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Cartes débit-crédit : quels enjeux pour les banques ?

Publié le 19 octobre 2010 par Sia Conseil

Cartes débit-crédit : quels enjeux pour les banques ? Dans la famille des cartes de paiement, la petite dernière s’appelle « débit-crédit ». Cette carte « 2 en 1 », permettant de choisir entre paiement au comptant et à crédit directement sur le terminal, pourrait bien devenir un incontournable du portefeuille des Français. Elle s’est d’ailleurs déjà faite une place de choix dans les offres

des banques. A quels objectifs répond le lancement de cette nouvelle génération de carte et quel pourrait être son impact sur le marché français ? Décryptage.

Une nouvelle génération de carte

L’arrivée de la carte débit-crédit constitue une évolution notable du marché français de la carte de paiement. Jusqu’à présent les réseaux d’agences généralistes proposaient uniquement des cartes de débit (éventuellement à débit différé fin de mois). Les cartes de crédit, quant à elles, n’étaient proposées que par les acteurs spécialisés du crédit à la consommation et souvent commercialisées en marque blanche par des enseignes de distribution (éventuellement avec le choix d’un paiement comptant ou crédit à réception du relevé mensuel). Mais aucune carte n’offrait la possibilité à leur détenteur de choisir de payer au comptant ou à crédit au moment de la transaction, et ce chez n’importe quel commerçant ou sur n’importe quel distributeur de billet. C’est cela que proposent désormais les cartes débit-crédit. Leur émergence sur le marché de la carte bancaire a été rendue possible par une harmonisation technologique autour de la norme EMV (Europay Mastercard Visa). Celle-ci a permis, outre de rendre les paiements plus sûrs, la mise au point de cartes multi-applicatives dont la particularité est de pouvoir embarquer des services évolués (solutions de crédit, dispositifs de fidélisation…). Si les spécifications de cette norme ont été définies dès 1987, le chantier de migration n’a débuté en France qu’en 1998 pour s’achever au cours des années 2000. Et il y a encore trois ans, la cohabitation de normes différentes d’un terminal à l’autre ne permettait pas de proposer des fonctionnalités de crédit universellement reconnues. Mais aujourd’hui, 100% des cartes universelles (distribuées par les banques), 99,5% des terminaux de paiement et 100% des distributeurs automatiques de billets en France sont homologués EMV[1]. A titre de comparaison, seulement 67,5% des cartes sont conformes à ces normes[2] au niveau européen.

Au cours des deux dernières années, les cartes débit-crédit se sont donc faites une place dans l’offre des banques. En juin 2008, le Crédit Agricole a été le premier à lancer une carte de ce type avec son offre « Double Action », suivi peu après par Banque Populaire et Caisse d’Epargne avec respectivement leur carte « Facélia » et « Izicarte »[3], commercialisées depuis début 2010. La Société Générale a, quant à elle, choisi un mode de distribution quelque peu différent en ne commercialisant pas spécifiquement une carte débit-crédit, mais en permettant à ses clients d’ajouter à leur carte habituelle l’option crédit « Alterna », leur offrant la possibilité de choisir sur le terminal le type de paiement souhaité. Un premier bilan peut aujourd’hui être tiré et il apparait plutôt positif avec un million de cartes Double Action vendues en l’espace de 18 mois et 130 000 cartes Facélia distribuées depuis début 2010.

Comme en témoignent ces chiffres, ces produits 2 en 1 ont vite trouvé une clientèle. Cela peut tout d’abord s’expliquer par le fait que les banques ont profité du renouvellement des cartes standard de leurs clients pour leur proposer cette nouvelle offre. Au même prix qu’une carte habituelle, elles offrent des garanties complémentaires sur les achats réalisés (qu’ils aient été payés au comptant ou à crédit). Les détenteurs de la carte Izicarte (Caisse d’Epargne) bénéficient ainsi d’une extension de garantie constructeur de 24 mois pour les appareils électrodomestiques et d’une garantie contre le vol et la casse pour ces mêmes biens. De plus, le consommateur n’a plus besoin de multiplier les cartes pour pouvoir bénéficier des offres associées à chacune d’entre elles. Elles peuvent aussi être synonymes de discrétion et de liberté puisque le client n’a plus besoin d’effectuer une démarche spécifique auprès de son banquier avant d’acheter le bien convoité, ce qui peut permettre de contrer un frein psychologique au crédit à la consommation chez certains clients. Il est à noter que leur utilisation présente encore quelques restrictions puisque l’option « crédit » n’est disponible qu’en France et ne concerne pas les ventes à distance ou réalisées sur internet. Cependant, les banques ont bien compris qu’elles pourraient séduire les consommateurs avec ces cartes particulièrement avantageuses.

