Santa Maria Assunta ©Jean Mounicq
photographies extraites de Venise d'eau et de pierre
©Imprimerie nationale Editions Paris 1998
dietro Santa Maria Assunta©Jean Mounicq
....Il se tapit contre le sol et attendit. Les voix d'une beauté inhumaine ricochaient contre les nuages et pleuvaient en grappes célestes. Il laissa ses yeux s'accoutumer à la noirceur environnante. Il lutta mentalement mais rien n'y fit les notes une à une le prirent dans leurs filets. Il se redressa et oubliant toute prudence il suivit l'appel. Son corps délié s'auréolait de perles de joie. De grands arbres alignés tels des soldats portaient haut et droit leurs lances ramures jointes en une voûte grandiose. Il se glissa dans cette allée majestueuse, le coeur battant. Au bout de l'allée, dans le tournant, une lumière saisit à pleins doigts les troncs. Il s'approcha avec appréhension mais la musique était plus forte que sa peur. Sous ses pieds des dalles alignaient avec rigueur leur rondeur. Ses pas inexorablement le conduisaient vers l'antre secret de l'allée. Il y parvint. Il comprit d'où venait la lumière. Il comprit d'où venaient les chants. Tout au bout un grand feu jetait sur un mur de pierres les ombres démesurées des chanteurs. Ils se dressaient tous derrière un trône de pierre vide. Il ne put s'empêcher d'avancer. Les voix tissaient une trame dans laquelle tous ses désirs s'enlisaient. Il avançait. Les grandes capes multicolores des chanteurs se mirent à virevolter. La main impérieuse d'un vent soudain le poussa plus en avant. Il regarda derrière lui, l'allée se refermait après son passage. Impossible de lutter, ses jambes ne lui obéissaient plus. Le trône passait d'un rouge sang à un pourpre incandescent. Il avançait. Les voix partirent brusquement dans des aigus à briser les tympans. La fumée se mit à tournoyer et ses volutes l'enlacèrent. Il ne voyait plus la scène qu'à travers un voile piquant aux arômes d'encens. Sa tête était dans un étau, son corps absent. Quelqu'un jeta une poignée de poudre sombre dans le feu. Une fumée âcre et épaisse entoura la scène, la pression se fit plus forte dans son dos. Devant lui les silhouettes se déformèrent et l'une après l'autre elles se mirent à chevaucher la fumée. Soudain elles furent sur lui et elles l'entraînèrent. Elles l'assirent dans le trône, les sons stridents cessèrent aussitôt. Le silence qui suivit évacua les fumées et apaisa son coeur. Les capuchons tombèrent. Un flot de chevelures s'en échappa. Il y avait autant de nuances que de couleurs de vêtements. Il était subjugué et ses yeux allaient d'une tête aussi brune qu'un corbeau à une châtaigne mûre puis d'un blé fané à un écureuil flamboyant, et enfin d'un gris profond jusqu'au blanc transparent mais toutes avaient les yeux emplis de larmes et toutes des sourires plein le visage. Il n'y comprenait rien. Alors elles reprirent un chant et son pouls s'accéléra lorsqu'il reconnut une des chansons de sa mère. Une lumière traversa son esprit, le clan de sa mère, il avait devant lui le clan de sa mère. Il resta là à les écouter et le temps cessa de s'écouler. Des images défilèrent dans sa tête, un feu venait d'embraser l'horizon, des cris et des bruits métalliques. D'autres cris, des rames nombreuses, des barques alourdies. Les pas hésitants des femmes et des enfants. Des arbres abattus qui tombent dans le fracas de leur douleur. Le village qui monte ses protections, le quotidien qui s'installe. Le mur derrière lui fut suivi d'autres murs, des hommes transportaient des pierres, d'autres les taillaient, d'autres les assemblaient, d'autres montaient d'incroyables échafaudages. Tous ces gens avaient envahi l'île et ils dressaient maintenant leurs édifices sacrés. Les chants perdaient de leurs forces. Il avait joint sa voix puissante aux leurs mais rien n'y faisait, les chants déclinaient. Un jour il ouvrit ses yeux sur le silence, il était seul, la pierre de son trône était érodée, derrière lui la masse puissante d'une église le défiait. Il se leva, la pierre craqua de douleur. Il toucha les murs et se brûla. Il poussa les deux battants avec force, ses mains restèrent gravées dans le bois. Il entra. La hauteur du plafond le submergea. Tout au fond l'arrondi d'une alcôve dressait dans sa conque une femme majestueuse. Elle était auréolée d'or et portait à son bras un enfant. Ce fut comme si une flèche le traversait, il venait de reconnaître sa mère. Lorsqu'il reprit ses esprits il aperçut tout en bas, lovés sous la conque, des gradins de pierre. Des hommes vêtus de longues chasubles couleur terre s'y tenaient. Un long psaume les habitait. Leurs voix graves se déployaient dans l'immensité des voûtes et voguaient de pierre en pierre. Les chants étaient fort beaux mais ce n'étaient pas les siens, il sortit. Il devait retrouver sa mère, il devait retrouver sa vie. Il ne reconnaissait pas le paysage inondé de clarté. Il ne vit pas le trône noyé dans un rayonnement blanc. Ses pieds nus le guidèrent mieux que ses yeux soudain aveugles. Il retrouva sa barque, il s'éloigna rapidement de cette île et de ses maléfices. Il jeta toutes ses forces dans les rames. Il se retrouva enfin seul entre ciel et mer et là, il poussa son cri. Sa rage, son désespoir, sa solitude montèrent jusqu'aux cieux et retombèrent en gouttelettes incandescentes. Vidé de toute sa vitalité il écouta longtemps l'eau crépiter autour de lui. Enfin apaisé il retourna vers la demeure de sa mère. Lorsqu'il accosta dans son île un frisson le saisit à la gorge. Il courut de toutes ses forces. Son coeur se durcissait. Leur demeure se tenait sur un petit promontoire, sa mère lui disait qu'elle s'y sentait plus près des bouches des étoiles. Il haletait mais une vague froide tombait de plus en plus lourde sur lui. Ses pieds soulevaient des plaques de boue de plus en plus pesantes. Tout son corps tentait de retarder son arrivée. Il serra les dents et continua d'avancer coûte que coûte. Il rencontra la première grande poterie du labyrinthe de sa mère, elle était fendue en deux, il ne put retenir un cri et à nouveau, il essaya d'accélérer. A nouveau son corps s'obstina. Il se faufila entre les différents pots, pas un n'était intact. Ils avaient tous des impacts d'épées comme si toute une armée s'était battue contre eux. Ils étaient éventrés, tordus, lacérés. Plus il avançait plus les marques augmentaient. Les derniers, brisés en petis morceaux, tenaient comme par magie leurs pièces en suspension autour du vide modelé des pots. Il accepta enfin de ralentir. Il sentit le poids du silence. Il sentit la fragilité du monde qu'il traversait. Il sentit une douleur le pénétrer tout en douceur. Il ralentissait de plus en plus. Il sentait la décomposition de sa marche, phalange par phalange. Il sentait l'immensité de son corps. Ses rivières, ses gouffres, ses planètes s'ouvraient à lui. Plongé dans la terre façonnée par sa mère, dans ces milliers d'éclats retenus par son seul amour, il vivait sa renaissance. La marche fut longue, très longue. La vérité de ce lieu lui était révélée. De ce lieu que, brassée de terre après brassée de terre, sa mère avait élévé pour lui. Au dernier détour son coeur avait tout compris...(à suivre)Marie-Sol Montes SolerLa maison des cinq têtes