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**** Ebodé Eugène, La transmission.

Par Ferrandh

ebodeugnelatransmission.jpgEugène Ebodé, camerounais né en 1962, est de ces hommes aux talents multiples : la culture bien sûr - La transmission est le premier volet d’une trilogie romanesque –, le sport – il a été de la sélection nationale des lionceaux camerounais – ou encore la politique – il fut conseiller municipal. Il est l’antithèse de ce fameux proverbe qui a cours à Douala, « qui va à tâtons, va au bâton ». Des qualités que partage son personnage de fiction, le vieux malicieux Karl Kiribanga Ebodé, qui sur son lit de mort fait entendre ses dernières volontés à son fils, Eugène, l’adolescent passionné de football. « La transmission est donc une biographie » me diriez-vous ? Non, mais une auto-fiction avec des traits empruntés au réel comme souvent dans cet exercice. A l’instar de nombreux comparses avant lui, Karl quitte très jeune le village pour la ville mais aucunement dans l’idée qu’une fois l’argent dans la besace, il construira une hutte dans la brousse natale pour y terminer ses vieux jours entouré des siens. Cet homme animé d’une immense force intérieure et qui entend se faire par lui-même aura continuellement le souci de ne plus jamais revenir habiter au village avec ses vieilles balivernes de coutumes symboles d’un monde définitivement nécrosé. Pour cette nouvelle aventure, le vrai commencement de toute vie qui en vaut vraiment la peine, rien de mieux que la belle et indomptable ville portuaire de Douala dont il est follement passionné. Et ainsi commence un destin où tout est tempête, où rien n’est impossible à cet homme épris de liberté. Les conquêtes féminines se succèdent quand bien même est-il marié. Il est vrai que ses qualités de bretteurs des cuisses légères ne sont plus à prouver parmi la gente féminine qui le remercie avec de bons ragoûts de porc-épic. Karl a-t-il été un salaud durant sa vie ? Assurément, comme le constatera son fils Eugène, mais comme beaucoup de ses semblables, ni plus ni moins. A sa décharge, il s’est toujours montré héroïque dans des combats ô combien glorieux, ceux menés contre toutes sujétions faites à la liberté ; en premier lieu, pour le droit de son peuple, celui du pays des crevettes, à disposer de son destin. C’est ainsi qu’il luttera avec acharnement contre le pouvoir colonial et les débuts d’une république faussement indépendante. Durant cette époque épique, il se fera médecin de fortune pour les maquisards, notamment ceux qui combattirent pour la cause de Ruben. Avec la liberté nul compromis, à l’exemple du grand Mongo Béti. Toutes velléités la menaçant sont ses ennemies. Ce qui est le cas de la tradition, prédatrice selon lui des libertés individuelles. Ce faisant, refuser de payer la dot à ses beaux-parents et lancer un pied de nez à tout ces vieilles fredaines est pour Karl un acte de résistance. Mais des décennies ont passé. Sur son lit de mort, surprise cataclysmique pour tous ses proches, le révolté de toujours demande à Eugène, son fils, de payer la dot. Quelle mouche le pique donc ? Connaissant le malotru, les beaux-parents sont plus que dubitatifs :

«  _ Même chez les morts il veut encore nous torturer, c’est fort ! _ Oui, c’est lui tout craché. Le diable l’inspirait déjà ici, mais en enfer, Lucifer et lui doivent bien s’entendre approuva Grand-mère. Ils sont capables de nous entraîner dans une nouvelle farce à travers la naïveté d’un petit garçon (Eugène). Rien que pour nous emmerder ! Tout ça est fait pour nous tuer ! », p. 66.  

Etrange attitude en effet. Mais il semblerait que cette dernière doléance est moins celle d’un repentant que l’ultime manigance d’un père faite à un fils pour qui seul le foot importe. Karl, angoissé par cette génération fataliste qui préfère au grand soir le triste quotidien ponctué de rares loisirs, entend à ce que le paiement de sa dot soit le chemin initiatique qui conduira son rejeton dans un monde adulte épris de liberté. Dans les années cinquante et soixante, les combats de sa génération ont abouti à de grandes réalisations tant pour le peuple des crevettes que pour toute l’Afrique. Le temps est venu maintenant pour la jeunesse de ce début de XXIe siècle de reprendre le flambeau de la lutte. Ecriture percutante, style acéré, histoires d’individualités talentueuses mais aussi magnifiquement imparfaites, La transmission est une ode faite à tout un peuple, celui du pays des crevettes, le Cameroun, avec les succès et les ratés de son histoire. A l’image de ce vieux renard de Karl, la plume de l’écrivain sait se faire exubérante. Le style prend une cadence fièvreuse dès lors que le sujet abordé soulève les passions tant de l'auteur que du vieux coquin, personnages qui s'unissent bien souvent dans leurs exaltations. Ainsi en est-il des temps de rébellion ou encore de ce fol amour pour Douala et ses habitants.

  

« Enfant, mon père m’entraîna dans les gargotes du bord des routes où je m’empiffrais de beignets le matin et de soyas certains soirs. Nous allions surtout dans des lieux où les beignets se cuisinaient sous nos yeux. Celle que l’on voit partout à Douala est bien la vendeuse de beignets, la mamie malaka. Elle a généralement un formidable embonpoint, proportionnel à la grosse bassine derrière laquelle elle tente de dissimuler ses « jambonneaux » (…) Sous des restaurants de fortune ou en pleine rue, la vendeuse de makala est la vraie reine de la pleine rue. C’est autour d’elle que se nouent les échanges. C’est auprès d’elle qu’on saisit l’humeur de Douala… », p.102.

  

La transmission est un très beau roman générationnel où l’enthousiasme fait fi des regrets et mélancolies. Car comme n’a de cesse de le répéter Eugène Ebodé, les combats pour la liberté n’attendent pas. Et ils sont nombreux tant au pays des crevettes que dans toute l’Afrique.

  Ebodé Eugène, La transmission, Continents Noirs, Gallimard, 2002, 189 p.


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