Cartes débit-crédit : quels enjeux pour les banques ?

Sia Conseil / Source : Grilles Tarifaires

La carte : un enjeu stratégique pour les banques

L’offensive des banques peut s’expliquer par la nouvelle dimension concurrentielle occupée par la carte au cours des dernières années. Rappelons tout d’abord que, en l’espace d’une décennie[4], la carte bancaire est devenue le moyen de paiement préféré des Français. On compte désormais 90,6 millions de cartes bancaires en circulation dans le pays[5]. Parmi celles-ci, deux catégories coexistent : les cartes de type interbancaire utilisables dans n’importe quel terminal ou distributeur (69%[6] du marché en volume de transaction) et les cartes de type privatif utilisables uniquement au sein d’un réseau d’enseignes (31% du marché en volume de transaction). La part de marché des cartes par rapport aux autres moyens de paiement croît au rythme de 6,5% par an (8 milliards d’opérations en 2009), tandis que celle du chèque décline de 5% par an en moyenne. Aujourd’hui 9 français sur 10 possèdent au moins une carte de paiement. Du fait de cette montée en puissance, la carte est devenue un outil central dans les offres de tenue de compte et de banque au quotidien.

Cartes débit-crédit : quels enjeux pour les banques ?

Sia Conseil / Source : BCE

A ce titre, la carte est devenue un instrument de conquête majeur pour les banques qui l’ont placée au centre de leur stratégie d’innovation. Elle s’est affirmée comme un des moyens de différenciation permettant d’emporter la préférence du consommateur (« top of wallet »). On a ainsi assisté à l’émergence de cartes prépayées, telles que la carte JUMP de BNP Paribas, permettant aux parents de mettre une somme d’argent sur la carte de retrait de leurs enfants afin que ceux-ci ne puissent pas dépenser plus que ce montant. Les offres de personnalisation de carte sont également devenues courantes, qu’il s’agisse de choisir le visuel de celle-ci ou son contenu. Le LCL a ainsi lancé une carte en partenariat avec la Fédération Française de Judo permettant l’obtention de conditions avantageuses négociées auprès de partenaires. D’autres projets se dessinent encore aujourd’hui avec par exemple le développement du paiement sans contact, qui devrait s’imposer comme une norme dans les années à venir. La carte débit-crédit s’inscrit ainsi dans cette logique de différenciation et de fidélisation par l’innovation : elle se différencie des autres cartes en proposant des services, mais elle permet également de fidéliser le client en liant son compte courant à une facilité de paiement.

La carte débit-crédit n’est cependant pas uniquement une tentative pour les banques de fidéliser, mais aussi un moyen d’affiner leur connaissance client. Ces cartes sont source d’une connaissance plus fine du client et de ses habitudes de consommation. Elles permettent ainsi de collecter des informations précieuses sur la gestion de l’ensemble de son budget. Le consommateur étant de plus en plus multi-bancarisé, il n’est plus rare que les banques ne disposent que d’une vision partielle du fonctionnement de ses comptes. Offrir de nouvelles fonctionnalités pourrait ainsi permettre de capter le client dans son ensemble et mieux le connaître pourrait aussi permettre de lancer des actions de fidélisation plus pertinentes. Les banques sont en outre très bien placées pour connaître la capacité de crédit de leurs clients. Les conseillers peuvent ainsi fixer le montant de la réserve d’argent avec le client en fonction de ses besoins mais aussi de sa capacité de remboursement. Cela permet à la banque, tout en offrant un service supplémentaire au client, de limiter son coût du risque.

Mais au-delà de cette meilleure connaissance du client et de la possibilité de limiter leur coût du risque, ces cartes devraient permettre aux banques d’accentuer leur présence sur les lieux de vente au détriment des cartes privatives de distributeurs. En effet, celles-ci sont souvent limitées à un réseau d’enseignes alors que les cartes proposées par les banques permettent le règlement des achats à crédit chez n’importe quel commerçant. Ces cartes seraient ainsi un moyen pour les banques de capter une part plus importante du marché du crédit à la consommation qui leur échappait jusqu’ici. En outre, si les cartes privatives sont souvent couplées à des programmes de fidélité, les cartes débit-crédit pourraient être associées à des programmes d’avantages multi-enseignes, capables de séduire les consommateurs. La commercialisation des cartes débit-crédit annoncerait ainsi, outre une rivalité accrue sur le marché de la carte, une nouvelle concurrence des banques sur le marché du crédit à la consommation.

