Notes sur l'amputation

Publié le 08 avril 2008 par Menear
Il y a plusieurs mois, parallèlement à la reprise du manuscrit de « Coup de tête », je commence à effectuer quelques démarches afin de me renseigner sur l'amputation. C.D., personnage principal et narrateur de « Coup de tête » est amputé de la main droite, un peu au dessus du poignet. La nécessité d'obtenir des témoignages directs de personnes réellement amputées est ressentie tout de suite. J'ai besoin d'informations précises. Sur l'acte chirurgicale en lui-même, d'abord. Sur les traitements qui suivent. La rééducation. Le regard des autres. Les douleurs. C'est probablement le plus important : les douleurs. Afin de mettre en mot moi-même ce que les principaux intéressés passent souvent sous silence. Parce que je ne peux pas envisager de pouvoir comprendre complètement C.D. sans parvenir à appréhender les douleurs qui l'habitent. Parce que sans ça, il m'est impossible de dresser un plan plausible, une série d'action adéquate. Parce que si je ne sais pas où et comment il a mal, comment pourrais-je savoir comment il doit réagir ? Parce que ces informations là non seulement dictent sa conduite quotidienne mais également son identité. Cette main décapitée, c'est son identité.
Mes démarches sont relativement simples. Je googleise, je yahooise. Je scrute la toile. Je découvre le site et le forum de l'ADEPA (Association de Défense et d'Études des Personnes Amputées). Je contacte certains membres, parmi lesquels P. M. qui accepte de répondre à quelques unes de mes questions par mail. Entre décembre 2007 et janvier 2008, nous échangeons une bonne dizaine de courriels. Nous tournons autour de l'amputation. Mes questions sont à la fois générales et précises. Cette liste que je lui propose n'est pas définitive. De nombreuses autres viendront s'ajouter aux précédentes. Les interrogations ne sont jamais clairement fixées ; les questions appellent d'autres questions, les réponses appellent d'autres questions, les silences appellent d'autres questions. Pourtant ces premières percées dans un monde que je connais mal portent leurs fruits. J'abats quelques bunkers récalcitrants, ceux que mes lectures d'articles Wikipédia, de documents médicaux et de sujets sur le forum n'avaient pas préalablement enfoncés.
Ci-dessous, incorporé au corps du texte, en italique (je préfère, pour un soucis de lisibilité et de confort de lecture, renoncer à me servir des balises de citation de Dotclear qui déforment, isolent et compressent trop le texte), quelques fragments de ces conversations par mail entre P. M. et moi-même (avec son autorisation, bien entendu). Ce sont mes premières notes sur la question de l'amputation.
Fort logiquement, P. ne me donne pas beaucoup d'informations quant à la procédure chirurgicale en elle-même (ces informations, j'attendrais de m'entretenir avec C., quelques semaines plus tard, pour les obtenir). L'opération dure environ une heure. Elle est effectuée sous anesthésie générale. Voilà tout ce que j'apprendrais à ce sujet.
La suite est plus douloureuse. Il me parle de sensations de brûlures, de serrement, etc., qui ont duré de façon intense pendant trois jours puis qui se sont estompés petit à petit. J'ai été traité sous morphine pendant 3 semaines (période de sevrage comprise) ce qui m'a « shooté ». Durant la 1ère semaine, j'ai eu un traitement antibiotique préventif. Pendant toute la période où je n'étais pas appareillé, j'avais un traitement d'anticoagulant, sous la forme d'une piqûre sous cutanée de lovenox. Je signale que la douleur est très bien prise en compte et que tout est fait pour que le patient ne souffre pas.
Conjointement à ce témoignage qui, comme je m'y attendais, peine à décrire la sensation en elle-même (épreuve délicate que d'avoir à réclamer une précision accrue dans la description d'une douleur que je ne peux moi-même pas faire semblant d' imaginer), je débusque, au travers d'autres témoignages éparpillés à droite et à gauche sur la toile (j'ai oublié où, exactement) la phrase suivante sur le chapitre des douleurs fantômes : ça se contracte sans contrôle, ça se sert par a-coup.
Pour la suite, la rééducation se déroule en deux temps. Premier temps : je n'étais pas cicatrisé , il a donc fallu remuscler ma cuisse gauche, s'occuper de l'entretien musculaire tout en surveillant l'évolution de la cicatrisation. Ce premier temps dure deux mois.
Dans un deuxième temps, il s'agit de veiller à la mise en place d'une prothèse provisoire pour réapprendre la marche et ses sensations. Cette mise en place s'est faite en phase de terminaison de cicatrisation afin de favoriser la cicatrisation par la marche et donc la circulation naturelle du sang.
P. sort de l'établissement trois mois après y être entré avec une prothèse provisoire mais non cicatrisée à fond. Sa reprise au travail s'est produite avec un mi-temps-thérapeutique de 3 mois, un mois plus tard, après confection d'une prothèse semi-provisoire. Il prend un traitement antibiotique jusqu'à cicatrisation complète du moignon pendant cinq mois.
Au sujet des douleurs fantômes, P. me révèle qu'il ne pourra pas réellement m'aider, n'en ayant heureusement jamais ressenties (il ajoute qu'il ressent parfois quelques spasmes électriques qui ne se produisent que rarement). Il précise, tout de même que juste après l'amputation, il reçoit un traitement préventif contre les douleurs fantômes. Du neurontin. Il existe aussi le lyrica et le rivotril comme médicament contre ce type de douleur.
Je laisse de côté la question de l'appareillage car elle ne m'intéresse pas directement pour « Coup de tête » , C.D. choisissant de lui-même, hors texte, de ne pas porter de prothèse. Le sujet du regard des autres, en revanche, est central. Dans l'un de ses mails, P. m'explique que pour se considérer comme valide, un amputé doit se reconnaître « entier» avec le physique qu'il a, c'est-à-dire avec un partie de lui en moins. D'autres témoignages expliquent qu'il faut faire le deuil d'une vie antérieure de valide, c'est un travail long à réaliser. Nous sommes tous passés par ces phases qui ont duré plus ou moins longtemps selon notre capacité à assimiler cette situation nouvelle. P. précise : avec ma prothèse, même si je boîte, même si je ne marche pas bien, je me sens comme valide. Sans ma prothèse, je me sens handicapé. Ailleurs : Je n’accepte pas de me « montrer » vers les autres sans ma prothèse, j’ai peur d’aller chercher mes enfants à l’école sans prothèse, j’ai peur de sortir dans le rue sans prothèse. Peur de quoi ? : de la réaction des enfants, des gens, peur de leur éventuelle réflexion.
Je souligne métaphoriquement l'adjectif éventuel dans la dernière phrase. Il me paraît capital. Central. Les moulins à vent que fuie C.D., ce sont des fantasmes, des fantômes, des interprétations, des peurs tacites et virtuelles, celles là même que cristallise cet adjectif éventuel qu'utilise P. sciemment. C'est une question d'espace entre. D'interstices. De virtualités, donc. De fuite.
Je remercie entre ces lignes une nouvelle fois P. M. pour sa gentillesse et sa disponibilité (bien que « virtuelle ») et surtout pour ces cinq pages word d'informations, témoignages, analyses et renseignements que je conserve précieusement dans mes archives et qui me servent de base dans mon travail d'élaboration de mon personnage.