Truman Capote, De sang-froid

Publié le 21 avril 2006 par Menear

Comme je le disais dans mon billet sur le film Truman Capote, ce dernier m’avait donné envie de lire le livre que l’auteur américain écrit à la suite de son enquête sur un terrible fait divers au Kansas, à savoir De sang-froid. C’est désormais chose faite, j’ai littéralement dévoré cette merveille le temps d’un week-end (à peine plus), car il s’agit bien là d’un livre excellent, l’un des meilleurs que j’ai lu depuis longtemps.

Pour replacer rapidement le contexte, avec ce livre, Capote s’est lancé dans le genre de la Non-fiction, c'est-à-dire qu’il est allé enquêté sur un fait divers (en l’occurrence, le massacre d’une famille au Kansas) et qu’il en a fait un livre. Ce livre ce divise en quatre parties, retraçant chronologiquement les évènements avec, d’abord la description de la famille Clutter (la famille assassinée) dans ses moindres détails et celle de ses deux assassins (Dick et Perry) qui débouche aux meurtres, la traque des deux assassins par la police locale, leur arrestation, leur détention, puis leur exécution, peine de mort oblige. Pour résumer, Capote a donc rassemblé tous les éléments importants de l’affaire et l’a transformé en livre, extrêmement complet et documenté.

Mais De sang-froid c’est surtout et c’est avant tout un livre extrêmement bien écrit. Le style de Capote est documentaire, journaliste mais également incisif, son grand talent sur ce livre étant d’être parvenu à organiser toute sa documentation, tous les entretiens effectués, toutes les notes récupérées. Les éléments de tel ou tel personnage sont toujours idéalement amenés, présentés et expliqués. On notera au passage l’habileté avec laquelle l’auteur américain incère quelques renseignements supplémentaires, quelques rappels, voire des anticipations ou des phrases rapportées qui aident à comprendre la situation présente. On arrive alors à la qualité première de ce livre, à savoir l’incroyable complexité des personnages. Et pour cause, évidemment, puisque dans De sang-froid les personnages sont des personnes ayant réellement existées. Une série importante d’entretiens est intercalée dans le récit, ce qui permet une immersion totale dans l’intrigue en plus de faciliter la compréhension. L’intérêt portée aux deux meurtriers (Perry en particulier) et également très intéressante, bien qu’un poil effrayante quand on découvre la logique de ces deux personne(ages).

Mais, comme il est difficile de parler d’un livre, je préfère vous en copier un passage, situé dans la deuxième partie du livre, intitulée « Personnes inconnues » :

Montagnes. Faucons tournoyant dans un ciel blanc.
Lorsque Perry demanda à Dick : « tu sais ce que je pense ? », il savait qu’il entamait une conversation qui déplairait à Dick et que lui-même aimerait tout autant éviter. Il était d’accord avec Dick : pourquoi continuer à en parler ? Mais il ne réussissait pas toujours à se retenir. Il avait des moments de faiblesse, des moments où des « choses lui revenaient à la mémoire » : une lumière bleue qui explosait dans une chambre noire, les yeux de verre d’un gros ours en peluche, et où des voix, quelques mots particulièrement, se mettaient à lui marteler le crâne : « Oh, non ! Je vous en prie ! Non ! Non ! Non ! Non ! Ne faites pas ça, je vous en prie ! » Et certains bruits revenaient : un dollar en argent qui roulait sur un parquet, des bruits de bottes sur un escalier de bois et les bruits de respirations, les râles, les inspirations hystériques d’un homme à la trachée sectionnée.

Cela dit, j’émettrai quelques réserves concernant ce livre. La première étant qu’il y a peut être quelques longueurs, notamment vers la fin (mais ce n’est pas vraiment important). La seconde, en revanche, est plus problématique, puisqu’elle concerne le concept même du livre et les quelques failles que l’on peut y trouver. Car si les évènements se sont déroulés comme le film Truman Capote le sous entend, l’écrivain a directement influé sur les deux assassins, notamment concernant leurs appels et leurs avocats. Or, dans le livre, nulle trace d’un « je » qui aurait pourtant joué un rôle dans cette affaire. Il y aurait donc une faille dans ce concept de Non-fiction, puisque le simple fait de ne pas mentionner celui qui rapporte les faits consiste en une irrégularité concernant ces mêmes faits. Mais sans doute suis-je trop pointilleux…

Disons simplement que De sang-froid est un livre extraordinaire, une nouvelle vision de la littérature, même lu quarante ans après sa parution. Bien évidemment, il ne faut pas s’attendre à un roman policier, car ce n’en est pas un, même si le suspens est au rendez-vous. Il s’agit de « grande littérature », si je puis m’exprimer ainsi, j’irai même jusqu’à dire qu’il s’agit d’un des ouvrages majeurs du siècle dernier, même si ma méconnaissance de la littérature américaine ne me permet pas d’avancer ce genre de réflexion (tant pis !).