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Colloque François Bon (vendredi)

Publié le 24 mars 2007 par Menear

Retour au colloque hier matin, à trois toujours, mais avec Nico et Laurianne cette fois-ci. En avance, on poireaute un peu devant la porte, le temps pour Nico de passer un coup de fil, pour Laurianne de fumer une clope et pour nous trois de se goinfrer de bonbons apportés par Laurianne (parce que les fleurs c'est périssable et sans aucun jeu de mot foireux vis à vis de l'auteur sanctifié par ce colloque). Évidemment, ça fait pas très sérieux de piocher dans le gros sac multicolore et gélatineux (et acide, et sucré) pendant les interventions (les « communications ») alors on préfère faire des réserves et descendre la moitié du sac avant de rentrer dans la salle, question d'apparence.

Colloque François Bon (vendredi)

Pas besoin de trop se dépêcher : on se rend compte en s'asseyant quelque part au milieu de la salle que le colloque (à prononcer en insistant bien sur le double « l » histoire d'accentuer le degré de pédanterie de la situation) a pris facilement trois quart d'heure de retard. Du coup, on se tape une « communication » qu'on ne voulait pas voir (pas qu'elle ait été nulle, simplement qu'on n'avait pas lu la majorité des bouquins dont il était question), tant pis.
Deux rangs devant nous, se trouve l'un de nos profs qui doit intervenir pendant l'après-midi. Tête baissée sur ses genoux il ne regarde pas l'universitaire italien qui déblatère ses histoires « d'espaces ». Tête baissée sur ses genoux, je remarque quelques feuilles dactylographiées que j'identifie aussitôt comme le texte de son intervention de l'après-midi. Il le relit, vérifie quelques derniers détails et angoisse silencieusement sur son siège. Petit bonheur tacite et sadique, je dois l'avouer, de voir le prof revenu dans une posture d'étudiant, d'étudiant qui stresse avant son oral. Amusant, également, surtout quand on sort soit même d'un oral stressant (la veille).
Ce qu'on est venu voir commence avec beaucoup de retard, donc, et ce n'est pas un universitaire qui prend la parole mais un écrivain, Pierre Bergounioux (idole de ma mère), un drôle de type à la drôle de tête de type malade et dont la drôle de voix laisse émerger de drôles de phrase qui, sans notes aucune, donnent la vague impression de directement sortir des pages d'un bouquin. L'intervention en question (« Hétérogamie et littérature ») est passionnante, quoiqu'un peu courte. Bergounioux identifie deux « lignées » parentales chez François Bon : la lignée paternelle, l'élite ouvrière et la lignée maternelle, des instituteurs/trices. Deux pôles du monde social qui, « n'auraient pas du » se rencontrer. L'amour vu comme puissance irrationnelle qui va à l'encontre du « choix matrimonial ». L'Oeuvre de Bon serait donc déterminée par cette union « qui n'aurait pas du être » : lorsqu'il claque la porte de l'école d'ingénieurs (lignée paternelle), il se tourne vers sa mère, il « écrit sous la dictée de sa mère ce que fait son père », d'où l'inattendue alliance de la littérature et du « monde ouvrier ». L'écriture de Bon tout comme son existence est donc irrationnelle. C'est ce qui lui permet d'écrire l'usine, par exemple, alors que « les autres » souffrent d'un langage inadéquat ou bien demeurent profondément silencieux. La double activité de François Bon est donc vue comme une « aberration sociologique ».
Pas d'accord du tout avec ce qu'il dit, mais quelle intervention de Bergounioux qui, sur le ton décontracté de la conversation, sans la moindre de note (du moins c'est comme ça qu'il nous est apparu), énonce ces idées étonnantes, sans doute plus réalisables et concevables quand on l'applique aux générations plus « anciennes » que les nôtres, devant l'auteur lui-même, présent au deuxième rang comme spectateur de sa propre « sociologie génétique ».
L'après-midi commence elle aussi (c'est logique) avec du retard. Pendant qu'une chercheuse néerlandaise disserte habilement sur la notions de personne et/ou de personnages dans Daewoo, de l'illusion journalistique de cette vraie-fausse « étude », un des spectateurs, un type assez jeune, Master 2 peut-être ou bien rien à voir, pique du nez et s'endort, le buste tantôt avachi sur lui-même, et se redressant régulièrement suivant le rythme de sa respiration. Dix minutes, peut-être plus, ça dure, et ce qui me fait sourire, ce n'est pas tellement cette situation grotesque, c'est surtout la mine effarouchée de l'un des animateurs qui, depuis l'estrade, ne peut rien faire, ne peut rien dire, sinon s'offusquer intérieurement à chaque coup d'oeil et rougir des joues et du front à mesure qu'il se fâche sans se fâcher. Amusant.
