Pour une fois, regardons le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Le rapport global sur la compétitivité 2010, édité par le Forum économique mondial de Genève, utilise tant les chiffres officiels que des enquêtes ciblées pour comparer les pays entre eux. Objectif : savoir qui réussit le mieux dans le plus grand nombre de domaines possibles. L’idée est que la performance économique n’est pas tout, mais que la réussite dépend de l’environnement politique, d’éducation, de santé, d’infrastructures et de mentalité du pays.
A ce titre, États-Unis et Chine sont peut-être les premières puissances économiques mondiales, mais pas forcément premiers en réussite globale. Sur 139 pays, les États-Unis sont 4ème et la Chine 27ème. Les premiers sont la Suisse, la Suède et Singapour. La France arrive 15ème, gagnant une place sur l’an dernier.
Tout le monde a conscience des handicaps français : trop peu d’étudiants à l’université et une formation professionnelle indigente, une trop faible interaction entre recherche et production, un marché du travail trop rigide, des relations patrons/salariés exécrables, une répugnance à déléguer, un taux de prélèvements obligatoire important, un maquis fiscal et une bureaucratie d’État lourde.
Mais l’enquête éclaire les avantages. Ils vont clairement :
• à la stabilité politique (depuis 1958) : le système institutionnel est 26ème/139 (13ème pour l’Allemagne mais 40ème pour les États-Unis), ce qui induit aussi une très forte probabilité de rembourser sa dette d’État.
• à la politique de santé publique, notamment l’espérance de vie et la faible mortalité infantile
• au nombre restreint de crimes et délits,
• à une faible corruption (merci aux juges des pôles financiers notamment),
• au maintien d’une inflation basse (par l’ouverture aux importations),
• au contrôle des changes ouvert qui permet aux capitaux internationaux de circuler,
• à l’éthique au travail (l’amour du travail bien fait, le perfectionnisme d’ingénieur)
• aux infrastructures, 4ème/139 (routes, rail, liaisons aériennes, télécommunications). Pour les ports, c’est nettement moins bien en raison des grèves à répétition.
Comme on le voit, ce n’est pas le « service public » globalement qui fait la réussite, mais le système institutionnel et la santé. L’éducation nationale est très moyenne, avec de bons matheux et beaucoup d’élèves scolarisés dans le secondaire, mais trop peu de diplômés du supérieur pour la population. Heureusement qu’il existe de très bonnes écoles de commerce, dit le rapport.
La France a une population qualifiée dans les métiers moyens, encadre bien avec un bon niveau intellectuel, mais reste trop hiérarchique dans les relations d’entreprise. L’innovation y est appréciée mais peu encouragée, universités et entreprises développant peu de projets économiques communs. L’État prélève trop sur les salariés et sur les entreprises sans que cela se traduise par de meilleurs investissements qu’ailleurs (sauf rail/route et santé). Et le double déficit, du budget et de la balance commerciale, montre qu’il vit au-dessus de ses moyens.
Il ressort de cette vision globale une France un peu archaïque. Terre de commandement, elle reste un pays pyramidal où la sélection scolaire produit une toute petite élite sûre d’elle-même et dominatrice, qui régente les institutions et dirige de façon incestueuse les grandes entreprises. Entreprendre, innover, investir personnellement, prendre des risques : tout cela est fort peu valorisé. Le statut social consiste en la position de pouvoir qu’on a, pas dans l’œuvre que l’on apporte à la société…
En revanche, les institutions de gouvernement apportent de la stabilité et le droit y est bien appliqué, tant sur la propriété du capital que sur la propriété intellectuelle, et les crimes et délits (dont celui de corruption) bien traqués et réprimés. Une certaine qualité de la vie émerge, due au réseau public de santé et aux moyens de communication.
Il ne faudrait pas grand chose pour que la France avance : un desserrement des rigidités sociales, un assouplissement des contraintes scolaires (qui briment le grand nombre plutôt que de l’élever), un recul des prélèvements d’État par une meilleure organisation de ses services et une définition renouvelée de ses missions. Nous sommes la 5ème puissance économique en termes de production, mais 15ème seulement en termes de compétitivité globale. La Suisse est première, l’Allemagne cinquième : voilà des pays européens, proches par la culture, qui devraient nous inspirer.