Des placements éthiques à l’investissement socialement responsable
L’éthique est à la mode et on ne peut que s’en féliciter. Il est vrai que bien souvent plus on en parle moins on la pratique. Depuis quelques années il n’est question que d’éthique en entreprise, de chartes éthiques, de moralisation du capitalisme ou d’éthique de la consommation. Comme dans toute mode, il faut séparer le bon grain de l’ivraie : le bon grain, c’est la prise de conscience des responsabilités personnelles de chacun dans ses choix économiques, face au bien et au mal : il y a des comportements qui grandissent l’homme et d’autres qui l’avilissent. L’ivraie, c’est l’utilisation de cette prise de conscience à des fins idéologiques, dans le but de remettre en cause les économies de liberté et de responsabilité.
La finance, durement secouée par la crise actuelle, n’échappe pas à la règle. Il y a en réalité longtemps que, de manière volontaire, des groupes, à commencer par des communautés religieuses, ont décidé d’ajouter un critère éthique à leurs critères de placements. C’est l’origine des placements éthiques qui se sont surtout développés depuis une vingtaine d’années, et que l’on appelle aujourd’hui, d’une expression beaucoup plus ambigüe, « l’investissement socialement responsable ».
Dans une économie de marché, chacun est libre et responsable de ses choix, l’épargnant comme les autres. Un épargnant, avant de choisir, tient compte de trois critères principaux : la liquidité (qui lui permet de récupérer rapidement une partie de son épargne, dans une optique de précaution), le rendement (puisque si l’épargnant investit, c’est pour accroître son revenu) et le risque (qui permet de gagner plus, mais qui peut aussi conduire à perdre beaucoup) : suivant les priorités de chacun, on diversifie son patrimoine dans des proportions variables, en fonction des critères retenus.
On ne voit pas pourquoi, en raison de la liberté de choix de chacun, on écarterait le fait qu’un épargnant puisse ajouter d’autres critères en s’interrogeant sur ce qui est fait avec son argent. Sur un plan éthique, tous les placements ne se valent pas et l’argent peut avoir une odeur. Chacun est libre d’agir et de se fixer ses propres objectifs, tant que cela n’empiète pas sur la liberté ou les droits des autres. Ainsi, quelqu’un qui accordera une grande importance au respect de la vie ne souhaitera pas investir dans certains laboratoires pharmaceutiques proposant des pilules abortives, tandis qu’un autre renoncera à investir dans une entreprise dont le comportement des dirigeants lui pose un cas de conscience.
Un secteur en expansion rapide, reposant sur la liberté de choix
La finance éthique s’est donc construite sur ce principe du libre choix personnel. Mais le choix est-il assez éclairé ? Le décideur doit acquérir une information, dont il ne dispose pas facilement. Ainsi a-t-on assisté à une double spécialisation : d’une part des entreprises se sont occupées de la notation éthique des sociétés, à l’image des agences de notation sur la solvabilité des emprunteurs ; d’autre part des fonds communs de placements achètent ces notes, ce qui leur permet, selon les critères retenus, de proposer à leurs clients des placements privilégiant tel ou tel critère éthique.
Jusque là il n’y a rien de contraire à l’économie de marché. Au contraire, c’est bien le marché qui guide la demande de placements éthiques, et si la demande pour des placements éthiques se développe, l’offre se développera aussi. Le marché peut ainsi prendre en compte des comportements humains sensibles à des considérations morales, et les religions elles-mêmes y trouvent leur place. C’est ainsi que la Conférence épiscopale française a mis en place un fonds de placement conforme à certaines valeurs évangéliques, par exemple en matière de respect de la vie, tandis que les musulmans peuvent trouver des fonds islamiques conformes à leur conception de l’interdiction du prêt à intérêt ou de l’interdit religieux de l’investissement dans l’alcool.