Lorsque vient le moment de l'intervention de notre prof préféré (« Daewoo : un roman marxiste à l'âge d'or du capitalisme ? »), on se redresse tous les trois et on se concentre, sans doute plus que pour les autres « communications », sans doute parce que l'on est chauvins et sans doute parce qu'on le revendique et que ça nous amuse de l'être. L'étude avant tout stylistique est évidemment fascinante (nous avions d'avance décidé qu'elle le serait, moi le premier) : montrer la résistance, l'appartenance du lieu de l'usine aux ouvriers et l'appartenance de la langue, populaire, précise et imagée qui fait contraste avec la langue officielle qui « rend compte d'un rapport honteux au réel » : technocratique. Le slogan de la phrase inaugurale du roman est étudiée dans ce sens, au moment où l'écriture du slogan me paraît à moi évidente, plus encore dans certaines littératures américaines...
Et les questions qui en découlent, les difficultés de la pensée politique marxiste, les « que peut la culture » et le « comment contourner l'incontournable » qui, visiblement, auront lancé un pavé dans la marre à en juger par le nombre de « non-question » qu'aura entraîné l'intervention (« mais vous avez une question ou pas ? », répondu aux lentes et obscures réflexions à voix haute de certaines personnes que je n'ai même pas aperçues, fausse-réponse qui m'a fait sourire). Mais tant pis, nous, nous trois, bien alignés au centre de la salle, on a bien applaudi, on a applaudi plus fort que pour les autres, chauvins, un brin supporters aussi, avec une banderole imaginaire au-dessus de nos tête, parce que c'est comme ça et qu'on n'a pas pu s'en empêcher. Marrant plus qu'amusant.
La table ronde qui a suivi, avec son thème quelque peu tarte à la crème d'« écrire le réel » était peut-être un peu trop, parce que mine de rien, c'est pas évident d'être attentif trop longtemps (surtout moi). En vrac, quelques notes, encore une fois, difficile de rendre, comme ça, parce que c'est toujours difficile de retranscrire et parce que je n'en ai pas l'habitude. En vrac, donc, des « la littérature est complètement facultative », « le monde comme prestation subjective » et surtout, surtout, ce que j'ai gardé en tête, c'est cette façon de dire (François Bon) que l'écriture n'est qu'un passage, parce que « c'était déjà comme ça » (le « réel » en partant du principe que ça existe et que ça veuille dire quelque chose), « je n'aurai pas pu faire autrement ». De la à parler de « falsification » qui me rappelle ma récente lecture de Calvino...
Du colloque dans son ensemble, étrangement, ce que je retiens surtout (cf. le billet de jeudi), c'est cette drôle de façon de se positionner par rapport à « son Oeuvre » : c'est à dire Bon qui s'enterre sous lui-même pendant qu'on parle de ses livres, cette façon qu'à Bergounioux de dire « ce n'est pas mon colloque » dès qu'on parle de ses bouquins, et pareil pour les intervenants, qui baissent la tête, qui jouent les (faux ?) modestes dès lors qu'on parle de leur travail ou de leurs interventions... Étrange, non ? Comme s'il était impossible d'avoir une position réelle vis à vis de ce que l'on écrit, de ce que l'on fait. Comme si tout était tellement abstrait, comme si on (indéfini, je ne m'inclus pas dedans bien sûr) avait honte. Étrange et incompréhensible.
Mais de ce colloque, je retiens aussi ce moment, hier (vendredi, donc), vers une heure, où tout le monde se lève pour aller manger, où notre prof préféré se retourne vers nous, nous voit pour la première fois et nous lance un « salut, ça va » assez déconcertant (le sacro-saint rapport prof/élève est brisé !). S'en suit une conversation sur « notre avenir » et surtout, surtout, la tête qu'il fait, la façon dont il se redresse, dont il écarquille les yeux et où il me dit : « very impressive » (un truc du genre, en anglais) lorsque je lui réponds que je veux écrire. Et, même s'il essaye de m'embrigader pour faire un Master avec lui, je garderai cette image insolite d'un prof assez insolite lui aussi... S'en est suivi une courte discussion, courte mais agréable, sur tout ça et des divergences, évidemment : « écrire un mémoire de Master, c'est déjà écrire » et « mais on n'écrit jamais pour soi ». Pas d'accord : j'écrirai de la fiction, et je l'écrirai pour moi.
Et le prochain colloque, ce sera pour quand ? Aucune idée...
Billet édité : Pour ceux que ça intéresse, voici trois articles en réaction à certaines "communications" du colloque sur le site du Tiers Livre :
- Calvaire du roman avant l'âge blog
- Il dirige quoi l'auteur ?
- D'avantage lu à la verticale qu'à l'horizontale

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