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L'impasse du revivalisme

Publié le 18 octobre 2010 par Bertrand Gillet

Le rock tourne-t-il en rond ?

Bien que jeune en apparence, le rock est en vérité un quinquagénaire figé dans ses propres doutes et dont l’adolescence célébrée à l’orée des sixties, pour sa fraîcheur et sa puissance novatrice, constitue encore aujourd’hui un indépassable âge d’or. Loin de certaines considérations conservatrices, voire réactionnaires, le fameux « c’était mieux avant », les années soixante ont tout bonnement inventé une forme d’écriture concise, mélodique et efficace : la pop. Aussi est-il naturel de voir des formations actuelles tentées d’en décliner le principe. Mais aujourd’hui, le rock traverse une crise identitaire majeure : comment se revendiquer de son époque après tant d’années de révolutions stylistiques ? Vaste débat. Voilà pourquoi le rock s’est refugié dans la mode rétro ou le revivalisme. De nombreuses autres disciplines artistiques, à commencer par la mode, s’amusent à revisiter les décennies passées pour le bonheur de tous. Et le rock de retrouver sa jeunesse perdue en ressortant toute la panoplie de l’instrumentarium vintage : guitare Rickenbaker 360 12 cordes popularisée par les Harrison, McGuinn et consorts, orgues d’époque, synthés analogiques, mini moog. Portée par des producteurs érudits, cette tendance concerne tous les genres, toutes les décennies, tous les sons ! Mais à vouloir trop ressasser les formules éprouvées, le rock n’est-il pas en train de se perdre ? Et c’est un geek collectionneur et un brin conservateur qui s’interroge aujourd’hui. Les années 2000-2009 en sont l’exemple frappant qui accumulent toutes ces relectures, du psychédélisme garage à la new wave en passant par la soul. Trop, c’est trop. La copie conforme flatte, vous replonge avec délice dans un passé, vécu ou non, mais dont le souvenir rassure. Prenez la soul, le revival Motown bat son plein et emplit les bacs des disquaires de « nouveautés » : de Eli Paperboy Reed à Plan B en passant par Mayer Hawthorne. Tous ont cet amour sans doute honnête d’un son patiné à souhait. Mayer Hawthorne pousse le vice jusqu’à recréer un son vinyle avec craquements comme pour tromper l’auditeur sur l’exactitude de la parution de son album, A Strange Arrangement (un titre qui sonne dès lors comme un aveu). Même Phill Collins s’y est mis ayant certainement, en vieux briscard de la pop, flairé le bon filon. C’est à Amy Winehouse que l’on doit d’avoir lancé les hostilités avec Back To Black, produit par Marc Ronson. Certes, l’intro du morceau titre a tout piqué au Baby Love des Supremes mais la Wino n’a pas oublié la sacro sainte règle des années soixante : un bon disque c’est avant tout de bonnes chansons. L’écriture dont je parlais plus haut. Et Back To Black en recèle bien évidemment ce qui lui permet d’échapper à cette Saint Barthélémy journalistique du phénomène vintage. Côté rock, le psychédélisme n’est pas en reste. Oui je le dis, répète, je le confesse, je suis fan de ces farfisas vrillés, des pédales fuzz tourbillonnantes qui vous emportent dans un vortex lysergique. Je suis un fan de la compile Nuggets mais à l’aube de ma trente cinquième année, l’âge aidant, je me surprends à en bouder les tocs, ces hoquets que de jeunes groupes choppent et dont ils n’arrivent plus à se débarrasser. Les Black Angels ont le son, le mojo comme disent certains, leur force de frappe rock est indéniable, et dans leur dernier opus, ils osent des embryons de chansons mais on les sent mal à l’aise dans cet exercice imposé (par les radios parfois). Comme s’ils étaient condamnés à évoluer dans la rétro space jam, appellation d’origine nord californienne un peu trop contrôlée. Car les compos ne sont pas au rendez-vous. La tentative était courageuse mais demeure insuffisante. Porte drapeau du mouvement revivaliste aux Etats-Unis, aujourd’hui égaré dans les méandres du cerveau altéré d’Anton Newcombe, The Brian Jonestown Massacre avait le mérite d’écrire de bons morceaux malgré des albums parfois trop longs, trop décousus. Regarder vers le passé n’est-il pas en fait le signe d’un tarissement de l’inspiration ? Quand le rock progressif s’impose dans le paysage des années soixante dix naissantes, son contrat artistique s’avère ambitieux. Et surtout, il s’empresse de rompre avec un rock trop américanisé à son goût. Malgré les dérives que connut le genre, il fut à l’origine de quelques galettes majeures qui renouvelèrent la grammaire musicale. Certes, la nostalgie demeure un sentiment que tout un chacun ressent au moins une fois dans sa vie. Nostalgie des trente glorieuses et du plein emploi, nostalgie de l’avant CD, nostalgie d’une époque pas encore dévorée par les médias et le tout technologique. Oui la nostalgie se veut rassurante. Serait-elle créaticide ? Habillement ressuscité par des publicitaires aussi malins que vicieux, John Lennon se surprend à lâcher un prophétique « copier le passé, ce n’est pas très rock’n’roll ». Le rock est malade, son message s’en trouve altéré et sa crédibilité remise en question par les détracteurs de la « culture de masse ». Mais loin de donner raison à ces maboules hurlant au scandale face à Murakami s’étalant sous les ors de Versailles avec une minauderie pop jubilatoire, le rock doit pourtant se réinventer. Chose difficile quand on née de trois simples accords. Mais chose possible au regard de ces quelques groupes qui ouvrent la voix, si je puis dire, je veux parler entre autres de Arcade Fire. Malgré leurs influences, Win Butler et ses musiciens ont réussi le tour de force de créer un rock acculturé. Pas de pastiche fantoche, pas de copie trop conforme, pas d’ersatz sans hits. Débarrassé des falbalas punk aux guitares trop approximatives, le groupe prend de la hauteur par rapport à la concurrence en épousant les contours précieux d’une pop plus mature, plus profonde encore. Alors, le revivalisme, une impasse ? Oh que oui, même s’il flatte l’auditeur érudit, même s’il comble de joie le musicien heureux à la vision de tous ces instruments vintages, religieusement disposés dans des studios tout aussi vintages qui furent parfois le lieu d’ébats artistiques restés légendaires. Il apparaît surtout comme le signe d’une paresse intellectuelle dans le processus de création et d’élaboration d’une œuvre musicale. Alors que le rock devrait pousser les artistes vers de nouvelles convergences comme il sut le faire dans les années 60/70 en fusionnant habillement avec le jazz et le funk. Aujourd’hui, LCD Soundsystem demeure le porte-drapeau de cette mixité possible entre le rock et d’autres familles musicales, l’électronique en l’occurrence. C’est aussi dans l’écriture, porteuse de sincérité, que les groupes arriveront à renouveler le langage rock. C’est cette dernière qui donne à toute création sa singularité, rapprochant au fond l’artiste de l’auditeur. Distinguons également les copistes de ceux qui cherchent à travers des instruments « d’époque » la chaleur et la couleur d’un son. Rien de blâmable ici compte tenu de ce que les années 80 ont commis d’horreur en matière de production. Le renouveau du rock au tout début des années zéro se fit par l’entremise d’instruments organiques, seuls dépositaires d’un son rock vivant, dès lors puissamment et bruyamment incarné. Katerine le prouve une fois de plus qui sort son dernier album où les machineries cool font place à une matière plus brute. Le résultat est là, bon, très bon même. Actuel, osons le mot. Méfions-nous aussi des manifestes pour « la Modernité ». Derrière de louables intentions, de nombreux groupes cèdent à cette fameuse fraîcheur qui trop souvent arrive, séduit et finit par passer son chemin sans laisser la moindre empreinte. A l’instar de Jamaica, sympatoche mais trop figé dans la posture « French touch » à la Phoenix. Pire est le revivalisme d’un phénomène par trop récent et qui confine un groupe dans le statut triste de simple « déclinaison ». Le rock de demain sera l’inverse de la nouvelle formule des Inrocks : neuf, vrai, écrit et surtout sans concession.

Mayer Hawthorne :

http://www.youtube.com/watch?v=RAxBdYM8opg

http://www.youtube.com/watch?v=JYHYAwvdHzY&feature=related



19-10-2010 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 1703 fois | Public
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