Dans une lettre datée du 1er juin 2010 et dont Rue Frontenac a obtenu copie, le responsable du comité régional de coordination sur les jeux d’argent et dépendances, Jean-François Biron, s’inquiète du lancement de ce jeu sans qu’il n’y ait eu de consultation. De plus, il se demande si Loto-Québec a pensé à des mesures de jeu responsable et si, advenant un succès, la société a prévu l’ouverture d’autres sites du même genre ailleurs dans la province.
«On ne veut pas être alarmistes. On veut simplement avoir de l’information et c’est normal. Quand Loto-Québec a lancé les salons de jeux, au départ, il ne devait y avoir que des appareils de loterie-vidéo dans ces endroits, mais il y a maintenant du poker électronique et de la roulette électronique. Ces endroits sont devenus de minicasinos. Il est donc normal de poser des questions quand on constate qu’on va encore augmenter l’offre de jeu», souligne M. Biron en entrevue.
«Il faut savoir si Loto-Québec a fait des études d’impact sur ce jeu qu’on ne connaît pas. Tout ce qu’on sait présentement, c’est que ce jeu ressemble au jeu Keno qui se retrouve dans les casinos et, selon une étude datant de 2002, le Keno est associé à une problématique de jeu à peu près de l’ordre des appareils de loterie vidéo», indique-t-il.
C'est lundi que Loto-Québec ouvrira une salle de jeux pouvant accueillir 400 personnes dans un minimail situé à l’angle des boulevards Saint-Laurent et Crémazie.
Remplacer le bingo
Le 20 mai dernier, la Société des bingos du Québec a annoncé le lancement d’un projet-pilote pour un nouveau jeu baptisé le Kinzo. Concrètement, ce projet prévoit l’ouverture, lundi prochain, d’une salle de jeux pouvant accueillir 400 personnes dans un minimail situé à l’angle des boulevards Saint-Laurent et Crémazie.
Le Kinzo est un nouveau jeu de hasard inspiré par un jeu collectif européen qui se veut un mélange entre le bingo et le Keno. Loto-Québec a précisé qu’on procéderait par mode de tirage informatique avec ces animations multimédias et que les tables de jeu seront munies de «buzzer» et d’un plafonnier circulaire permettant aux participants d’indiquer un gain.
Loto-Québec a développé ce concept comme solution de remplacement au traditionnel bingo, un jeu en constante perte de vitesse au Québec mais qui a permis depuis 13 ans à près de 1 000 organismes sans but lucratif (OSBL) ayant une licence de bingo d’obtenir quelque 10 millions de dollars en financement annuel.
«L’assistance dans les salles de bingo a diminué en moyenne de 4 % par année depuis 1997. (...) Une vingtaine de salles ont cessé leurs opérations depuis 18 mois, précarisant ainsi la santé financière des OSBL qui en dépendaient pour remplir leurs engagements envers la communauté. À elle seule, la région métropolitaine de Montréal compte actuellement 63 des 112 OSBL orphelins au Québec, dont 34 sont situés sur l’île de Montréal», avait d’ailleurs insisté Loto-Québec en mai dernier.
Danger
«C’est une variante du jeu Rapido offert en France et on sait que dans ce pays, ce jeu cause un bon nombre de dépendances. On nous dit également que l’on servira de l’alcool et des repas aux tables et cela nous inquiète grandement car c’est une pratique qui est présentement interdite dans les casinos et les ludoplex», relève de son côté le porte-parole de la Coalition EmJeu, Alain Dubois.
«Loto-Québec présente cette nouvelle offre de jeu comme une solution quasi «humanitaire» au problème de financement des OSBL. La demande de marque de commerce de Kinzo a été déposée à Industrie Canada en juin 2009. Ce projet n’est donc pas, tel qu’exprimé par les porte-parole, une réponse consécutive à la consultation terminée en avril 2010 auprès des 400 dirigeants d’OSBL», glisse une source du milieu de la santé publique.
Cette source, qui n’a pas la liberté de commenter le projet sur la place publique, croit que Loto-Québec a été échaudée par le souvenir de l’opposition au projet de casino au bassin Peel et aux Ludoplex. «La société d’État a utilisé en catimini la porte d’entrée plus socialement acceptée du bingo pour développer encore le réseau des salons de jeux régionaux», ajoute-t-elle.
Fausses affirmations
Ces affirmations sont fausses, répond Loto-Québec. «Notre objectif est d’offrir un jeu amusant et convivial. (...) C’est un jeu qui est très populaire en Europe. Ici, nous l’avons adapté en le bonifiant de composantes multimédias avec des jeux de lumière et des coupoles lumineuses. Il y aura une soixantaine de tables de six personnes et il y aura un placier à l’entrée pour que ceux qui arrivent seuls puissent se joindre à des tables où il y a déjà des gens», explique la porte-parole de la société d’État, Marie-Claude Rivet.
«Il s’agit d’un projet-pilote qui, comme les autres projets mis de l’avant par Loto-Québec, comporte des mesures de jeu responsable qui sont bien souvent en avant de ce qui se fait dans l’industrie du jeu à travers le monde, ajoute-t-elle. Ce n’est pas la première fois que la santé publique agite le grelot et que, au bout du compte, il s’avère qu’elle a tort.»
La société d’État défend également sa décision de servir des boissons alcoolisées aux joueurs. «Les salles de jeux similaires en Europe offrent un service d’alcool à la clientèle. Cela fait partie de l’expérience que l’on veut tester avec ce projet-pilote, signale Marie-Claude Rivet. Le Kinzo n’a rien à voir avec celui d’une partie de bingo traditionnelle où on prend plusieurs secondes (à tirer chaque boule). Comme le rythme de jeu du Kinzo est assez rapide, nous croyons que cela ne favorise pas la consommation d’alcool car il faut être en mesure de suivre le rythme de jeu. Ce ne sera pas un endroit pour aller prendre un verre, mais un endroit où les gens vont se rendre pour s’amuser. Ils vont prendre un ou deux verres de vin durant leur soirée, mais pas plus.»
S’il admet que l’objectif de Loto-Québec de continuer de financer les OSBL est louable, Alain Dubois souligne qu’il ne faut pas perdre de vue que le Kinzo est «beaucoup plus dangereux» que le bingo. «Il y aura un tirage toutes les six minutes. Et plus les tirages sont rapprochés, plus ce jeu risque d’être addictif, mais aussi payant pour Loto-Québec. Avec les animations, il n’y aura pas beaucoup de temps morts.»
Écrit par Valérie Dufour, Rue Frontenacl (17/10/2010) - Transcription autorisée
Texte original ICI