Suite de Voyage au bout de la nuit.
Revenu d'Amérique, Bardamu réussit enfin. Semble réussir. Entre toutes sortes de petits boulots, il termine enfin des études de médecine qu'il avait déjà commencées à la première partie du livre, avant guerre. (Au contraire de Céline: le jeune Destouches avait fait un apprentissage chez un bijoutier. Mais évidemment, on n’est pas dans l’autobiographie, ici.)
Notre héros va-t-il perdre le contact avec les pauvres, sa matière, sa famille? Non, évidemment. Il s'installe exprès en banlieue et s'arrange pour ne pas gagner d'argent. La concurrence de médecins plus arrogants, plus sûrs d'eux le bouscule. Il n'ose d'ailleurs pas demander ses honoraires.
Il sait ce que le prix d'une consultation vaut pour ses clients. Et puis, que voulez-vous, il n'a pas l'âme du commerçant et éprouve d'ailleurs ce que chacun de nous ressent et comprend vite: que toute transaction financière avilit ceux qui s'y livrent.
Donc, faillite de Bardamu qui vend petit à petit ses meubles, sa bicyclette....
Il n'a pas pu changer de milieu financièrement, mais, me direz-vous, il reste le prestige. Un médecin!
Mais là non plus, ça ne fonctionne pas. Tous les cas qu'il traite sont des échecs. L'avortée qui perd son sang. Celui qui souffre d'acouphènes. Et le pauvre Bébert, son jeune ami, qui met longtemps à mourir à cause d'une fièvre typhoïde.
Tout ce qu'essaie Bardamu échoue. Il passe même pour fou à cause d'un délire devant un enfant qui pleure.
Pas d'argent, pas de prestige, détenteur d'un pouvoir qui ne fonctionne pas. Bardamu malgré ses études reste tel qu'il était: seul, voué à l'échec, à l'amertume de l'existence, dont chaque gorgée est plus amère.
Mais cette expérience en vaut la peine. Vous allez toujours plus bas. Vous vous approchez du cœur des choses, de la vérité...
C'est en tout cas ce que croit Céline, l'écrivain.