Poésie du samedi, 10 (nouvelle série)
J’eus l’occasion de faire récemment un petit tour en Suisse. Lausanne m’attirait avec son musée d’art brut fondé par Jean Dubuffet, où je découvris notamment le génie tourmenté d’Aloïse, fille de Lausanne. Sans doute la Suisse est-elle une contrée féconde en poètes, confrontée qu’elle est aux imposantes silhouettes des montagnes et à ses lacs qu’on devine infinis dans les brumes interminables. Sur les petites routes de montagne, malgré la symphonie sylvestre des couleurs automnales, on éprouverait pour un peu de cette ramuzienne « grande peur dans la montagne » tant on se sent soudain peu de chose face à l’immense et à l’invisible… Ramuz a aussi ouvert une voie avec son « Passage du poète » et je rêvais même de pousser jusqu’à Genève pour emprunter le « Boulevard des Philosophes » à la suite de Georges Haldas, pour voir enfin où peut bien mener ce fameux boulevard à coup sûr pavé de sagesse…
Faute de temps, je ne pus m’arrêter à Genève et je continue à rêver au boulevard.Cernés par leurs montagnes, les poètes helvètes savent se trouver d’autres échappatoires que leurs autoroutes dont la vignette orne désormais mon pare-brise. J’en veux pour preuve cette belle élévation accomplie par un natif de Lausanne qui s’en est mieux sorti dans la vie qu’Aloïse, recluse dans un asile pour d’excessifs transports de l’âme… Pierre-Alain Tâche a été juriste avant de se faire poète et il voyagea au moins jusqu’en Italie voisine et même au-delà pour s’élever à la suite de Saint François, suivant un itinéraire bien balisé, selon une spirale jalonnée de chapelles et de cierges. Cette montagne sacrée est sans doute du genre à soulever la foi qui habite les pèlerins en route sur ce chemin initiatique bien balisé de bougies salutaires. J’irai y crapahuter un jour. Pour le moment, je me sens très avion noctambule, attentif aux moindres petites lueurs ou paroles…
La parole a troué la voûte frémissante
et le silence en nous s’est épaissi,
comme un muid de poussière,
après le vent d’un grand courroux,
retomberait sans bruit sur le jardin sacré.
Les petites maisons du ciel, où nous allons,
ne peuvent plus tenir ensemble ;
elles ont cédé quand les oiseaux
portaient en les nouant, les couronnes du jour ;
et voici que l’on aperçoit
leurs fanons de ferraille encore emplis de mer.
Chaque nacelle est habitée – et c’est toujours
un homme qui voudrait baisser la tête :
il a les yeux depuis longtemps levés
vers la coupole où il n’a pu monter
(et le loup n’entend plus se laisser cajoler,
qui prend prétexte de l’écume et s’ébroue).
Dans le giron des ombres qui n’ont pas de feu,
Saint François semble en route entre les troncs,
entre les fleurs séchées et les lys.
A la buvette, il se restaure et commence à discerner mieux,
dans la mandorle de silence ouverte à la façon
d’un fruit charnu de la passion,
les cierges vacillants, au sommet du Sacro Monte,
balises que l’on fait brûler, pour le guider,
comme on mène un avion noctambule à bon port.
Pierre-Alain Tâche (né à Lausanne en 1940) in Le dit d’Orta , Genève 1985. Il a été magistrat avantde se consacrer à l’écriture. J’ai trouvé « Sacro Monte » dans le recueil publié chez L’Age d’Homme en 1998, Quatre poètes, qui réunit quatre poètes helvètes (Pierre-Alain Tâche, Pierre Chappuis, Pierre Voélin et Frédéric Wandelère).