C'est ce à quoi s'applique Zachary Mason dans son recueil de textes les chants perdus de l'Odyssée, aller voir dans le corpus homérique et en puiser la matière de ses nouvelles. Il en extrait quelques tableaux, des nouvelles, des contes mais aussi des recompositions de fragments des ré-agencements de morceaux d'histoires. C'est un exercice d'équilibriste. Utiliser des personnages et des épisodes de l'Iliade et de l'Odyssée afin de recomposer une œuvre tout à fait moderne, identique et différente à la fois.
Il picore ça et là, approfondit un personnage, met l'accent sur un autre, toujours avec pertinence et sagacité. Parfois le personnage change du tout au tout, parfois c'est le contexte qui change, faisant d'Ulysse l'architecte même de sa propre légende. Plusieurs retours à Ithaque sont envisagés, diverse Pénélope coexistent dans le livre.
il faut avouer que le talent de Zachary Mason est époustouflant. et sa façon de remodeler les histoires à partir de la matière homérique font de son livre une vraie merveille, en tout cas un minutieux travail qui joue du merveilleux.
Derrière toutes ces histoires Mason nous fait pressentir la permanence de l'œuvre homérique, à la fois terreau de toute la littérature occidentale et source d'inspiration pour le moderne et pour la création contemporaine.
Il n'est pas besoin de s'appesantir sur la vitalité et l'importance de Homère dans le champs contemporain, les incessantes traductions dans presque toutes les langues font acte de sa perpétuelle actualité, les oeuvres de Joyce ou de Rios (pour ne citer qu'eux) aussi.
Ce qui m'interpelle ici, c'est la façon dont la lecture des nouvelles de Mason entrent en résonance avec une autre actualité : celle du dernier essai de Pierre Bayard, Et si les œuvres changeaient d'auteurs (éditions de Minuit), dans lequel il dans lequel il présente le cas de Samuel Butler (romancier anglais du XIXè siècle, explorateur de mondes imaginaires et traducteur d'Homère) et de sa théorie (littéraire) qui veut que L'Odyssée ait été écrite par une femme vivant en Sicile. Se faisant, c'est toute notre perception du texte qui change. Révolution copernicienne, le lecteur se sent forcé de reconsidérer la place de la femme dans la geste homérique, pas seulement le cas de la patiente et amoureuse Pénélope, mais aussi celui de Circé, de Nausicaa, de Claypso et enfin celui des déesses. (en achevant cet article, le hasard des nouveautés me fait tomber sur un inédit d'Oscar Wilde qui vient juste de paraitre chez Climat précisément sur le rôle des femmes chez Homère...).
Revenons à Zachary Mason et à ses variations. La quatrième de couverture évoque Borges (c'était attendu dès la lecture des premières nouvelles ) ce qui frappe encore plus c'est la cohérence qui se dégage de la totalité du livre, cohérence rendue claire par l'agencement des variations. On termine le livre avec une seule idée, celle de retourner naviguer un peu dans l'œuvre d'Homère