Le moins que l'on puisse dire, c'est que Volta choisit de partir dans des directions aussi éclectiques que géographiquement variées. Dans cet album qui se bâtit petit à petit sur des collaborations et non sur des performances strictement personnelles, on retrouve en vrac à la fois Timbaland, Toumani Diabate ou encore Min Xiao-Fen ; album international, album de voyage, également, qui trouve ses origines dans les visites de Björk en pays africains ou en Indonésie. Un disque issu de brassages musicaux et culturels, enfin, dont le titre semble à la fois faire référence aux voltages de l'électricité (et à la pulsation retrouvée de certaines de ses chansons) et au fleuve Volta qui traverse le Burkina-Faso.
L'invitation au voyage, on la retrouve dès le début du disque avec le très efficace Wanderlust, qui amène le spectateur à dépasser l'introduction païenne d'Earth Intruders pour parcourir, en compagnie de notre guide islandaise, ce monde musical atypique, jamais réellement étranger à celui que l'on connaît, mais jamais identique non plus. Le bateau s'apprête à lever l'ancre, et quel bonheur d'être à bord !
On parle souvent concernant Volta d'un « retour aux sources » au niveau de la percussion de ses chansons fer-de-lance. Certes, les Earth Intruders, Innocence, Hope (trois chansons co-produites par Timbaland) et Declare your Independance, vont à contre courant des ambiances générées sur Vespertine ou Medulla et rappellent quelques Pluto ou Hyperballad passées mais le terme « retour aux sources » me paraît inadéquat. On retrouve sur
ce Volta parfois survolté (!) une brusque cavalcade qui parfois surprend, agite ou irrite selon les circonstances. On retrouve un animal musical entièrement libéré (comme souvent), qui rebondit d'un album à l'autre de façon totalement incontrôlable et imprévisible. Mais ce qui surprend le plus dans ce Volta-là, c'est son aptitude répétée à sans cesse se placer en rupture : rupture par rapport aux albums précédents, d'abord, dont celui-là constitue l'évolution, mais ruptures infimes qui s'enchaînent au sein même du disque, avec des chansons aux genres divers, aux influences différentes et aux esthétiques étrangères. De Innocence, on passe à la fabuleuse doublette Vertebrae by Vertebrae / Pneumonia (pour moi le coeur de l'album) avec une facilité déconcertante. La résonance des cuivres n'y est pas étrangère : l'utilisation de cette gamme d'instruments, nouveauté pour Björk, est superbement négocié, tant ces choeurs-là sont utilisés avec intelligence. Les chansons résonnent, la musique gagne en profondeur, elle s'amplifie, le tout jouant toujours en encore sur les jeux d'antithèses sonores qui me rappellent quelques oeuvres de Yoko Kanno : des voix gorgées d'émotion sur des rythmiques parfois militaires, des cris libérés qui s'échappent de carcans musicaux très strictes, etc. Ces chansons-là, en plus de se présenter à nous sans complexe, développent une esthétique pleine de contrastes et de paradoxes, tous plus envoûtants les uns que les autres.Pour autant, l'équilibre général des chansons ou de l'album en général n'est jamais mis en difficulté. Chaque élément trouve sa place dans le décor général de l'oeuvre. A ce niveau, le chef d'oeuvre, c'est évidemment The Dull Flam of Desire (disponible dans la Oblue Radio si celle-ci veut bien fonctionner correctement) : duo clé de l'album avec l'étonnant Antony Hegarty (que l'on retrouve aussi sur le plus intimiste My Juvenile) dont la voix si particulière se révèle parfaitement complémentaire face à celle de l'islandaise. Dialogue touchant entre deux voix qui s'entendent parfaitement, se dédoublent, se retrouvent, s'opposent et, au final, fondent l'une dans l'autre sans pour autant jamais se confondre ou s'unir. La performance d'Antony Hegarty (chanteur d'Antony and the Johnsons, que j'ai pour ma part connu comme le superbe interprète d'un soir de Candy Says lors d'un live de Lou Reed, Animal Serenade) est remarquable, et l'osmose qu'il parvient en partie à créer avec sa partenaire est tout simplement saisissante ; l'apogée finale du morceau, soulignée par le crescendo rythmique, explose, elle, tout la structure soignée de la chanson pour lui permettre de gagner en profondeur.
Lorsque l'album se termine, tout en douceur, sur l'étonnant My Juvenile (dont la harpe apparente me rappelle l'exceptionnel Generous Palmstroke, ma chanson de Björk préférée), pudique et soigné, on prend conscience du voyage musical qui vient d'être effectué. Pas un voyage physique, pas même un voyage métaphorique, il n'est pas ici question de traverser la planète à travers ce disque, mais un voyage musical, en cela que ces soixante minutes environ nous entraînent au centre de son propre microcosme, de son propre univers, à la fois translucide et bigarré (à l'instar des concepts visuels qui entourent l'album, visez-moi un peu cette Orangina-Goldorak de pochette !), à la fois cri et silence, cuivre et beats électroniques... Björk, grande prêtresse de la musique moderne créé ici son propre totem, un univers sonore où tout lui est permis. En une poignée d'albums, cet éternel lutin glacial est, mine de rien, en train de bâtir non pas une discographique mais une Oeuvre réellement fondamentale. Vivement le prochain.