s’il veut mieux affirmer sa personnalité.
Tracklist
Bachar Mar-Khalifé (Infiné, 2010)
1. Progeria
2. Distance
3. Around the lamp
4. Marée Noire
5. Democratia
6. NTFntf’