- Monte.
La porte passager du van s’ouvre et se referme. Un homme monte et s’assoit, sa chemise porte une petite étiquette marquée du nom « Gaspard », accrochée à la poche droite. C’est une chemise blanche et bleu marine, suffisamment humide pour coller au corps qu’elle habille. L’homme pose un plateau hexagonal sur ses genoux et attache sa ceinture. Le voyant du clignotant s’allume, le van se déporte sur la gauche et repart.
- Tu vas où ?
Les mains posées à plat sur le plateau,l’homme qui s’appelle Gaspard s’évertue à maintenir le plus de stabilité possible pour ce qui s’avère être un plateau de jeu. Le bruit des billes qui s’entrechoquent s’échappe à chaque virage. Les billes sont entreposées dans les petites gouttières qui encadrent une étoile remplie de petits trous, c'est-à-dire le plateau lui-même. Une goutte d’eau tombe dans l’un de ces trous, depuis les cheveux de Gaspard.
- N’importe où.
Le conducteur fronce les sourcils, affine son regard, et l’une de ses mains vient frotter le coin de son oeil droit. Avec ce geste, c’est un peu de maquillage qui s’étale, qui se diffuse, qui s’écrase sur sa pommette. Son visage est a demi démaquillé seulement. Le noir qui entoure ses yeux n’est pas parti. Le blanc de sa peau est effacé du menton jusqu’au cou. Sa chemise est entrouverte, son nœud papillon défait. Son crâne tout entier finit par imprimer un mouvement las, de bas en haut, de bas en haut…
Sa main droite se décolle du levier de vitesse et attrape un paquet de cigarettes difforme. Il en sort une et la place entre ses lèvres. Elle est tordue. Il repose ensuite le paquet, passe une vitesse, saisit un briquet, sous le paquet, et allume sa cigarette. Il jette le briquet quelque part sur le sol, tout en prenant une bouffée, puis deux, puis la fumée s’échappe en un soupir embrumé.
Suite à mes jérémiades sur le spectre de la répétition : un bout de roman retrouvé. Un incipit d'un projet entamé en août 2006 et avorté un mois et cent vingt pages plus tard. Ça s'appelait (mal) « Incrustation » (puis « J'apprends à oublier de respirer », fut un temps) et c'est toujours susceptible d'être repris. Bref, un incipit donc, d'un roman qui se foutait éperdument de cette question des répétitions (et pour cause, c'est un premier jet !). Comme quoi ça doit être possible d'éradiquer le spectre...