Dans ces conditions, on ne sera pas surpris du succès de la finance éthique, qui représente plus de 15% de l’épargne aux Etats-Unis et qui, en France, augmente à un rythme annuel de 70%, passant entre 2008 et 2009 de 29,9 à 50,7 milliards. C’est certes encore une « niche de marché » (2% du marché en France), mais particulièrement dynamique. Plus de 300 fonds opèrent en France dans ce secteur et la rentabilité n’est guère différente de celle des autres placements. Rien ne semble, dans son principe, contraire à une économie de marché, qui reflète librement les choix de chacun.
Quand l’Etat nous fait la morale…
Pourtant, le glissement du placement éthique vers « l’investissement socialement responsable » peut traduire une profonde inflexion : le « socialement » ne va-t-il pas évacuer la liberté et la responsabilité personnelles ? C’est un risque hélas réalisé avec l’intrusion de l’Etat. Il apparaît clairement que l’Etat dicte leurs choix aux investisseurs institutionnels, en général public. Mais le « Forum pour l’investissement responsable » veut aller plus loin et réclame que la réglementation oblige l’assurance-vie et le PEA à avoir « une poche ISR ».
Déjà, pour l’épargne salariale, l’Etat oblige à investir dans l’ISR. Peut-être va-t-on remettre en place ici une niche fiscale – sujet à la mode. Mais on ne voit réellement pas pourquoi, ni au nom de quoi (la morale républicaine laïque? Les valeurs de la République ?) l’Etat imposerait sa conception de ce qui est éthique ou pas : l’ordre moral n’a jamais laissé de bons souvenirs. La morale est affaire de choix personnels ; si elle est imposée, elle n’a plus de valeur.
Un autre glissement à craindre est qu’au prétexte de « social », on surajoute des critères faussement éthiques à ceux qui le sont réellement.
Par exemple les agences de notation retiennent habituellement trois critères : Environnement, Social et Gouvernance (ESG). On peut comprendre que certains portent une grande attention à la question de l’environnement. Mais est-ce une question de nature éthique ? Elle nous semble plutôt relever d’un problème de mauvaise définition des droits de propriété, qui consiste à gaspiller ou polluer ce qui n’appartient à personne.
Le « social » n’est pas non plus question de pure éthique. Certes, on peut souhaiter que l’entreprise dans laquelle on investit respecte la dignité des personnes et reconnaisse des droits fondamentaux, mais peut-on aller au-delà ? La « question sociale » ne se pose pas dans les mêmes termes suivant le niveau de développement du pays considéré. Le niveau des salaires n’est pas un problème éthique, mais économique : la productivité est-elle suffisante pour augmenter la rémunération des producteurs ? Le salaire n’a pas augmenté chez nous depuis deux siècles parce qu’on est devenu « plus éthique », mais parce que production et productivité ont permis de mieux rémunérer les facteurs de production.
Enfin, il faut compter avec la mauvaise foi de certains croisés de l’éthique. Beaucoup d’entre eux ne cachent pas leur hostilité à l’économie de marché et se cachent derrière des prétextes éthiques pour demander plus de contrôles, d’interventions, de régulation, de redistribution. Au nom de l’immoralité supposée du marché, on s’organise pour le mieux détruire.
Bien entendu, chacun peut mettre l’accent, dans ses choix, sur ce qui lui semble important ; le souci de moraliser les comportements est louable, à condition de laisser la liberté de choix à chacun, d’éclairer les consciences au lieu d’imposer des choix étatiques, et de bien définir ce qu’est l’éthique. Celle-ci doit se fonder sur la dignité de la personne (donc sur sa liberté et sa responsabilité) et sur les normes morales naturelles. C’est autrement plus exigeant de se comporter en homme libre, avec une conscience éclairée, que de s’abriter sous la bannière du politiquement correct du moment ou d’appliquer les normes fixées arbitrairement par l’Etat.
Article repris depuis La Nouvelle Lettre avec l’aimable autorisation de Jacques Garello