Un jeu d’acteurs et un modèle économique complexes

De prime abord, il peut paraître surprenant que les banques de réseau investissent le marché du crédit renouvelable alors qu’elles en sont les principaux acteurs via leurs filiales spécialisés. Cependant, cette offensive constitue aussi un moyen de redynamiser un marché en perte de vitesse. Le crédit revolving a en effet connu une baisse de plus de 11% en 2009. Cette situation est le résultat de plusieurs facteurs : un contexte économique particulièrement morose, une image quelque peu ternie des sociétés spécialisés suite aux campagnes des associations de consommateurs, ou encore des mauvaises expériences vécues par certains porteurs (cf. Crédit à la consommation : une activité en difficulté). Par ailleurs, la transposition de la Directive européenne sur le crédit à la consommation, imposant de nouvelles contraintes aux acteurs du marché (interdiction de conditionner les avantages commerciaux à l’utilisation à crédit des cartes de fidélité, modalités de présentation des offres et publicités, allongement du délai de rétraction de 7 à 14 jours…), a également été relayée dans les médias, alimentant par la même occasion une certaine méfiance des consommateurs. Les cartes débit-crédit pourraient permettre de faire face à cette défiance relative en rendant le crédit revolving directement accessible sur la « carte de tous les jours », et en relayant cette offre via des réseaux généralistes auxquels les clients sont plus familiers.

Ensuite, il est probable que les banques cherchent à développer le marché du crédit à la consommation en France. Ce marché est en effet historiquement bien moins développé dans notre pays qu’à l’étranger. Les cartes débit-crédit pourraient donc être pour les banques, même si le risque de cannibalisation n’est pas nul, un moyen de séduire une nouvelle clientèle qui n’est pas celle des établissements spécialisés et d’accroître ainsi leur base de clientèle. L’introduction de nouveaux produits permettrait de créer un cercle vertueux bénéficiant également aux filiales spécialisées des banques.

Un troisième facteur stratégique réside dans la prise de position face aux enseignes de la grande distribution, qui développent des offres de plus en plus complètes et packagées autour de cartes de paiement à prix discount. A titre d’exemple, Auchan (via sa filiale Banque Accord) propose déjà une carte débit-crédit avec choix sur le terminal, à un tarif particulièrement compétitif (cf. tableau ci-dessous). De même, Carrefour (via sa filiale S2P) propose la carte Pass Mastercard qui permet le choix du mode de paiement mais qui dispose également de l’option « paiement sans contact », ce qu’aucune banque de réseau ne propose aujourd’hui à l’échelle nationale. La carte Pass Mastercard compte aujourd’hui 2,7 millions de porteurs et est désormais disponible immédiatement via une émission instantanée en magasin.

Cartes débit-crédit : quels enjeux pour les banques ?

Sia Conseil / Source : Grilles Tarifaires

Ainsi, la carte débit-crédit n’est pas un nouveau produit comme les autres. Même si ses impacts effectifs seront à confirmer dans les années à venir, il n’est pas impossible qu’elle initie de nouveaux jeux de position dans le secteur des services financiers. D’une part, sur le marché de la carte, la concurrence s’annonce particulièrement vive entre les banques qui cherchent à s’imposer en étant innovantes et en développant des offres personnalisées et d’autres acteurs tels que la grande distribution et les banques en ligne qui misent sur le facteur prix. Face à un enjeu particulièrement fort de conquête et de fidélisation, le positionnement des acteurs pourrait encore évoluer. D’autre part, la prise en main des banques d’un terrain jusque-là réservé à leurs filiales pourrait annoncer un ajustement des business modèles en place. En effet, dans un marché du crédit à la consommation sous pression, les acteurs sont à l’écoute de synergies pouvant se traduire sous forme de partenariat ou de regroupement, comme en témoignent le rapprochement récent des deux filiales spécialisées (Finaref et Sofinco) du Crédit Agricole au sein d’un unique pôle (Consumer Finance), ou encore l’alliance stratégique entre BNP Paribas et Natixis Financement.

Sia Conseil




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