Dès le départ Nicolas Sarkozy a choisi de réformer les retraites, non pas parce que le pays en avait besoin, mais parce qu'il voulait faire un coup politique, marquer les esprits avant la présidentielle, et gêner la gauche peu à l'aise sur ce sujet. Pour arriver à ses fins, le président de la politique a choisi non pas la voie de la concertation, plus longue et moins rentable politiquement à court terme, mais celle du passage en force, plus rapide, mais plus risquée.
Nicolas Sarkozy et ses conseillers avaient tout pensé : le choix du ministre chargé de mettre en place la réforme, la faiblesse de l'opposition qui n'a pas de projet alternatif, le calendrier, le débat accéléré au parlement, sons oublier la division syndicale sur laquelle le gouvernement comptait bien s'appuyer pour tuer dans l'oeuf toute contestation, comme en 2003. Hélas pour le pouvoir, rien ne s'est passé comme prévu.
Le premier dérèglement, c'est l'affaire Woerth - Bettencourt. Eric Woerth avait été choisi au ministère du travail à la place de Brice Hortefeux pour ses qualités supposées d'homme de dialogue et sa bonne image auprès de la population. Il est vrai que pour le coup, l'actuel ministre de l'intérieur était un mauvais casting. Malheureusement la presse en révélant la collusion qui existe entre le ministre du travail et la première fortune de France, a jeté l'opprobre sur Eric Woerth et affaibli considérablement ce dernier.
C'est donc un ministre discrédité qui présente mi-juin le projet de loi, alors qu'au même moment les syndicats s'organisent. Mieux, pour une fois, le PS sort un projet alternatif, certes contestable par certains points, mais qui de l'avis de nombreux économistes est plus complet et plus équilibré que le texte gouvernemental. La contestation a désormais un point d'appui.
Le choix du mois de juin pour présenter le texte de loi n'est pas anodin. A l'approche des vacances d'été, cette période est peu favorable à une mobilisation massive. A la surprise générale, les syndicats qui n'ont pourtant pas réussi leur unité, réussissent au-delà de leurs espérances la manifestation du 24 juin, laissant espérer une mobilisation plus forte à la rentrée.
Qu'à cela ne tienne, le gouvernement table fortement sur les deux mois d'été pour éteindre définitivement le début d'incendie. Las, la polémique sur l'affaire Woerth se transforme peu à peu en affaire d'état. Il devient urgent d'allumer des contre-feux. C'est donc le retour de la surenchère sécuritaire, supposée ramener dans le giron présidentiel les électeurs de droite les plus radicaux. Rien n'y fait, l'affaire Woerth ne s'apaise pas, le président ne remonte pas dans les sondages, et la polémique sur les Roms ouvre des brèches béantes au sein de la droite modérée.
Dès la rentrée, le gouvernement décide d'agir vite, de ne pas laisser le temps à la contestation de s'amplifier. Il donne des gages aux étudiants pour éviter qu'ils ne rejoignent la contestation, et surtout, en commençant l'examen du texte de loi dès le 7 septembre à l'Assemblée Nationale, il sait qu'il est compliqué pour les syndicats de mobiliser à cette date. Unis cette fois, il font pourtant le faire, avec une journée de manifestation énorme dans toute la France.
A partir du 7 septembre, les syndicats vont multiplier les journées de manifestation. Toutes vont rencontrer un grand succès. Surtout, peu à peu la contestation gagne tous les secteurs : le public, le privé, les jeunes, les cheminots, etc. Le vote du texte à l'Assemblée Nationale dans des conditions bien peu conformes aux canons démocratiques en vigueur généralement n'a rien changé. Les Français sont toujours contre ce texte, et ce de plus en plus.
Comme on le voit, toutes les tactiques et les ruses utilisées par le pouvoir ont échoué jusqu'ici. Il est d'ailleurs excessivement regrettable que la politique soit faite de tactique et non pas de dialogue et d'écoute réciproque. L'espoir du gouvernement aujourd'hui réside dans le vote au Sénat, l'approche des vacances scolaires, et une division syndicale qui pourrait finalement se faire sur la stratégie à suivre.
Vu l'état de la mobilisation et de détermination des manifestants, le pari gouvernemental semble bien hasardeux. Les exemples de 1995 et de 2006 montrent que ce n'est pas parce qu'une loi est votée que la mobilisation s'arrête. Si la loi est mauvaise avant le vote, elle l'est toujours après. Le vote du Sénat ne changera donc rien, si ce n'est qu'il va radicaliser encore plus le mouvement.
L'approche des vacances scolaires va certainement influer sur la mobilisation lycéenne. Mais ceux-ci ne sont qu'un rouage dans le mouvement, de plus, il faut se souvenir de 2006 les vacances de février et de Pâques n'ont rien changé.
Enfin, la division syndicale est surtout brandie par les médias pour l'instant, jusque là les centrales ont su surmonter toutes leurs divisions. Mais même en admettant que certains dirigeants syndicalistes mettent fin à l'unité, on a surtout l'impression avec ce qui se passe dans les raffineries ou sur les ports, que la base s'émancipe des centrales et que ce mouvement est incontrôlable.
Je persiste à penser que nous ne sommes qu'au début d'un mouvement qui peut changer beaucoup de choses dans ce pays. Si Nicolas Sarkozy persiste dans sa logique d'immobilisme, je ne voit pour l'heure qu'une seule solution pour lui : retourner au Vatican faire une petite prière.