Pas trouvé le texte original dans mes diverses errances internautiques. Si quelqu'un possédait une version numérique du texte anglais et/ou qui saurait où je pourrais la trouver, merci de me renseigner dans les commentaires.La semaine suivante passa. Il prit l'habitude de faire des promenades, peinant, plongeant jusqu'à la taille dans les congères de neige, pas pour éviter de la voir, mais parce que j'étouffe là-dedans, se dit-il. Un jour même il monta jusqu'à la mine, jusqu'aux galeries désertes, noires maintenant qu'il n'y avait plus cette orgie d'ampoules inutiles, et pourtant il lui semblait entendre encore les voix, les oiseaux aveugles, les échos de ce langage humain frénétique et incompréhensible qui persistaient encore, comme des chauves-souris pendues, la tête en bas peut-être, dans les couloirs morts jusqu'à ce que sa présence les fît s'envoler. Mais tôt ou tard le froid – quelque chose – le ramenait à la maison et ils ne se querellaient pas, tout simplement parce qu'elle refusait de s'y prêter, et de nouveau il pensait Elle est non seulement un meilleur homme, un meilleur gentilhomme que moi, elle est meilleure en tout et je ne pourrai jamais l'égaler. Ils mangeaient ensemble, partageaient la routine journalière, ils couchaient ensemble pour éviter de geler; de temps à autre il la prenait (et elle l'acceptait) en une sorte d'immolation délirante, disant, criant : « En tout cas, maintenant, ça n'a plus d'importance. Tu n'auras plus à te lever dans le froid. » Et le jour revenait; il remplissait le réservoir quand le poêle s'éteignait; il allait jeter dans la neige les boîtes de conserve qu'ils avaient ouvertes pour leur dernier repas, et il ne lui restait plus rien à faire en ce bas monde, absolument plus rien. Alors il partait en promenade (il y avait une paire de raquettes dans la maison, mais il n'essaya jamais de les mettre), entre les congères de neige mais surtout en plein dans ces congères qu'il n'avait jamais appris à distinguer à temps pour les éviter, plongeant dedans et s'y vautrant pour ainsi dire, pensant, se parlant à lui-même à haute voix, pesant mille expédients : Une espèce de pilule, pensa-t-il – lui, un médecin qui avait fait des études – les putains s'en servent, on dit qu'elles agissent, il le faut bien, il faut que quelque chose agisse, ça ne doit pas être si difficile, ça ne doit pas être si cher et sans le croire, sachant bien qu'il ne pourrait jamais arriver à le croire, pensant C'est donc là le prix de ces vingt-six années, des deux mille dollars que j'ai réussi à faire durer pendant quatre d'entre elles en ne fumant pas, en gardant ma virginité au point qu'elle a failli se gâter, le prix du dollar ou des deux dollars par semaine ou par mois que ma sœur n'avait pas les moyens de m'envoyer; et que j'en sois venu à me priver de tout espoir de trouver un anesthésique dans les pilules ou les brochures. Et maintenant tout le reste est complètement hors de question. « Il n'y a plus qu'une seule chose », dit-il tout haut, dans une sorte de calme comparable à celui qui suit le soulagement volontaire d'un estomac qui se débarrasse de la source de sa nausée. « Une seule chose. Nous allons aller où il fait chaud, où la vie ne sera pas si chère, où je pourrai trouver du travail et où nous aurons les moyens d'avoir un bébé, et à défaut de travail il y aura toujours l'assistance publique, les orphelinats, les seuils de porte. Non, non, pas d'orphelinats, pas de seuils de porte. Nous pourrons le faire, il le faudra. Je trouverai quelque chose, n'importe quoi. Oui », pensa-t-il cria-t-il tout haut dans la désolation immaculée, avec une ironie cruelle terrible, « je m'installerai comme avorteur professionnel. » Ensuite il rentrait à la maison et ils continuaient à ne pas se quereller parce qu'elle refusait de s'y prêter, et cela non par suite d'une patience réelle ou feinte, ni parce qu'elle-même était accablée et effrayée, mais simplement parce que (et il le savait bien lui aussi et il s'en maudissait lui-même dans la neige) elle savait qu'il fallait que l'un des deux gardât à peu près son sang-froid et elle savait d'avance que ce ne saurait pas lui.
Faulkner, Si je t'oublie, Jérusalem, L'imaginaire, Trad : Maurice-Edouard Coindreau, P. 223-225.