Mamadou Mahmoud N’Dongo, né au Sénégal en 1970, a fait des études en histoire de l’art, littérature et cinéma. Il a publié des textes remarqués : L’histoire du fauteuil qui s’amouracha d’une âme, L’errance de Sidiki Bâ, ainsi que son premier roman Bridge Road. Ce dernier est actuellement en cours d’adaptation pour le cinéma. Mamadou Mahmoud N’Dongo est aussi le réalisateur de plusieurs films de fictions sélectionnés dans différents festivals : Le mangeur d’hélium, Solo, L’exil. Avec ce roman à l’étrange et fascinant titre, La géométrie des variables, l’écrivain ouvre la porte d’un univers bien singulier et caché, les communicants en politique. Ne faudrait-il pas plutôt les appeler aides de camps propagandistes des faiseurs de pluie de la populace ? Il semblerait en effet pour Pierre Alexis de Bainville, sommité cynique respectée dans ce domaine de la communication, que ces dernières années sacrent définitivement la victoire du marketing de l’homme providentiel en tant que star médiatique déifiée par la ménagère « télévore » - « regardez du côté de Berlusconi et du président de son fan club, Sarkozy », nous dirait-il. Le même Bainville ajouterait volontiers que les dernières luminosités politiques, du moins ce qui en restait car reconnaissons-le elles avaient perdu depuis fort longtemps tout éclat idéaliste, ont abdiqué : loin sont les calculateurs Tacher, Reagan, Mitterrand et bien d’autres. Le peu qui reste de politologue chez Pierre Alexis de Bainville, il le partage avec son ancien élève et maintenant collaborateur en âge de s’envoler, Daour Tembely, métis d’origine peule, tout autant cynique mais peut-être moins désabusé. Certainement a-t-il entendu les paroles de son mentor, « Si tu as de la conscience, tu as mal choisi ta profession », p.105. Dans leurs échanges, tout au long du roman, s’offrent aux lecteurs les arcanes du monde politique et trente années qui défilent de Mitterrand à Sarkozy, de Reagan à Obama en passant par Darius Jones, le seigneur de guerre libérien. Il est passionnant de retrouver ces personnages plus ou moins honorables de notre histoire commune s’exprimer par communicant politique interposé, ainsi pour Mitterrand : « Le meilleur des amateurs ne tiendra jamais face au pire des professionnels, la politique est un métier, certains l’apprennent tardivement », p. 94. Captivantes sont aussi les confessions de Bainville sur les raisons des réussites ou des échecs de ceux qui tiennent les gouvernements des nations : « Mitterrand n’est pas un idéologue, il ne croit qu’en lui », p. 77 ; « Clinton connaît la première des règles : il vaut mieux avoir l’air bien que se sentir bien », p. 93. Le regard des deux communicants est des plus acerbes. Une chose compte, celle de faire gagner leur employeur et son programme politique. Si le programme est absent ? Peu importe. Si leur patron est une crapule ? En faire un homme providentiel et bon père de famille. Grosse ficelle certes, mais nécessaire pour que cet assassin de Darius Jones apparaisse comme le sauveur du Libéria et un tenant indispensable à la démocratie. L’analyse neutre et froide de la politique et de ses emblèmes faite par Mamadou Mahmoud N’Dongo est remarquable de finesse : les communicants ne sont pas des politiques si bien que finalement les discours et les idées des gouvernants deviennent atones, dénués du bel idéal qui devrait être le leur. Dans l’univers des communicants tout est tellement lissé que les sentiments même semblent les effrayer, trop incontrôlables qu’ils sont à leurs yeux.
La géométrie des variables est un écrit brillant servi par une construction stylistique des plus remarquables. Les chapitres sont extrêmement courts, parfois quelques lignes. En ressort une impression de mosaïque, de patchwork, qui s’écarte du roman traditionnel. Des critiques ont cru bon de parler d’ « écriture urbaine ». Le vocabulaire est particulièrement riche, les bonnes phrases jaillissent, le style est incisif, le tout est d'une incroyable efficacité ! Efficace comme le sont ces communicants qui vont à l’essentiel, boudant toute circonvolution inutile. Des échanges souvent lapidaires entre les deux personnages se dégage une froideur, ectoplasme d’un politique contemporain qui a perdu toute envolée idéaliste au profit d’hommes aux intérêts privés et mercantiles. Pour finir, deux mots : A lire !
N’dongo Mamadou Mahmoud, La géométrie des variables, Continents noirs, Gallimard, 2010, 302 p.