Magnifique projet que celui d’Ai Weiwei dans le Turbine Hall de la Tate Modern ! Cent millions de graines de tournesol en porcelaine, petits objets précieux fabriqués et peints à la main par 1600 ouvriers (ouvrières surtout) d’une petite ville chinoise, centre traditionnel de porcelaine (ouvrières bien payées et heureuses de leur sort, si l’on en croit la vidéo accompagnant l’exposition). Superbe projetprônant l’amitié entre les peuples, évoquant le Président Mao, soleil devant lequel tous les tournesols se prosternaient, et surtout glorifiant la tradition artisanale chinoise et non la production de masse (Sunflower seeds).
Projet jouissif quand je l’ai visité mardi dernier, premier jour de l’ouverture au public : on flottait sur un sol spongieux, sensuel et crissant, on se couchait dans les petits grains de porcelaine, on en empochait subrepticement quelques-uns. Ce fut une expérience un peu futile, nonobstant les références dont l’artiste se réclame, mais agréable, sensuelle et conviviale.
Sauf que, deux jours plus tard, la Tate a fermé l’exposition au public, réalisant que la peinture et la porcelaine ne tiendront jamais pendant les six mois prévus, et que la poussière qui s’en dégageait est potentiellement nocive (principe de précaution, moins déviant que celui pour Larry Clark). On blâme ‘l’enthousiasme excessif du public’ bien sûr, et pas la conception de l’œuvre. La Tate est familière du fait, depuis l’exposition de Robert Morris fermée au bout de quelques jours à cause du même public trop enthousiaste, 39 ans plus tôt, sans parler des visiteurs blessés dans les toboggans de Carsten Höller, dans la fissure de Doris Salcedo ou contre les murs du container de Miroslaw Balka. Ai Weiwei est aussi coutumier de ces accidents, sa tour de portes et fenêtres à la Dokumenta s’étant effondrée au bout de quelques jours à cause de vents ‘violents’ soufflant sur Kassel, imprévus eux aussi.
À moins de penser redéfinir Ai Weiwei en artiste de l’échec et de la frustration, voilà un bel exemple de contresens et de myopie. Regardant d’en haut le champ de graines de porcelaine, nous n’avons plus désormais ni le plaisir, ni la rhétorique. Ça a fait ‘Pschitt’, comme disait notre cher Président (le précédent).
PS qui n’a rien à voir : dans le même journal annonçant la fermeture de l’exposition, un article sur les résidents de Lawrence Road, South Tottenham, se plaignant de ce que leur petite rue va désormais compter huit églises (dont la fort joliment dénommée Cherubim and Seraphim Church of Zion) s’installant dans un nouveau projet immobilier : trop de fidèles, on n’est plus chez soi, trop de bruit…
Photo de l’auteur