Le théâtre de ce bras de fer est double. D’une part il y a le marché des changes, qui depuis quelques jours semble privilégier l’euro comme « bonne monnaie », le dollar et le yen comme « mauvaises » tandis que le yuan chinois fait l’objet d’une certaine contestation. D’autre part les négociations entre Etats se poursuivent, elles seront menées dans le cadre de l’Asem , conférence qui réunit pays européens et asiatiques, représentant 60% du commerce mondial (et 58% de la population mondiale), puis dans le cadre du G20 dont la France va prendre la présidence au 1er novembre, et devant l’assemblée générale du Fonds Monétaire International. Il y a donc beaucoup d’agitation, mais aussi beaucoup de confusion.
La principale confusion vient non seulement de la divergence entre l’approche « marchande » et l’approche diplomatique, mais aussi du désordre qui règne dans les deux approches.
Pour faire simple, l’approche marchande n’obéit pas réellement à la loi de l’offre et de la demande dans la mesure où les Etats y ont encore un poids considérable. Les opérateurs sur le marché des changes sont obligés de prendre en compte les interventions des gouvernements qui volontairement soutiennent le cours de leur monnaie ou font tout pour le dévaluer. L’émission de monnaie est encore aujourd’hui le monopole des Etats, au niveau national (cas le plus fréquent) ou pluri-national (comme pour l’euro). En réduisant ou augmentant cette émission les Etats peuvent contrer les orientations que le marché aurait spontanément données au vu de la demande des différentes devises. Le but poursuivi par ces manipulations monétaires est de compenser les déséquilibres nés des opérations commerciales et financières. Le plus souvent les Etats cherchent à avoir une monnaie « faible » qui devrait faciliter leurs exportations et décourager leurs importations. Cette politique est un artifice, et les « dévaluations compétitives » n’ont qu’un effet de court terme si les entreprises n’ont pas de réelle compétitivité ; l’Allemagne, deuxième exportateur mondial (derrière la Chine) ne souffre pas de « l’euro fort », alors qu’en France on attribue nos déficits commerciaux au même euro fort.
Pour faire simple toujours, l’approche diplomatique est chaotique, et les chances d’un consensus sont pratiquement nulles. L’Europe elle-même ne parle pas d’une seule voix. Certains pays, telle la Grande Bretagne, ne font pas partie de l’Euroland, et au sein même de l’Euroland l’attitude face aux dettes souveraines est très diverse, de sorte que le sort de l’euro est incertain. Les Etats-Unis sont arrivés à la limite extrême de leur endettement, notamment vis-à-vis de la Chine, tandis que les Japonais sont prêts à sacrifier leur monnaie en reprenant une politique de taux d’intérêt zéro qui leur a pourtant si mal réussi dans le passé. Enfin, et non le moindre, les Chinois ne font pas preuve de bonne volonté et le Premier Ministre Wen Jabao s’est fermement refusé à envisager une réévaluation significative du yuan que lui demandaient Herman Von Rompuy et José Manuel Barroso.
De son côté Nicolas Sarkozy vise à créer un « nouveau Bretton Woods », c’est-à-dire un système monétaire mondial, placé sous la surveillance d’une autorité mondiale. Mais laquelle ? Peut-il réunir un consensus ? La référence à Bretton Woods est révélatrice : en dépit de la domination américaine sur ce système, la police monétaire n’a jamais fonctionné, les dévaluations se sont succédées jusqu’à ce que le policier lui-même soit mis en prison par le marché des changes « parallèle » au système.
On aurait donc le choix entre la peste de Bretton Woods et le choléra des changes manipulés par les Etats. En fait, il y a une troisième voie : que les banques centrales s’interdisent de mener une politique monétaire active (« non conventionnelle ») et, encore mieux, que l’émission de monnaie soit privatisée – en restituant aux banques leurs pouvoirs et leurs responsabilités. Mais aujourd’hui tout le monde est persuadé que les banques sont le diable et les Etats le bon Dieu. Il faudrait relire le catéchisme économique !
Article repris depuis La Nouvelle Lettre avec l’aimable autorisation de Jacques Garello.