Marseille-Provence au cœur du cyclone low cost.
La décision de Ryanair de fermer sa Ťbaseť de Marseille-Provence suscite un débat passionné, des commentaires contradictoires, quelques informations erronées en męme temps que de savantes analyses souvent basées sur du sable. Qui plus est, la mauvaise humeur et l’impatience de la compagnie irlandaise excluent de patienter jusqu’au terme d’une procédure judiciaire importante. On a déjŕ oublié, en effet, qu’il s’agit de savoir si des navigants peuvent bénéficier du statut européen de travailleurs mobiles des transports. Si tel était le cas, pilotes et PNC Ryanair basés ŕ Marseille pourraient disposer tout ŕ fait légalement d’un contrat d’emploi non français.
A court terme, la polémique va sans doute continuer. Le syndicat national des pilotes de ligne français (alias France Alpa) et l’union des navigants de l’aviation civile sont sortis du bois. Le SNPL Ťattend sereinement l’issue du procčsť et menace d’entamer d’autres actions en justice Ťcontre tous les compagnies, sans aucune exception, qui tenteraient de contourner le droit social françaisť en s’engageant sur la voie du travail dissimulé. Dans le męme temps, Transavia a annoncé son intention de prendre position ŕ Marseille, suscitant ainsi quelques commentaires tragi-comiques, y compris dans des médias réputés sérieux. La petite filiale d’Air France ne va évidemment pas remplacer Ryanair, d’autant qu’elle annonce pour l’instant deux fréquences hebdomadaires au départ de l’aérogare low cost MP2.
Un événement majeur vient par ailleurs de se produire ŕ Madrid, la décision d’Iberia de créer de toutes pičces une filiale low cost qui aura pour vocation de reprendre son réseau court-courrier. Cette initiative témoigne d’une grande audace mais a été soigneusement préparée, en étroite concertation avec les syndicats. La compagnie espagnole, malheureusement avare en précisions, pourrait peut-ętre servir de modčle ŕ d’autres. D’autant que la future Iberia Low Cost, en toute logique, bénéficie de l’aval de British Airways, ŕ quelques semaines de leur fusion.
Les responsables de la chambre de commerce et d’industrie de Marseille et ceux de l’aéroport, le sénateur-maire, sur un ton ferme, expriment leur mécontentement de toutes les maničres. Jean-François Bigay, président de Marseille-Provence, est clair et net : Ťje soutiens totalement Ryanairť. Et de s’en prendre au décret français qui contredit la réglementation européenne, Ťun décret pensé par des Enarquesť.
A chaud, on le conçoit aisément, le débat ne peut pas prendre la hauteur voulue. Aucun des intervenants ne dispose pour l’instant du recul nécessaire ŕ une vision sereine des problčmes qui sont posés. Lesquels devront tôt ou tard ętre extraits de leur contexte strictement légal pour prendre en compte les nouvelles rčgles du jeu du transport aérien européen. Et, en cette matičre, Marseille-Provence est exemplaire, beaucoup plus que ne le fut en son temps le dossier Bruxelles-Charleroi.
Jean-François Bigay, statistiques ŕ l’appui, explique que le trafic low cost ne cannibalise absolument pas les flux traditionnels parce qu’il relčve d’un segment de marché fondamentalement différent. L’évolution de la plate-forme provençale est par ailleurs fortement marquée par un puissant effet TGV. Ce dernier ponctionne irrésistiblement les voyageurs de la liaison avec la capitale : sur Aix-en-Provence/Paris, le meilleur temps proposé par la SNCF est légčrement inférieur ŕ 3 heures et ceci suffit évidemment ŕ expliquer cela.
Pour renouer avec la croissance, l’aéroport a élaboré une stratégie reconnaissant sans ambages la poussée des low cost. D’oů la transformation d’un bâtiment fret en aérogare dédiée (ŤMP2ť) dont le coűt opérationnel est ŕ peine d’un euro par passager. Un investissement de 16,8 millions d’euros pour une capacité estimée ŕ 3,8 millions de passagers par an. Six avions peuvent y ętre traités simultanément, sachant que l’embarquement se fait ŕ pied. La cohabitation de MP2 avec les installations traditionnelles est harmonieuse, cette juxtaposition de deux maničres de faire, pour reprendre l’image qu’affectionne Jean-François Bigay, rappelant celle d’Ikea et Roche-Bobois.
Le succčs que traduisent les statistiques de trafic est venu trčs vite. En 2009, MP2 a enregistré 1,67 millions de passagers, une progression de 57,6% par rapport ŕ l’année précédente, Ryanair y étant pour beaucoup, en męme temps qu’EasyJet, CityLine, Jet4you, Pegasus, Germanwings, etc.
Il est évident que le débat qui vient d’éclater dépasse largement le cadre et les limites de Marseille-Provence et, de ce fait, connaîtra d’importants rebondissements, avec ou sans intervention de Ryanair. Une querelle des anciens et des modernes, en quelque sorte.
Pierre Sparaco - AeroMorning