Présenté par Clélie Mathias, ce journal offre comme promesse éditoriale inédite celle de mettre le téléspectateur, donc le public et accessoirement le citoyen au cœur du dispositif en le faisant se confronter chaque jour à un acteur de la scène publique, en prise directe avec l’actualité. Mise en avant de la vox populi, la tendance pointait déjà le bout de son nez en cette rentrée à l’époque où je l’avais évoquée.
Pour en revenir à ce journal, il est programmé du lundi au vendredi de 18h30 à 18h45. Avant toutes les autres éditions des chaînes généralistes, cette programmation à l’avantage d’offrir une contre programmation à cette heure d’écoute tout en capitalisant par amont sur l’émission de 18h45 consacrée aux “médias” et qui est l’un des plus gros vecteurs d’audience de la chaîne.
Le contenu quant à lui, se compose de deux parties distinctes. Les six premières minutes font état de l’actualité sociétale, des faits divers et de la consommation sous forme de brèves ou de courts reportages. On remarquera l’absence totale d’actualité internationale ou culturelle. La forme quant à elle, est dans le plus pure style d’un journal télévisé classique. Lors de cette première partie, les citoyens lambdas, présents en plateau, n’interviennent pas, alors que l’invité peut très brièvement commenter mais de manière anecdotique plus que pertinente.
Focalisons nous sur ces fameux témoins. Ils sont au nombre de trois, ils nous sont en un mot présentés en tout début de journal avant de devenir les acteurs principaux de la seconde partie de ce JT, nommée “le dossier“. Neuf minutes d’antenne sont consacrés à cette “révolution journalistique“. Pour ce premier numéro, les heureux élus se nomment Sabrina, Yves et Salim. Sans même illustrer les prénoms des intervenants par leurs photos, on sent que Direct 8 a voulu, pour ce premier numéro, jouer la carte de la France multiculturelle. L’autre aspect et qui risque rapidement de devenir un écueil pour la chaîne concerne la provenance de ces citoyens. Les studios de Direct 8 se situant en proche banlieue parisienne, la très majorité des intervenants seront toujours issus de cette région, amputant nécessairement la promesse initiale de donner la parole au public et non à un public.
Le premier invité de ce journal était le député Manuel Valls. Cette seconde partie débute par une remise en contexte de l’actualité qui va être questionnée. Sous la forme d’un sujet d’une minute trente, le reportage re-synthétise les éléments qui aliment le débat actuel et vont permettre aux questionneurs d’un soir de disposer d’un cadre référentiel. D’ailleurs, la limite à l’égarement est jouée par la journaliste qui, à titre d’exemple, pour lancer le débat pose cette question fermée : “Le gouvernement a-t-il raison de ne rien céder ?“. Un sondage internet, tiré du site du journal, illustre cette question avant que les citoyens ne puissent répondre brièvement que par oui ou non, tout comme l’invité.
Ensuite, les questions et réponses se mettent en place entre l’invité et français lambdas. Que retenir de cet exercice de style ? Qu’il est une nouvelle fois fortement calibré. Je m’explique.
Clélie Mathias joue un double rôle de médiation. Premièrement, elle oriente la discussion en donnant la parole à chacun des intervenants selon des points de vue qui les caractérisent. C’est à dire que préalablement à ce journal, toutes ces personnes ont été interrogées pour connaître leurs grandes orientations de pensée. Deuxièmement, sa médiation s’inscrit également dans la transmission des questions vis à vis du public. En effet, à plusieurs reprises, on se rend compte que le citoyen tente de s’exprimer (on notera au passage la bonne qualité d’élocution de ceux-ci) mais n’arrive pas à formuler de manière concise sa pensée, chose que la journaliste reprend à son compte.
Dès lors, quel intérêt a cette formule ? Que révèle-t-elle ? Pour ainsi dire, j’ai davantage eu l’impression à la manifestation télévisuelle d’une chimère, d’un serpent de mer médiatique, celui de donner la parole au peuple car eux seuls détiennent une parole vraie qui va déstabiliser les élites et ne pas demeurer dans le consensus mou que d’une réelle application de cette promesse. Intention louable lorsqu’elle ne s’égare pas de la feuille de papier, mais qui une fois en pratique s’avère extrêmement difficile à tenir. L’exemple type reste à l’heure actuelle RMC où cette propension à la libre écoute fournie un résultat quelconque (qui attire néanmoins du public) dans le fond et la forme.
Dans le cas de Direct 8, la forme compte et l’exercice de la libre parole est un argument marketing (d’autres s’y sont risqués avant eux) mais qui n’est pas réellement utilisé. Reformulation des questions, appuis de la journaliste, prise de parole donnée selon le bon vouloir, pas grand chose ne transparaît de l’ouverture de la parole au peuple.
Par ailleurs, tenter de donner les clés d’un journal télévisé au public, c’est tout de même renier en bloc ce qu’est un journaliste, son travail, sa mission. Le peuple n’est pas expert en tout. Comment est-il légitime pour effectuer la médiation d’un sujet qu’il ne maîtrise pas complètement vis à vis de ses concitoyens assis derrière leur poste ? Son seul échappatoire est d’aborder l’angle, “vous savez, moi je vis ça au quotidien, etc.“. Un journaliste est un médiateur de l’information, son travail est de scruter chaque jour l’actualité, de la comprendre, de la faire partager et surtout d’emmener la compréhension du public plus loin. Le public est en attente de cela et ne doit pas être le producteur de cet état de fait lorsqu’il ne dispose pas de l’expertise du domaine.
PS : J’aurais pu également évoquer le décor de ce JT, tout de blanc immaculé et qui dans l’imaginaire de la transparence et de l’absence de médiation entre puissants et citoyens s’inscrit comme fortement identifiant de cette promesse définitivement compliquée à tenir.
LE NOUVEAU JOURNAL, EDITION DU 18 OCTOBRE 2010, DIRECT 8
Références : Direct 8, Journal, Réflexion, TNT Réactions de lecteurs